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Rappel de l’office du juge dans la mise en œuvre de la loi étrangère applicable à une ouverture de crédit

Créé le

06.12.2023

Pour condamner M et Mme [N] au remboursement de l’ouverture de crédit et rejeter leurs demandes tendant à mettre en cause la responsabilité contractuelle de la BIL, notamment pour manquement à son devoir de mise en garde, l’arrêt, après avoir reconnu que seul le droit luxembourgeois était applicable au litige, retient qu’ayant signé la convention de prêt du 8 avril 2015, les intimés ne pouvaient reprocher à la Banque d’avoir organisé le recouvrement d’une créance compromise au motif que le compte de la société Financial Way était débiteur à la date d’octroi du crédit le 21 avril 2015, ce que les époux [N] ne pouvaient eux-mêmes ignorer compte tenu de leur rôle dans cette société, qu’ils ne pouvaient en outre tirer argument de la procédure de faillite prononcée à l’égard de cette société par jugement du tribunal de commerce du Luxembourg le 3 octobre 2016 avec fixation de la date de cessation des paiements au 3 avril 2016 dans la mesure où ils échouaient à démontrer que la Banque aurait disposé d’informations supplémentaires sur cette société dont ils n’auraient pas eu connaissance, qu’enfin l’établissement de crédit qui accorde un prêt à un emprunteur non averti est tenu d’un devoir de mise en garde sur les risques d’endettement nés de l’octroi du prêt eu égard aux capacités financières de l’emprunteur et que les éléments produits par la banque attestaient de la qualité de professionnels avertis des époux [N], de sorte que la BIL n’était tenue d’aucun devoir de mise en garde. En se déterminant ainsi, sans préciser sur quelles dispositions du droit luxembourgeois, qu’elle reconnaissait pourtant applicable, elle a fondé sa décision, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

C’est encore avec le Duché de Luxembourg que l’affaire jugée le 27 septembre 2023 par la première chambre civile entretient des liens. Rendu au visa toujours solennel de l’article 3 du Code civil, cet arrêt fait une application dans le contexte d’un litige bancaire des principes relatifs à l’établissement par le juge national du contenu de la loi étrangère, raison essentielle pour laquelle on le signalera aux lecteurs. Quoiqu’il constitue une manifestation dans le domaine bancaire international de la transversalité des difficultés en la matière, il n’est guère remarquable sur le terrain des principes mis en œuvre et des conditions de son application.

Le litige portait sur l’ouverture de crédit consenti par une banque luxembourgeoise à un couple, qui donna lieu au versement de l’essentiel du capital au compte d’une société dont les parts étaient détenues par les emprunteurs, tout recours contre la société réceptionnaire des fonds s’étant trouvé exclu par suite de sa mise en liquidation. N’ayant pas été remboursée à l’échéance, la banque les avait assignés en paiement du capital et des intérêts conventionnels, majorés d’intérêts de retards. Condamnés en appel à rembourser l’intégralité des sommes réclamées, les emprunteurs formèrent un pourvoi reprochant à la Cour d’appel les conditions d’application de la loi luxembourgeoise, jugée applicable sans contestation entre les parties, et, plus particulièrement, les conditions du rejet de leur demande reconventionnelle tendant à établir la responsabilité de la banque au titre d’une méconnaissance de son devoir de mise en garde. Articulé en deux branches, le premier moyen du pourvoi se fondait en effet sur un manque de base de légale au regard de l’article 3 du Code civil résultant de l’absence de précisions quant aux dispositions luxembourgeoises applicables. L’interprétation en était éclairée par la reprise de la formulation actuelle de l’office du juge quant à l’établissement du contenu de la loi étrangère résultant des célèbres arrêts Aubin et Itraco1 : « il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ».

Les motifs de l’arrêt attaqué se résumaient en effet à deux séries d’éléments de fait bien généraux relatifs à la connaissance que devaient avoir les emprunteurs du découvert au compte de la société réceptionnaire, et à l’ignorance dans laquelle se trouvait la banque de sa situation gravement obérée, ainsi qu’à la qualité d’emprunteurs avertis des demandeurs au pourvoi, dispensant ainsi la banque d’un quelconque devoir de mise en garde.

Point donc, de précision quant au contenu de la loi applicable ni de raisonnement permettant d’en préciser l’application. Les conditions de rejet de la demande relative à la violation par la banque de son devoir de mise en garde donnaient en outre une assez nette appréciation de décalque bien sommaire des solutions de principe... du droit français. Cette application trop visible de la jurisprudence interne au faux-nez du droit luxembourgeois était manifestement défectueuse compte tenu de la définition actuelle de l’office du juge.

La cassation prononcée par la chambre civile ne suscitera sans doute guère d’émoi. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº212
Notes :
1 Civ. 1re, 28 juin 2005, Aubin, n° 00-15.734 , Bull. civ. I, n° 289. – Com. 28 juin 2005, Sté Itraco, n° 02-14.686 , Bull. civ. IV, n° 138 : Rev. crit. DIP 2005. 645, note B. Ancel et H. Muir Watt ; D. 2005. 2853, note N. Bouche ; Dr. et patr. nov. 2005, n° 142, p. 108, obs. M.-E. Ancel ; Gaz. Pal. 24-25 févr. 2006, p. 20, note M.-L. Niboyet ; LPA 28 déc. 2005, n° 258, p. 16, note J.-G. Mahinga ; GAJDIP, n° 83.
RB