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Économie bancaire

Les banques, la norme IFRS 9 et le coronavirus

Créé le

20.05.2020

IFRS 9 prétendait combattre la procyclicité de la norme IAS39. Dans le contexte de la crise du coronavirus, la combinaison de l’accroissement du risque et de l’allongement de l’horizon de provisionnement qu’elle implique entraîne une hausse des provisions. Pour préserver la capacité des banques à prêter, les autorités appellent à la souplesse dans l’interprétation de la norme, tandis que le superviseur cherche à en contenir les effets sur les ratios de solvabilité.

Jusqu’en 2017, le provisionnement bancaire reposait sur l’approche des « pertes encourues » qui conduisait les banques européennes à ne provisionner que tardivement leurs pertes de crédit, lors de la survenance d’un défaut (norme IAS 39). Cela impliquait un coût du risque très bas la plupart du temps, puis un effort de provisionnement substantiel lorsque le cycle se retournait. La « procyclicité » des provisions bancaires qui en résultait entraînait mécaniquement celle des ratios de solvabilité bancaires et de l’offre de crédit. La conséquence redoutée en était une amplification du cycle économique via l’offre de crédit bancaire. Sous l’égide du G20, les normalisateurs comptables ont fait évoluer leurs normes vers le modèle dit des « pertes attendues ». Leurs recommandations ont abouti à l’entrée en vigueur de la norme IFRS 9 en 2018 dans l’Union européenne, puis à celle de la norme CECL (Current Expected Credit Losses), en 2020, aux États-Unis. Dans le contexte de la crise du coronavirus, les autorités européennes ont invité les banques à appliquer la première avec souplesse, tandis que, dans le cadre du CARES Act [1] , promulgué le 27 mars, le législateur américain a suspendu (pour les banques qui le souhaitent) l’application de la seconde jusqu’à la fin de l’année ou la fin de l’état d’« urgence nationale ».

Introduite le 1er janvier 2018, la norme IFRS 9 oblige les banques à constituer des provisions pour tout encours de prêt sain (phase 1), lesdites provisions ayant vocation à couvrir les pertes attendues à un horizon de douze mois. Si le risque de crédit augmente significativement (phase 2) ou si le prêt devient non performant (phase 3), la banque doit alors provisionner les nouvelles pertes attendues sur la durée de vie résiduelle du prêt (et non plus sur douze mois).

IFRS 9 supposée moins procyclique qu'IAS39

Sous l’empire de la précédente norme IAS 39, la hausse des provisions était concentrée au cours du trimestre durant lequel intervenait un évènement de crédit. Avec la norme IFRS 9, cette hausse est étalée dans le temps puisque répartie entre les phases 1, et surtout 2 et 3. L’application de la norme IFRS 9 étant rétrospective, son introduction en 2018 avait conduit les banques européennes à enregistrer des provisions sur les encours sains, avec une incidence moyenne estimée de l’ordre de 50 points de base sur les ratios CET1.

La crise du coronavirus constitue la première expérience in vivo de l’incidence de la norme IFRS 9 au cours d’un retournement de cycle. Ainsi, le coût du risque des quatre premières banques françaises [2] a été multiplié par plus de deux entre les premiers trimestres 2019 (1,6 milliard d’euros) et 2020 (3,6 milliards), principalement en raison de la migration d’une proportion importante de prêts en phase 2.

Alors que de larges pans des plans de soutien à l’économie reposent sur le système bancaire, les autorités européennes s’inquiètent d’une augmentation excessivement brutale et prospective des provisions. Cette dernière affecterait en effet négativement les résultats et ratios de solvabilité et, in fine, la capacité des banques à financer les entreprises et les ménages.

La norme IFRS 9 assouplie par la Commission européenne

Dans une lettre qu’il leur a adressée le 1er avril, le Mécanisme de Supervision Unique (MSU) de la BCE offrait aux grandes banques placées sous sa surveillance directe la faculté de revenir à l’approche transitoire de la norme IFRS 9, quand bien même elles auraient déjà opté en faveur de la pleine application de la norme [3] . Cette faculté permet de ne pas répercuter la volatilité accrue des provisions liée à l’application d’IFRS 9 sur les ratios de solvabilité à compter de 2020.

Pour sa part, la Commission européenne invitait, le 28 avril dernier [4] , les banques à faire un large usage des marges d’appréciation autorisées par la norme pour atténuer l’incidence de la crise sur les provisions, sans amoindrir toutefois la confiance des investisseurs. Elle s’appuyait notamment sur les indications de l’IASB, selon lesquelles les banques ne doivent pas appliquer mécaniquement leurs approches existantes de pertes attendues pour déterminer le montant des provisions dans des circonstances exceptionnelles comme celles de la crise du coronavirus.

Reports d’échéances : un traitement spécial pendant la crise

Une question importante a trait au traitement des reports d’échéances, encouragés par les pouvoirs publics, dont l’objectif est de favoriser l’étalement des remboursements afin d’éviter une recrudescence des défauts de paiement. Pour l’IASB, l'octroi général d’une période de report d’échéances (principal et intérêts) au bénéfice d’un grand nombre d’emprunteurs pour une catégorie particulière d'instruments financiers ne devrait pas conduire systématiquement à la comptabilisation d'une perte de crédit attendue. Dans un communiqué publié le 25 mars [5] , l’EBA précise qu’un moratoire de dette ne conduit pas automatiquement à la dépréciation de la créance qui en est l’objet. Cette position est également partagée par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) selon laquelle « les mesures à caractère général mises en œuvre permettant entre autres des suspensions ou reports de paiement ou l'octroi de crédits complémentaires ne constituent pas mécaniquement un indicateur d'augmentation significative du risque de crédit des actifs financiers concernés en tant que tel ».

 

1 Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security.
2 Sur base consolidée groupe.
3 ECB, Banking Supervision, « IFRS 9 in the context of the coronavirus (COVID-19) pandemic », SSM-2020-0154, 1er avril 2020 : https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/letterstobanks/shared/pdf/2020/ssm.2020_letter_IFRS_9_in_the_context_of_the_coronavirus_COVID-19_pandemic.en.pdf.
4 « Commission Interpretative Communication on the application of the accounting and prudential frameworks to facilitate EU bank lending », 28 avril 2020, COM(2020) 169 final : https://ec.europa.eu/finance/docs/law/200428-banking-package-communication_en.pdf.
5 « EBA provides clarity to banks and consumers on the application of the prudential framework in light of COVID-19 measures » : https://eba.europa.eu/eba-provides-clarity-banks-consumers-application-prudential-framework-light-covid-19-measures.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº845
Notes :
1 Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security.
2 Sur base consolidée groupe.
3 ECB, Banking Supervision, « IFRS 9 in the context of the coronavirus (COVID-19) pandemic », SSM-2020-0154, 1er avril 2020 : https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/letterstobanks/shared/pdf/2020/ssm.2020_letter_IFRS_9_in_the_context_of_the_coronavirus_COVID-19_pandemic.en.pdf.
4 « Commission Interpretative Communication on the application of the accounting and prudential frameworks to facilitate EU bank lending », 28 avril 2020, COM(2020) 169 final : https://ec.europa.eu/finance/docs/law/200428-banking-package-communication_en.pdf.
5 « EBA provides clarity to banks and consumers on the application of the prudential framework in light of COVID-19 measures » : https://eba.europa.eu/eba-provides-clarity-banks-consumers-application-prudential-framework-light-covid-19-measures.
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