La dénomination ou nom d’un fonds d’investissement (OPCVM ou FIA) constitue un puissant instrument de communication et de marketing à destination des investisseurs potentiels. Cet élément d’identification, qui figure sur tous les documents d’information réglementaires et les communications publicitaires, est souvent le premier que les investisseurs perçoivent. Son attractivité peut avoir un impact significatif sur leurs décisions d’investissement. Dans une perspective de protection de l’investisseur, il importe que la dénomination choisie n’induise pas en erreur en étant trop éloignée des objectifs et de la stratégie d’investissement du fonds. Si la problématique des dénominations vagues, non fondées ou exagérées, est de nature à concerner tous les fonds d’investissement, le risque d’écoblanchiment (greenwashing) par l’utilisation de termes ou d’acronymes liés au champ lexical de la finance durable est loin d’être négligeable, eu égard à l’engouement des investisseurs et la compétitivité de ce secteur en pleine croissance. Le choix d’un nom accrocheur intégrant la durabilité fait partie des stratégies marketing de naming. Souhaitant surfer sur la vague du développement durable, certains gestionnaires ont d’ailleurs changé la dénomination de leurs fonds afin d’attirer davantage d’investisseurs.
Pour l’heure, le choix du nom des fonds d’investissement ne fait pas l’objet de dispositions législatives, réglementaires ou d’orientations spécifiques à l’échelle européenne. Il n’y a pas non plus de label européen pour les fonds ESG1. Ce choix participe de l’obligation du gestionnaire d’agir loyalement et équitablement au mieux des intérêts des fonds d’investissement qu’il gère2 et doit répondre aux exigences de qualité de toute information en la matière : claire, exacte et non trompeuse3. Certaines autorités de surveillance, dont l’Autorité des marchés financiers (AMF)4, ont d’ores et déjà émis des recommandations à ce sujet5.
Aussi, dans le but de lutter contre le phénomène de greenwashing, l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF-ESMA) a souhaité que l’emploi des termes liés à l’ESG et au développement durable dans les noms des fonds puisse être étayé de manière significative et cohérente dans les objectifs et la politique d’investissement des fonds. Dans le cadre de ses Instructions de supervision (Supervisory Briefing) sur les risques du développement durable et les informations à fournir dans le domaine de la gestion des investissements6, publiées le 31 mai 2022, elle a formulé des « Orientations fondées sur des principes concernant les dénominations de fonds contenant des termes liés à l’ESG ou au développement durable » (§ 29-31). Elle précise notamment que les noms des fonds ne doivent pas être trompeurs et que l’affichage de caractéristiques de durabilité doit être proportionnelle à l’application effective de ces caractéristiques par le fonds. Ainsi, les termes tels que « ESG », « vert », « durable », « social », « éthique », « impact » ou tout autre terme lié à l’ESG, doivent être utilisés uniquement lorsqu’ils sont étayés concrètement par des caractéristiques, thèmes ou objectifs de durabilité reflétés de manière loyale et cohérente dans les objectifs et la politique d’investissement du fonds, ainsi que sa stratégie, tels que décrits dans la documentation pertinente du fonds7.
Le 18 novembre 2022, l’ESMA a lancé une consultation publique sur les lignes directrices relatives aux noms de fonds utilisant des termes liés à l’ESG ou au développement durable8 complétant ces principes en proposant des critères de seuils quantitatifs pour l’utilisation de cette terminologie et pour évaluer l’adéquation de la dénomination des fonds à leurs engagements ESG ou de durabilité réels, dans le but de prévenir le risque de greenwashing. Ces lignes directrices s’adressent aux sociétés de gestion d’OPCVM et aux gestionnaires de FIA (dont les EuVECA, EuSEF, ELTIF), ainsi qu’aux autorités compétentes nationales. Quoique largement en faveur de la lutte contre le risque de greenwashing, les répondants ont émis certaines critiques à l’encontre de la proposition. Outre le fait que la problématique, qui intéresse tous les produits financiers, n’est pas spécifique aux fonds d’investissement, le calendrier, ainsi que les seuils proposés n’ont pas fait l’unanimité. À cela s’ajoute le manque de précision des caractéristiques exigées pour satisfaire aux obligations de transparence des articles 8 et 9 du règlement SFDR9.
Après avoir publié début octobre 2023, une étude très documentée sur les « ESG names and claims in the EU Fund Industry »10, l’ESMA a, dans une déclaration publique du 14 décembre 2023, présenté les points clés des modifications qu’elle entend intégrer dans ses prochaines lignes directrices. Prenant en compte les commentaires reçus des parties prenantes11, elle a amendé sa proposition de lignes directrices figurant dans la version du document de consultation12.
S’agissant du seuil d’investissements durables, dans le document de consultation, l’ESMA avait proposé de subordonner l’emploi de termes liés au développement durable dans une dénomination de fonds d’investissement à l’existence d’un seuil de 50 % d’investissements durables. À la suite de sa consultation, elle impose un seuil unique : les fonds doivent pouvoir justifier d’une proportion minimale de 80 % d’investissements pour répondre aux caractéristiques ou à leur objectif de durabilité.
Ensuite, pour ce qui concerne l’adaptation à la transition, l’ESMA propose de prendre en compte les exclusions Paris Aligned Benchmark (PAB) et Climate Transition Benchmark (CBT) posées respectivement par les points a) à f) et par les points a) à c) du paragraphe 1 de l’article 12 du Règlement délégué (UE) 2020/1818 de la Commission du 17 juillet 2020 complétant le règlement (UE) 2016/1011 du Parlement européen et du Conseil par des normes minimales pour les indices de référence « transition climatique » de l’Union et les indices de référence « accord de Paris » de l’Union13. Ce texte énonce que « Les administrateurs d’indices de référence “accord de Paris” de l’Union excluent de ces indices toutes les entreprises suivantes : a) les entreprises qui participent à des activités liées à des armes controversées ; b) les entreprises qui participent à la culture et à la production de tabac ; c) les entreprises dont les administrateurs d’indices de référence constatent qu’elles violent les principes du Pacte mondial des Nations unies ou les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’intention des entreprises multinationales ; d) les entreprises qui tirent au moins 1 % de leur chiffre d’affaires de la prospection, de l’extraction, de la distribution ou du raffinage de houille et de lignite ; e) les entreprises qui tirent au moins 10 % de leur chiffre d’affaires de la prospection, de l’extraction, de la distribution ou du raffinage de combustibles liquides ; f) les entreprises qui tirent au moins 50 % de leur chiffre d’affaires de la prospection, de l’extraction, de la fabrication ou de la distribution de combustibles gazeux ; g) les entreprises qui tirent au moins 50 % de leur chiffre d’affaires d’activités de production d’électricité présentant une intensité d’émission de GES supérieure à 100 g CO2 e/kWh. Aux fins du point a), on entend par “armes controversées” les armes controversées au sens des traités et conventions internationaux, des principes des Nations unies et, le cas échéant, de la législation nationale. »
L’ESMA reconnaît que les exclusions des combustibles fossiles du PAB contenues dans le document de consultation pourraient pénaliser certains fonds employant dans leur nom des termes, qui ne sont pas environnementaux ou qui se concentrent sur des stratégies de transition climatique. Aussi, suggère-t-elle en conséquence d’introduire dans ses orientations une nouvelle catégorie pour les fonds employant une terminologie liée à la « transition », auxquelles s’appliquent uniquement les exclusions du CTB. Elle propose également de séparer les termes liés à l’environnement « E » des termes sociaux « S » et de gouvernance « G ». Ainsi, les fonds utilisant des termes liés à l’environnement devront appliquer les exclusions du PAB, car leurs investisseurs doivent pouvoir raisonnablement s’attendre à ce que ces fonds n’investissent pas de manière significative dans les combustibles fossiles. En revanche, les fonds employant des termes sociaux ou de gouvernance pouvant voir leur univers d’investissement trop restreint par les exclusions des combustions fossiles du PAB se voient uniquement appliquer les exclusions du CTB. Pour les fonds employant des termes liés à la « durabilité », l’ESMA propose qu’ils fassent application des exclusions du PAB et qu’ils investissent de manière significative dans des investissements durables définis à l’article 2(17) du règlement SFDR14.
Lorsque les termes sont combinés dans la dénomination d’un fonds, l’ESMA considère que les règles de ses futures orientations sont cumulatives. Ainsi, un fonds comportant l’acronyme « ESG » devra faire applicable des exclusions du PAB. Mais afin de s’assurer que les stratégies de transition ne soient pas indûment affectées, l’autorité européenne précise que, lorsque des termes environnementaux sont utilisés en combinaison avec des termes de « transition » (par ex., ESG transition) dans le nom d’un fonds, les exclusions du CTB doivent s’appliquer. Elle considère toutefois que cela ne s’applique pas aux termes relatifs à la « durabilité », puisqu’ils renvoient toujours à cette notion, indépendamment de tout autre terme utilisé dans le nom. En ce cas, il convient d’appliquer les exclusions du PAB (par ex., pour un fonds « S » et « durable », comme dans « Socially Sustainable ».
En dernier lieu, l’autorité européenne considère que les fonds qui utilisent des termes liés à la « transition » ou à l’« impact » dans leur nom doivent s’assurer que les investissements sont bien réalisés dans l’intention de générer un impact social ou environnemental positif et mesurable en plus d’un rendement financier ou sont sur une voie de transition sociale ou environnementale claire et mesurable.
S’agissant du calendrier futur, l’ESMA a décidé de reporter l’adoption et la publication de ces lignes directrices peu après la date d’entrée en vigueur des directives AIFMD et OPCVM révisées15. Les lignes directrices s’appliqueront trois mois après la date de leur publication sur le site web de l’ESMA dans toutes les langues officielles de l’Union européenne. Les gestionnaires de nouveaux fonds devront se conformer aux lignes directrices à partir de leur date d’application. Les gestionnaires de fonds existants avant la date d’application des orientations devront s’y conformer dans les six mois suivant cette date. n