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Capitaliser sans le dire
pour couvrir le risque retraite

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

25.05.2023

Épargne retraite, horizon long... les Français
font des efforts surtout après 50 ans. Et plus encore
les salariés du privé, du fait des caractéristiques
des produits mais également des incitations mises
en place. Avec une gestion pilotée qui les pousse
vers des actifs jugés moins risqués au fur et à mesure
que l’âge de la retraite approche.

Depuis 1993, date de la réforme dite « Balladur », les pensions ne sont plus indexées sur les salaires mais sur les prix. Il en est de même des « salaires portés au compte » pour le calcul du salaire de référence. La chronique des salaires (les 25 meilleurs depuis 1993) est donc sous-indexée par rapport aux salaires nominaux et, dès lors, par rapport à la croissance économique.

Il en découle une dégradation régulière des taux de remplacement calculés comme le ratio de la moyenne des pensions du moment sur le salaire du moment. Non seulement le ratio pension moyenne/salaire moyen baisse de génération en génération au moment de la liquidation de la retraite, mais ce ratio diminue tout au long de la durée de la retraite pour une même génération.

Il en découle que les Français ont fait des efforts d’épargne pour combler cette baisse anticipée du taux de remplacement et donc du pouvoir d’achat relatif exprimé en unité de salaire, donc relativement aux actifs comme ils le déclarent du reste lors d’enquêtes. Par exemple, l’enquête IFOP pour le CECOP, « Les Français, l’épargne et la retraite » de février 2022 montre que 30 % des Français épargnent pour leur retraite, toutes générations confondues et que le chiffre monte à 45 % pour les 50-64 ans.

L’examen des taux d’épargne montre des efforts relativement importants de la part des ménages pour se composer un patrimoine, sans évidemment que l’on puisse en attribuer l’ensemble à la préparation de la retraite. Arrondel et al. (2020) mettent toutefois en évidence un impact positif des réformes des retraites sur la détention d’épargne.

Ce qui est également intéressant et mis en évidence est que la détention d’épargne retraite par les ménages est liée aux caractéristiques des produits mais également aux incitations mises en place macro- ou microéconomiquement, comme le montre la détention supérieure observée chez les salariés du secteur privé qui peuvent avoir accès à des produits abondés et plus rentables que l’assurance vie.

La capitalisation est donc bien présente sous forme de plan d’épargne retraite ou d’autres formes d’épargne (comme l’achat d’une résidence principale, qui apparaît souvent comme un substitut à l’épargne retraite) en France. Ceci dit, la détention de plan d’épargne retraite reste limitée ; elle concerne, selon l’OCDE, 22,9 % de la population en 2021 (PER, Madelin, article 83, Perco, Préfon, etc.) à comparer à 93 % de la population néerlandaise où les fonds représentent 213 % du PIB en 2021 (12,1 % du PIB en France).

Si l’on élargit à l’assurance vie, le taux de détention est plus élevé et atteint, pour 2020-2021, 47 % des ménages français.

Concernant le financement direct de l’économie française par le biais d’actions, la France apparait plutôt en retrait par rapport aux autres pays : selon l’OCDE, en 2021, les fonds de pension français investissaient en actions pour 13 % (30,9 aux Pays-Bas et 27,3 pour les « 16 juridictions » de référence de l’OCDE, comprenant des pays variés aux systèmes variés) ; les assureurs français déclaraient investir leurs réserves (116 % du PIB en 2020, dont 90 % d’assurance vie, pour 20 % en actions).

La loi PACTE du 22 mai 2019 introduit le Plan d’épargne retraite (PER) désormais seul véhicule d’épargne retraite garant de l’uniformisation des produits disponibles. S’agissant d’un produit dédié, il est prévu que sa liquidation se fasse en rente, donc, à la retraite. La gestion par défaut est une gestion dite « pilotée » qui sécurise progressivement l’actif au fur et à mesure qu’on s’approche de la retraite. On a souvent schématisé ce type de gestion sous l’expression de « votre âge en obligations », autrement dit, l’idée est d’avoir une importante part d’actions quand l’épargnant est jeune et de céder progressivement ces actions au profit d’actifs jugés moins risqués, au fur et à mesure que l’âge de la retraite se rapproche.

Il s’agit là d’utiliser les caractéristiques connues des différents actifs financiers et notamment, de la baisse de la probabilité de perte d’un portefeuille actions avec sa durée de détention (Hamayon et al., 2016).

Notre propos n’est pas ici de commenter la défiance traditionnelle envers la détention de produits d’épargne « débouclables » en rente. Les raisons en sont connues, notamment la sous-estimation de leur espérance de vie par les épargnants qui privilégient le capital à la rente.

En revanche, deux questions sont centrales : celle de savoir si la détention d’actions est de nature à augmenter le taux de rendement des produits d’épargne retraite, d’une part, et celle de savoir si cette détention d’actions serait bénéfique à l’économie.

La seconde question a donné lieu à une abondante littérature financière qui porte notamment sur la nécessité de favoriser la désintermédiation des financements de l’économie. Gossé et al. montrent notamment que le problème s’est accentué en Europe depuis la crise de la Covid, qui a asséché l’épargne publique alors que l’épargne privée a crû, tandis que l’on observe une faiblesse des investissements des entreprises.

Dans un blog récent (Orienter l’épargne européenne vers la croissance, europa.eu, daté du 9 mars 2023), plusieurs personnalités européennes, dont la présidente de la Banque Centrale Européenne (BCE), appellent à multiplier les dispositifs favorisant la capitalisation boursière européenne (en part du PIB, égale à la moitié de ce qu’elle est aux États-Unis) au profit des nombreux défis auxquels font face les Européens et notamment le financement d’une croissance plus verte et plus vertueuse ainsi que celui des jeunes pousses (start-up), en abaissant notablement les obstacles aux financements transfrontaliers par une accélération de l’Union des marchés des capitaux (UMC).

Orienter vers des actifs plus risqués sur le court terme

Pour ce qui est du gain en bien-être que pourraient tirer les cotisants/épargnants/retraités en détenant de l’épargne retraite, dans l’article déjà cité (Hamayon et al., 2021), les auteurs se livrent à un exercice qui consiste à simuler des taux de remplacement globaux (répartition plus épargne retraite) en tenant compte des caractéristiques de long terme des différents actifs financiers.

Deux simulations sont proposées. L’une, très prudente, dite « profil 99 % », sélectionne une succession d’allocations qui préservent le capital investi dans 99 % des cas, et une autre, plus risquée, dite « profil 90 % ». Dans les deux cas, les simulations sont faites avec un effort d’épargne de 5 %, et une hypothèse de retour des rendements vers l’équilibre de long terme.

À noter que dans les deux cas, l’accumulation du capital ainsi généré ainsi que les caractéristiques des rendements sont réinjectés dans le modèle macroéconomique, évitant ainsi toute comparaison à plat des rendements, sans qu’ils ne découlent de la dynamique économique. On constate que dans le cas le plus risqué, on a un gain de 10 % de taux de remplacement pour la génération 1995 (voir graphiques).

Dans les deux cas toutefois, on observe un gain de rendement pour les épargnants/retraités au prix d’une diversification accrue et d’une dispersion augmentée des rendements et taux de remplacement (toutefois bordés à la baisse par ceux qui dérivent du régime par répartition).

Si l’augmentation du taux de remplacement découle directement des caractéristiques à long terme du rendement des actions, bien connues pour résister notamment à l’inflation, la dispersion est inhérente à la volatilité de ces actifs. L’exercice conduit par Hamayon et al. (2021) a d’ailleurs pour objectif de montrer qu’il est trop simpliste de ne procéder qu’à la comparaison de rendements pour déduire l’optimalité d’un système par rapport à un autre.

Un problème majeur réside alors dans le fait qu’inciter des agents « risquophobes » ou à forte préférence pour la liquidité à investir dans des actifs présentant des risques sur le court terme est loin de la culture des intermédiaires financiers et risque de se heurter à des a priori culturels. Il faudra donc tenter de lever les obstacles à l’adoption par les ménages de « véritables produits d’épargne retraite », bénéficiant pleinement des caractéristiques statistiques des actions sur le long terme.

Une autre condition est de rendre cette détention favorable à la croissance en accélérant la mise en place de l’UMC (aligner les législations, favoriser l’accès aux informations financières, simplifier l’accès aux marchés des capitaux notamment pour les petites entreprises) mais aussi en sécurisant l’espace européen pour l’épargne et l’investissement à long terme des particuliers.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881bis
Estimation des taux de remplacement moyens pour une pension calculée à taux plein ; Salariés du privé (Base + Complémentaires) ; indexation des pensions sur les prix ; productivité 1,5 %
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Taux d’épargne des ménages – Sélection de pays européens
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Taux de remplacement corrigés avec épargne-retraite (hypothèse de risque plus important) - Profil 90 %, effort d’épargne : 5 % ; Salariés du privé (Base + Complémentaires) ; indexation des pensions sur les prix ; H2 : hypothèse d’une force de rappel vers l’équilibre de long terme
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Taux de remplacement corrigés avec épargne-retraite sans risque - Profil 99 %, effort d’épargne : 5 % ; Salariés du privé (Base + Complémentaires) ; indexation des pensions sur les prix ; H2 : hypothèse d’une force de rappel vers l’équilibre de long terme
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Bibliographie
Arrondel L., Delbos J.-B., Durant D., Pfister C. et Soulat L. (2020), « Pension anticipée et épargne financière des ménages », Revue de l’OFCE, 170 (2020/6), pp. 227-259.
France assureurs (2021), Les placements de l’assurance en 2020, nov.
Gossé J.-B., Hermet E., Mourjane A. et Dufouleu M. (2020), « Développer l’Union des marchés de capitaux pour mobiliser l’épargne et stimuler l’investissement en Europe », Bulletin de la Banque de France, 231/3, sept.-oct.
Hamayon S., Legros F.et Pradat Y. (2016), « Non Gaussian Returns and Pension Funds Asset Allocation », Review of Accounting and Finance, vol. 15, n° 4, pp. 416-444.
Hamayon S., Legros F. et Pradat Y. (2021). « Quel rendement attendre de l’épargne retraite pour pallier la baisse projetée des taux de remplacement en répartition ? », Cahier de recherche du Cerefige, université de Lorraine.
OECD, Pension Markets in Focus 2022, Global pension statistics-OECD.
RB