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La durée du cautionnement
devra impérativement être indiquée dans la mention manuscrite... jusqu’à ce que ce ne soit plus nécessaire

Créé le

31.01.2024

Cass. com. 23 nov. 2023, pourvoi n° 22-17.913, F-B.

La Cour de cassation avait eu l’occasion déjà dans le passé de faire valoir que le respect des exigences légales de l’article L. 341-2 (ancien)1 du Code de la consommation (et cela vaut aussi pour les exigences identiques de l’article L. 331-1 du Code de la consommation qui avait remplacé L. 341-2) implique « l’indication d’une durée précise » dans la mention que la caution aura dû rédiger de sa main lorsqu’elle est une personne physique engagée par acte sous seing privé envers un créancier professionnel2.

Cette solution vient d’être réitérée, fermement, dans un arrêt rendu le 23 novembre 2023, par la même chambre commerciale de la Cour de cassation, et un contexte qui pouvait laisser espérer autre chose.

L’arrêt d’appel mis en cause en l’espèce avait énoncé, conformément à la directive jurisprudentielle susvisée, que « la mention manuscrite de la durée du cautionnement doit être exprimée de manière précise et sans qu’il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l’acte », de sorte que la simple mention « pour la durée de l’emprunt », sans que soit précisée cette durée, ne pouvait être regardée comme suffisante. Le pourvoi dont cet arrêt était frappé jugeait au contraire la mention litigieuse suffisante, en insistant sur le fait que le cautionnement avait été pris au bas de l’acte de prêt lui-même, dont les clauses dactylographiées précisaient clairement la durée de l’emprunt, et que, de fait, c’est aussi là qu’avait été apposée la mention. La Cour de cassation donne cependant raison aux juges du fond d’avoir « exactement retenu » que, « à défaut de précision de la durée de l’emprunt dans cette mention, celle-ci ne permettait pas à la caution d’avoir une pleine connaissance de la portée de son engagement ». Le pourvoi est en conséquence rejeté et le cautionnement annulé par les juges du fond reste nul.

Cette issue n’est certes pas une surprise mais on peut la regretter. Une autre solution aurait été sans doute possible, pour deux raisons, que l’on peut évoquer rapidement puisque le contentieux que peut susciter l’article L. 341-2 ancien du Code de la consommation, à l’aune duquel doit être appréciée la validité de tous les cautionnements souscrits avant 2023, n’est pas près de se tarir (le cautionnement à propos duquel est rendu l’arrêt commenté avait du reste été souscrit en 2009).

La première raison est que le cautionnement ici contesté couvrait une dette déterminée (le remboursement d’un emprunt, garanti à hauteur d’une partie de celui-ci), hypothèse où la nécessité d’indiquer une durée est (était) plus curieuse encore que dans le cas du cautionnement d’un ensemble de dettes indéterminées. Dans ce second cas l’exigence de l’indication d’une durée déterminée est quelque peu gênante puisqu’elle interdira à la caution de résilier unilatéralement son engagement lorsque, par exemple, auront pris fin les fonctions qu’elle occupait et qui pouvaient expliquer qu’elle ait pris un engagement aussi incertain. Pour autant, la caution ne sera pas tenue indéfiniment. Mais dans le premier cas, l’exigence de l’indication d’une durée est quelque peu absurde puisque le principe, qui relève a priori de l’essence même de l’engagement de la caution, doit être qu’elle reste tenue tant que la dette déterminée qu’elle garantit n’aura pas été remboursée et éteinte. De fait, dans un arrêt rendu le 15 novembre 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait semblé ouvrir en ce sens une porte3. Un cautionnement avait été souscrit en garantie de deux « factures » (deux dettes déterminées, par conséquent). La mention qui y avait été apposée se contentait d’indiquer que l’engagement devait valoir « jusqu’au paiement effectif des sommes dues ». La Cour de cassation pourtant, à la suite des juges du fond, avait choisi de ne pas sanctionner, considérant du reste que « le cautionnement à durée indéterminé est licite », et que la mention litigieuse « ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale » (i. e. ne contrevenait pas aux exigences légales, pouvait-on comprendre, dont l’intérêt et le domaine précis avaient sans doute été mal saisis jusque-là). La porte entrouverte alors vient cependant manifestement de se refermer, ce qui est d’autant plus malheureux qu’une autre raison aurait pu pousser à ce qu’il en soit autrement, et qu’ainsi la Cour de cassation n’abandonne pas la marge de manœuvre qu’elle semblait avoir voulu et su se donner sur le point considéré, pour le cas du cautionnement déterminé au moins.

Cette deuxième raison est que, sur cette question de la durée du cautionnement et des indications qui la concernent, la loi vient de changer du tout au tout, dès lors que, depuis la réforme du droit des sûretés entrée en vigueur l’an passé, il n’est plus nécessaire de faire figurer jamais dans la mention manuscrite requise quelque allusion que ce soit à la durée de l’engagement4, ce qui revient à reconnaître que l’exigence qu’il en soit autrement n’avait sans doute pas été si bien pensée et, bien sûr, à admettre de nouveau la validité du cautionnement à durée indéterminé, en toutes hypothèses. Naturellement, c’est bien à l’aune des termes de l’ancien article L. 341-2 du Code de la consommation que la validité de l’acte de 2009 soumis à l’attention de l’arrêt commenté devait être appréciée, et non de ceux de l’article 2297 nouveau du Code civil. Il n’empêche que l’évolution législative dont on parle rendait l’interprétation ébauchée en 2017 plus opportune que jamais, qui pouvait même apparaître comme s’imposant dorénavant aussi sûrement que ces interprétations du droit interne que l’on fait parfois « à la lumière » des directives européennes non transposées, qui ne sont pourtant pas plus directement applicables par le juge, par hypothèse, que ne pouvaient l’être ici les exigences de mentions nouvelles. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
Notes :
1 « Toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : “En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n’y satisfait pas lui-même » (pour ce qui est de la version du texte qui était applicable à la cause).
2 Cass. com. 13 déc. 2017 : JCP 2018, 77, note J.-D. Pellier; RTD civ. 2018, p. 184, obs. P. Crocq ; RD bancaire et fin., janv.-févr. 2018, comm. 4, D. Legeais ; Banque et Droit n° 177, janv.-févr. 2018, p. 56, obs. F. Jacob.
3 Cass. com. 15 nov. 2017 : D. 2018, p. 392, note M.-P. Dumont-Lefrand ; JCP 2018, 13, note Ph. Simler ; RTD civ. 2018, p. 184, obs. P. Crocq ; RD bancaire et fin., janv.-févr. 2018, comm. 3 et 6, D. Legeais ; Banque et Droit n° 177, janv.-févr. 2018, p. 56, obs. F. Jacob.
4 C. civ., art. 2297 nouveau, al. 1er : « À peine de nullité de son engagement, la caution personne physique appose elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. »
RB