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Les mécanismes de coopération en matière de supervision bancaire

La genèse des instances internationales et européennes de coopération et le rôle des autorités nationales

Créé le

12.03.2020

La coopération en matière de supervision bancaire connaît de profondes évolutions au niveau européen, les nouveaux mécanismes de coopération mis en place dans le cadre de l’Union bancaire s’articulant avec des dispositifs de coopération plus classiques, tandis que la coopération est renforcée en matière de LCB-FT.

Pour ma part, je vais commencer par un panorama historique du dispositif de coopération autour de deux axes : d’abord la participation de l’ACPR dans les instances internationales, ayant vocation à élaborer un certain nombre de normes prudentielles, puis la participation de l’ACPR aux instances collégiales internationales micro-prudentielles que sont les collèges de supervision et les collèges de crise.

On verra les dispositifs qui encadrent cela et, dans cet « état du monde » que je vais dresser, nous verrons le rôle que l’ACPR a eu historiquement et celui qu’elle garde aujourd’hui, dans un cadre qui a fondamentalement changé avec la création du Single Supervisory Mechanism (SSM).

Mon fil rouge est que l’on peut constater que très souvent, ici comme ailleurs, c’est à la suite de crises ou d’événements, que l’on met en place des dispositifs de coopération.

 

Les instances internationales

La première instance, dont nous allons parler au niveau international, avant d’en venir aux instances européennes, est celle du Comité de Bâle, créé à la suite de la crise de la banque Herstatt en 1974 ; crise qui a matérialisé le risque de règlement-livraison dans le domaine du change, ce qui a engendré énormément de perturbations sur les marchés, et même une fermeture du marché du dollar américain pendant quelques jours.

C’est Peter Cooke, alors directeur à la banque d’Angleterre, qui avait suggéré la création d’un comité de banques centrales et d’organismes de surveillance bancaire pour traiter au niveau international les risques liés à l’effet domino et leur prévention.

Le Comité de Bâle, ainsi créé, a eu pour vocation d’élaborer des recommandations et des bonnes pratiques dont l’application est largement laissée à l’appréciation des Etats et chacun connaît bien les réalisations, à forte dimension quantitative, qu’ont été les ratios Cooke, Mc Donough, de Bâle I, II et III.

Mais ce n’est pas seulement au niveau des normes quantitatives que s’est illustré le Comité de Bâle. C’est aussi dans sa volonté de promouvoir un certain nombre de principes de supervision.

Le deuxième moment important, c’est le concordat de Bâle de 1983, qui entérine et promeut le principe d’une supervision consolidée, qui sous-tend et nécessite, pour les groupes transfrontières, un certain nombre de dispositifs de coopération au niveau des superviseurs.

Voilà donc pour le Comité de Bâle, et son fait générateur, ainsi que sa dimension à la fois quantitative et la promotion de bonnes pratiques de supervision.

Un peu plus tard a été créé le Conseil de stabilité financière (CSF), après la crise de 2008, lors du sommet du G20 de Londres (avril 2009). Il succède au Forum de stabilité financière (FSF) créé en 1999 par le G7 à la suite de la crise asiatique de 1998. Celui-ci a une ambition plus large, car il ne concerne pas seulement les banques mais aussi la supervision des assurances et des marchés ; son ambition est la maîtrise du risque au niveau de l’ensemble du système financier.

Voilà pour ce qui concerne les deux principales instances internationales, qui jouent le rôle de forum de coopération. Maintenant, nous allons passer au niveau européen.

 

Les instances européennes

En ce qui concerne le niveau européen, deux ans après la crise de 2008, l’Union européenne a promulgué un certain nombre de textes qui ont visé, dans le domaine bancaire, à donner plus de poids aux organismes qui existaient jusqu’alors – il s’agissait du CEBS – et qui a donné notamment naissance à l’Autorité bancaire européenne.

Si l’EBA ne dispose pas de pouvoirs réglementaires à proprement parler, elle participe à l’élaboration de la norme au travers de propositions faites à la Commission, qui sont reprises sous forme de directives ou de règlements. Elle le fait aussi via des textes qu’elle élabore directement : il s’agit des recommandations, orientations ou des lignes directrices, ce qu’on appellera « un droit mou », auxquels les Etats doivent se plier ou expliquer pourquoi ils s’en écartent.

Quand bien même le SSM a été créé en 2014[1], l’ACPR participe en tant que telle activement à ces travaux.

Un autre organisme s’est créé dans l’environnement européen : le Conseil européen sur le risque systémique, qui réunit à la BCE à la fois les superviseurs (l’ACPR) et les banques centrales. Même si on est dans le cadre du Mécanisme de supervision unique, piloté par la BCE, les autorités nationales telles que l’ACPR, ont toute leur place dans ce dispositif.

Enfin, le dernier élément de coordination qui a vu le jour à la faveur de la dernière crise de 2008, c’est le Mécanisme de résolution unique[2]. Né en 2011, il a vocation à traiter en partie la question du « too big to fail », et a comme piliers le Conseil de résolution unique mais aussi le Fonds de résolution unique. C’est un schéma de coopération proche du mécanisme de supervision unique (SSM), et qui s’intègre également dans le cadre de « crisis management group », en fonction du caractère très internationalisé ou non de l’organisme qui est sous supervision dudit MRU (qui a comme sphère de compétence essentiellement les banques sous supervision directe de la BCE).

Voilà pour ce qui est du panorama et de la genèse de ces différentes instances. La création du SSM sur laquelle reviendra Edouard Fernandez Bollo a modifié assez fondamentalement un nombre assez important de mécanismes de coopération au sein de la zone euro mais comme vous l’avez compris, dans un certain nombre d’instances, le superviseur français garde toute sa place.

 

Les accords de coopération

Après avoir vu les instances de coopération à caractère international ou européen, penchons-nous sur la deuxième modalité de coopération auquel participe le superviseur, qui est cette fois ci un petit peu plus micro-prudentiel. Il s’agit de tous les dispositifs autour d’accords bilatéraux (les Mémorandum of Understanding, les fameux MoU) qui se sont développés dans le cadre de différentes directives européennes, voire sur simple volonté des parties, et qui ont comme arrière-plan deux crises : celle de la BCCI (la Bank of Credit and Commerce International), que les Anglo-Saxons avaient rebaptisé la « Bank of Crooks and Criminals International », et puis celle de la banque Barings.

Avec ces événements, la nécessité de coopérer, de s’accorder sur des principes de responsabilité sur la supervision des groupes en fonction de leur implantation sous forme de succursales ou de filiales, a été promue à cette époque.

Si nous avions commencé, à l’ACPR (à l’époque, en 2004, il s’agissait de la Commission bancaire), à développer un certain nombre de collèges internationaux pour nos plus grosses banques, c’est surtout la directive de 2006[3] qui a rendu obligatoire les collèges de supervision pour disposer d’une vision consolidée et échanger le maximum d’informations.

Ces collèges de supervision s’appuient sur des accords de coopération bilatéraux ou multilatéraux, et pour reprendre ce qu’a dit Yves Mersch, ils ne sont possibles qu’à la condition que nous reconnaissions comme équivalentes un certain nombre de dispositions nationales de nos partenaires, notamment en matière de secret professionnel.

Aujourd’hui, les collèges européens ont perdu de leur importance, en raison de la mise en place du SSM, mais, pour autant, ils existent et se maintiennent car pour les petits établissements, qui sont sous la supervision directe des autorités nationales, l’animation des collèges de supervision, quand ils existent et sont rendus nécessaires, demeure, en grande partie ou en totalité, à la main de ces autorités.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nous avons en France des filiales ou des succursales d’établissements dont la maison mère est en dehors de l’Union européenne. Et là nous participons naturellement, en tant qu’autorité « host », à ces instances de coopération.

Les exercices de collège ne sont pas qu’un exercice de style ou une occasion de voyager. D’expérience, je peux vous assurer que si toutes les réunions n’ont pas la même densité, elles permettent fondamentalement de mieux se connaître. Or, quand survient un problème, rien ne remplace la capacité à pouvoir prendre son téléphone pour appeler les personnes avec qui s’est construite une relation de confiance à l’occasion des réunions et des évènements qui peuvent les entourer. C’est la franchise de ce dialogue qui est extrêmement utile pour gérer des crises.

Les Crisis Management Groups

Cela fait une bonne transition vers les collèges de gestion de crise (Crisis Management Group – CMG), que l’on a évoqués dans le cadre du MRU et qui sont des dispositifs qui visent à résoudre un groupe en difficulté lorsque ses capacités à se redresser lui-même n’ont pas suffi à le remettre sur les rails. Les CMG existent encore dans le cadre du MRU, notamment pour l’intégration des implantations ou des filiales installées en dehors de l’Union Européenne.

Ces groupes se sont articulés historiquement autour des éléments clés (key attributes) instaurés par le CSF que j’évoquais tout à l’heure.

Voilà, j’en finirai là avec le panorama des institutions internationales de coordination et d’élaboration de normes, ainsi qu’avec les outils de coopération bilatéraux et les Collèges de supervision.

J’ajouterai juste un mot avant de conclure pour dire que les autorités nationales ont toujours la possibilité d’élaborer des accords de coopération avec leurs homologues à l’étranger, en dehors de l’Union européenne, sur des thématiques qui font surface aujourd’hui, tant en termes d’évolution d’activités que de risques. Je pense aux accords que nous signons avec des autorités comme Singapour sur les FinTechs ou la cybersécurité.

En conclusion, vous aurez compris que je vous ai décrit un paysage qui a été largement façonné par les crises mais qui s’appuie aussi sur une réelle volonté de coopérer. Il n’y a pas que la crise qui nous incite à le faire, il y a aussi la nécessité de le faire. C’est un paysage qui a été modifié par l’intégration européenne mais c’est aussi un paysage où les autorités nationales gardent une place de choix, que ce soit dans les instances internationales de négociation des normes ou dans la participation à un certain nombre de forums pour la supervision microprudentielle.

 

 

[1]  NDLR: Règl. 1024/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JOUE L 287 du 29 octobre 2013, p. 63).

 

[2]  NDLR: Règl. 806/2014/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement 1093/2010/UE du Parlement européen et du Conseil (JOUE L 225 du 30 juillet 2014, p. 1).

 

[3]  NDLR: Dir. 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, art. 42 bis et 131 bis.

 

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À retrouver dans la revue
Banque et Droit NºHS-2020-1
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