1. La connaissance des divers régimes contractuels qualifiés de crédit ne donne pas l’idée pure de crédit. Les multiples précisions, légales et jurisprudentielles, des vingt techniques de crédits les plus usuelles, donnent le sentiment d’une bonne connaissance du crédit. La synthèse n’est cependant pas faite par une idée, un mot, un critère1. Elle est faite sur des conditions générales traduisant le crédit, une sorte de régime juridique voulu général. Le thème du crédit s’entame volontiers par un chapitre sur la mythique « ouverture de crédit »2, quitte, à l’occasion, à terminer les généralités par la résiliation de l’ouverture : sa fermeture. Voilà une présentation voilée, le contrat de crédit n’existe pas en genre. N’existent que des espèces de contrats de crédit. Cerner le contrat de crédit supposerait, moins qu’un régime général, d’en connaître le critère.
2. Ce critère est inconnu, sa question même est rarement posée. Les crédits sont pourtant un grand phénomène juridique et le cœur des « opérations de crédit », notion légale qui, elle, est l’objet de diverses explications. L’expression a pu venir des « opérations de banque », appellation traditionnelle du droit commercial. Dans le Code de commerce, les opérations de banque sont à l’origine une catégorie générale, une enveloppe, une catégorie d’actes de commerce qui ne cite pas les actes juridiques et contrats en cause (anc. art. 632, 6° ; art. 110-1, 7°).
3. Comme un écho, l’expression « opérations de banque » désigne également, et depuis longtemps, les contours du « monopole bancaire », les activités réservées aux banques dans la loi dite bancaire de 1984 (art. 1er, al. 2), texte codifié et retouché3. Font partie de ces opérations de banque certaines situations ou actes juridiques (réception de fonds) et deux autres séries d’opérations (les « opérations de crédits » et « services bancaires de paiement »). C’est seulement la définition descriptive des opérations de crédit (CMF, art. L. 313-1 du CMF)4 qui désigne les actes juridiques qualifiés de crédits (le prêt, la promesse de prêt...) ; la mention de tout « engagement par signature » est, dans cet article, une nouvelle catégorie d’opérations, mais cette enveloppe est explicitée avec les cas de l’aval et du cautionnement. Chaque niveau d’opérations repousse le moment où l’on cerne tel ou tel crédit...
4. Outre cette définition par énumération de divers actes juridiques, utile au domaine bancaire, l’opération de crédit est, dans le Code de la consommation depuis 2010, l’enveloppe regroupant divers actes, qualifiés de crédits aux consommateurs (C. cons., art. L. 311-1, 4°)5. Ces actes sont soumis aux régimes de protection notamment dits « crédit à la consommation » et « crédits immobiliers »6. L’exposé du droit positif des opérations de crédit est si difficile à faire qu’il dispense, en pratique, de dire ce qu’est le crédit autrement que par ce mot, autrement que par son appellation commune. Là réside le point sensible ou défi : énoncer ce qu’est fondamentalement une opération de crédit, le crédit, en un mot ou expression, en une idée ou critère7.
5. Fondamentalement ne vise souvent qu’un degré supplémentaire d’explication. Cet idéalisme demeure pratique quand le choix d’un critère repose et s’extirpe de règles positives, il est un positivisme. L’esprit est désormais détourné de cet effort d’approfondissement et de recherche d’un critère : la législation suggère au contraire une réflexion stratosphérique sur les services qui structurent le droit de l’argent (dépôts, paiements, investissements et crédits)8. Le crédit est pour sa part noyé dans les vastes services des crédits, catégorie souvent latente, parfois saillante9. Cette nouvelle généralité éloigne de la question fondamentale, bien que les services exigent encore des actes juridiques ; l’Union européenne (UE) pose seulement des conditions de services desquels se déduira tel contrat, dûment aménagé. Elle entretient le « monopole bancaire » sans dire ce qu’est fondamentalement le crédit10. La loi européenne tient en pure puissance politique avec un art juridique limité et superficiel.
6. En France (...), autant en théorie qu’en pratique, l’affaire SFR/Free a témoigné des incertitudes sur le crédit11. La Cour de cassation a dégagé un nouveau type de crédit (aux consommateurs) qui a surpris. La notion d’opérations de crédit n’est pas une liste exhaustive des crédits qu’elle comporte. Ni celle en cause là (C. cons., art. L. 311-1, 4°, préc.), ni l’autre (CMF, art. L. 313-1, préc.) n’est assez pertinente pour qu’il en aille ainsi. Cet arrêt de 2018 confirme le caractère compréhensif de la notion d’opération de crédit, qu’importe la nature du litige opposant, sur fond de concurrence, des fournisseurs pratiquant des facilités de paiement à leurs clients (ici sans recours à un établissement agréé). L’affaire Free reste pendante au fond après qu’il a été confirmé la faute concurrentielle et l’existence de préjudices, ce qui fonde la compétence de la chambre commerciale de la Cour de cassation12, habituée des opérations de crédit bancaires.
7. Il est jugé qu’un crédit peut résulter d’un (simple) abonnement à un service téléphonique et d’une « subvention » de smartphone13 ― donné au client lors de la souscription. Un abonnement à un service de téléphonie et une subvention de téléphone (immédiatement transféré en propriété au client) constituent un crédit. Il n’y a pas là un service au sens des services d’un professionnel de la banque. Il s’agit d’un crédit du fournisseur à son client soit, au sens commun ou juridique, d’une facilité de paiement. Comme en l’espèce, de nouveaux crédits surgiront du néant juridique grâce à tel contrat ou montage contractuel. L’absence d’une définition efficace des opérations de crédit, donc du crédit (I.), tient à la notion, difficile (II.), qui accepte que le crédit se réalise par divers contrats spéciaux (III.) dont il faudrait trouver le critère qui en fait un crédit (IV.).
I. 8. Les opérations de crédit sont définies par la célèbre énumération légale de divers actes14. En effet, si elles sont habituelles et rémunérées, elles sont des « opérations de banque » réservées aux établissements agréés. Ce dispositif poursuit des objectifs de distribution, contrôle et régulation de la monnaie ; les sujétions de ces établissements sont lourdes : ce dispositif ne leur accorde aucun privilège, soit monopole15. Les crédits de ces établissements sont des opérations de banque parce qu’ils participent de ce triple objectif (distribuer, contrôler, réguler) monétaire. En effet, le crédit ou sa distribution expose l’établissement à de grands risques et menace la stabilité du secteur financier et donc celle de l’économie. L’entendement du concept du crédit dépasse ses remarquables caractères légaux (onéreux, habituel, gratuit, etc.), qui importent peu pour déterminer ledit concept. Cela importe pour comprendre en pur droit positif les opérations de crédit réservées aux banques mais sans suffire : la compréhension impose encore de savoir ce qu’est un crédit. Ces dispositions constituent néanmoins les éléments de la discussion. Qu’est-ce qu’un crédit ?
9. Entendu sous l’angle bancaire, l’opération de crédit définie à l’article L. 313-1, précité, atteste que le concept n’est pas maîtrisé. Les définitions par énumération affichent communément, il est vrai, une infirmité. Cornu nota qu’il y a « les définitions qui portent sur le grain des choses et celles qui portent sur la paille des mots... »16. Ici, on constate une boiterie législative tenant à la différence entre les crédits offrant des liquidités (les concours financiers...), ceux fournissant un bien (le crédit-bail ou location avec option d’achat), et les crédits par signature. Les crédits par signature semblent loin du prêt ― même en donnant au prêt et à la caution cette même qualification d’opération de crédit, laquelle offre une vue singulière des contrats spéciaux ainsi reclassés. L’enveloppe « opération de crédit »17 évite alors de trop s’interroger sur le fait des contrats spéciaux, la discussion sur le sens de l’expression « opération de crédit » évitera un terrain glissant pour placer sur un terrain neuf. L’appellation « opérations de crédit » surplombe et se détache des divers crédits sans bien prendre un sens propre et précis aussi net que son caractère général, et ce à défaut d’une définition substantielle18. Elle fige ainsi l’incongruité initiale d’acte de crédits très différents et invite à les colporter19. Le prêt d’argent n’a, selon l’entendement commun, rien à voir avec les autres techniques, dont celle du crédit par signature, lequel n’a rien à voir avec le crédit-bail...
10. La notion ou énumération du Code de la consommation (art. L. 311-1, préc.), plus unitaire, choque moins. Mais le prêt diffère encore du découvert en compte ou de la facilité de paiement... À nouveau, techniques et contextes diffèrent nettement. La notion sert cette fois à désigner les actes qui seront soumis au formalisme consumériste, à nouveau sans que la liste soit assez pertinente pour être exhaustive, l’arrêt de 2018 de l’affaire SFR/Free le juge nettement. Ces deux listes d’actes juridiques légifèrent sur des plans différents mais se réfèrent au même concept. Qu’importe que, dans un cas, il s’agisse des crédits des prestataires de services de crédit (dont les banques) et, dans l’autre, les crédits des fournisseurs à leurs clients. Le législateur vise les seules opérations de crédit qu’il sait citer, dans leur contexte respectif, et ces listes ne sont donc pas limitatives.
11. Ces deux articles sur les opérations de crédit formulent une discrète invitation. La liberté contractuelle autorise banques et fournisseurs à créer de nouveaux crédits, complétant chacune de ces listes. L’évolution est paradoxale : le Code de la consommation entaille la liberté de son formalisme (une prochaine directive pourra l’alléger pour ce cas d’abonnement avec subvention d’une chose). Le juge du droit le décide pourtant pour les fournisseurs dans l’affaire Free/SFR : un abonnement et une subvention font crédit ! L’évolution est entravée par la dépendance du crédit au modèle du prêt. Alors que la Cour de cassation consacre une nouvelle technique de crédit, au demeurant remarquable, l’arrêt du 27 mai 2018 signale d’un seul mot la situation. Jugeant qu’un abonnement de service et une « subvention » de téléphone valent crédit, un nouveau crédit, la Cour évoque « l’emprunteur »20. Or, malgré les hésitations terminologiques des parties et des documents contractuels, il n’y avait ni prêt ni emprunteur dans la commercialisation de SFR. Cet acte manqué du juge affiche au moins sa conviction profonde d’un « fait de crédit » ou « situation de crédit » : d’un crédit. Le juriste dit « crédit » et pense « prêt » – octroi et remboursement d’argent21. Le biais des juristes peut ainsi ressurgir et opérer chez le juge de cassation au moment même où il dénie cette dépendance au modèle du prêt.
II. 12. Malgré ses deux définitions par énumération, la loi répond mal à la question de savoir ce qu’est un crédit22. Aucune formule proche de celle de SFR n’y figure. L’arrêt de la Cour de cassation a surpris23. L’insuffisance des deux définitions24 met le juge en position de faire jurisprudence, tout en considérant la définition du Code monétaire et financier25. Si la question a un aspect essentiellement de « droit bancaire », les commerçants cultivent depuis toujours diverses techniques de crédit.
13. L’opération de crédit n’absorbe pas toute idée et forme de crédit. Le côté primordial de droit bancaire les laisse exister dans l’ordre juridique par diverses situations et techniques. Le concept de crédit dépasse donc également les définitions spéciales données à l’occasion (crédit obligataire, participatif, crédit différé, location-accession, voire aux ICO de jetons d’utilité...). Dans son abstraction il échappe au législateur, national et européen, et moins il est saisi plus il s’impose. Il surpasse enfin la technique juridique usuelle (légistique, jurisprudentielle ou pratique).
14. Pour compenser le curieux, sinon boiteux, système du législateur de 198426, la doctrine a continué la réflexion en cherchant les éléments du crédit, soit sur le plan bancaire, soir sur le plan consumériste.
15. On approuve les professeurs Putman et Piedelièvre de souligner la difficulté de formulation d’une définition du crédit : selon eux l’énumération légale « n’insiste pas suffisamment sur ses composantes » car il faut envisager « les éléments constitutifs du crédit avant d’en donner une définition » – c’est affirmer l’absence de définition légale27. Puis, outre le dispositif légal, ils proposent, « classiquement » (cela vaut méthode) « des éléments qui sont inhérents à la notion de crédit ». Ils cherchent une définition mais ils ne la formulent pas (une définition applique une notion, comme une notion applique un concept). Ils relèvent trois éléments : la durée, la confiance et le risque. Chacun se discute. Des crédits sans aucun risque réel le restent car un professionnel peut s’engager sans véritable confiance : il s’autorise par exemple à anticiper le succès improbable de telle start-up. L’inévitable durée est malheureusement commune à nombre de contrats, à commencer par un abonnement, et singularise rarement l’acte (mais alors cela s’observe bien : l’emphytéose). Ces trois éléments s’inspirent plus du prêt que de la liste des crédits de l’article L. 313-1. Il faudrait pourtant sortir de ce modèle pour respecter chaque type de crédit légalement reconnu. Ces éléments s’imposent mal à tout contrat de crédit, dont la qualification en crédit ne dépend d’aucun d’eux28. Ils disent un contexte, du reste partagé. La confiance, le risque et la durée tiraillent pareillement l’assurance... Les éléments tirés de la loi ou du contexte ne forgent pas nécessairement un critère, ce qui se confirme.
16. La difficulté perdure avec les opérations de crédit du droit de la consommation. « En l’absence de définition légale réelle, une définition particulièrement convaincante a par la suite été posée en doctrine, toute aussi extensive et qui fait l’unanimité Le contrat de crédit résulterait de la réunion de trois éléments : l’avance (avance de fonds mais aussi livraison d’un objet ou prestation de services qui seront payés ultérieusrement), la restitution (postérieurement à l’avance, il y a remboursement des fonds ou paiement du bien ou de la prestation effectuée, en une ou plusieurs fois) et un laps de temps entre l’avance et la restitution, ce dernier élément étant le critère essentiel d’un crédit ». Ce serait une grille de lecture « intéressante » pour « qualifier des opérations complexes de crédit »29. Il est paradoxal d’affirmer cela en commentant l’arrêt de 2018 qui, justement, dément l’efficacité de cette définition au point d’avoir piégé SFR (et d’autres). Ces opérateurs téléphoniques faisaient du crédit sans le savoir ! La confiance et le risque sont ici passés par-dessus bord, ce qui justifie notre précédente vue dubitative à leur propos. La restitution (comme dans le crédit-bail) n’a guère de sens, le prix de l’abonnement (à SFR par exemple) est, en droit, celui d’un service mensuel (sauf à refaire l’abonnement et la subvention en cause et soutenir qu’il n’y a que du prêt dissimulé et un prix de téléphone, jamais nulle part stipulé... qui sera remboursé... selon un quantum à jamais ignoré). Ces éléments, insuffisants pour fixer l’idée de crédit, expliquent « l’absence de définition légale réelle ».
17. Une liste d’opérations (une définition par énumération) ne vaut pas une définition substantielle dégageant un critère. À défaut de définition, le critère peut suffire, mais il faut alors admettre la difficulté et le rechercher franchement. Citer des éléments ne le permet pas : la notion d’opération de crédit s’aborde difficilement. Ainsi, à propos de l’arrêt de 2018, on a considéré qu’« il ne s’agissait pas non plus de définir l’opération de crédit en tant que telle mais l’opération de crédit justifiant l’application de règles protectrices du consommateur »30. L’enjeu, indiscutable, offre cependant bien de discuter, de « l’opération de crédit en tant que telle » avec la directive de 2008 et sa transposition du code de la consommation ; même si l’expression du Code monétaire et financier prime (v. supra n° 12). Une autre difficulté repose non sur la liste des crédits énumérés, mais sur la nature de cette liste. Il a été relevé à propos du montage de SFR : « que le mécanisme est très proche de celui de la vente à tempérament à la différence près que le crédit est remboursé par le prix de l’abonnement. »31 La proximité s’entend, la difficulté vient entre autres d’elle. Mais nous ne comprenons pas ce que veut alors dire le mot « crédit ». Le crédit est le montage, soit la combinaison d’une « subvention » et d’un abonnement, il n’y a aucun remboursement en pur droit ; le prix de l’abonnement ne peut pas être transformé, pour le besoin de l’analyse, en remboursement d’un prix de vente non stipulé et invisible (et même si SFR, maîtrisant mal sa commercialisation32, évoquait le prix payé à travers le montant des abonnements ; les errements d’une partie laissent le juge libre de sa qualification). Cette dernière remarque évoque une difficulté d’un autre ordre : ces deux définitions des opérations de crédits offrent une dérangeante diversité de contrats33.
III. 18. Divers contrats spéciaux de droit commun permettent de réaliser autant de types de crédits, seuls ou combinés. Parfois, c’est un aménagement ou montage qui fait surgir une situation de crédit34. Ce fut le cas dans l’affaire Free / SFR. L’abonnement est un louage de service (C. civ., art. 1780), contrat spécial complété à sa conclusion d’une aliénation concomitante de smartphone (subvention).
19. Après cela, dire « prêt d’argent » rassérène, en soulignant un contrat spécial attendu. Pourtant il n’est qu’un contrat parmi d’autres. À preuve le dépôt d’argent – les banques sont encore financées par leurs clients, ce qui est un cas de crédit via le dépôt (les dépôts dits structurés le démontrent35). Le fait du transfert de propriété des choses de genre joue ici, mais au moyen d’un troisième contrat spécial.
La caution, notamment, « [...] vaut pur contrat de crédit » : en en faisant un « crédit par signature » la loi bancaire évita de le dire aussi brutalement, quoique cela concerne la caution professionnelle (faite de façon habituelle et rémunérée), soit en véritable service36. Le bail, quatrième contrat spécial évoqué ici, est lui aussi une technique de crédit quand il est flanqué d’une promesse de vente au locataire. Le propriétaire affaibli est un bailleur pouvant le cas échéant le résilier, ce qui empêchera l’exercice de l’option d’achat et le transfert de propriété. S’il n’est pas un pur contrat de crédit (la location dite financière l’enseigne), le bail en est une technique essentielle. Le propos ne se réduit pas au crédit-bail que la loi de 1966 institua en contrat très spécial. La loi bancaire qualifie de crédit « de manière générale » « toute opération de location assortie d’une option d’achat » (CMF, art. L. 313-1, préc.). Le législateur a vu la possibilité d’inventer des crédits avec le bail37.
La vente permet également de faire du crédit avec les délais de paiement qui valent convention de crédit. Cela est admis au point d’être un grand et ancien problème économique38. Le délai de paiement est l’archétype de la mystérieuse « facilité de paiement », mais son siège est bien une vente ou un louage de service.
À front renversé, la cession de créance est inévitablement, à l’occasion, un contrat de crédit si la créance est à terme. L’acquisition de créance initie le crédit comme l’enseigne explicitement le droit africain39. Il est logique que la cession de créances professionnelles, le Dailly, ait été réservée aux établissements agréés. Cette cession spéciale permet d’industrialiser ce crédit40.
Le commercialiste doit écourter cette liste avec le contrat spécial purement commercial qu’est le compte courant, convention de règlements simplifiés entre deux commerçants ; le délai de paiement accordé au débiteur est inhérent à la convention de paiement, le compte vaut crédit.
20. Cette modeste présentation par les symboliques contrats spéciaux n’est pas plus complexe que les deux définitions des « opérations de crédit » flanquées des diverses lois qui, au fil des décennies, ont reconnu tel et tel crédit (le crédit différé... la location accession... l’émission de jetons d’utilité... le prêt sur gage de bien corporel). Ce court panorama laisse entière la question du critère tout en mettant à égalité les contrats susceptibles de donner un crédit. Voilà qui permet de reprendre à nouveau frais la réflexion. La question, outre les notions d’opérations de crédit qui sont peu opérationnelles, consiste à s’interroger sur le critère unissant ces contrats spéciaux.
IV. 21. Le critère du crédit orbite, sans qu’on puisse le voir, autour de l’idée d’avance (et non seulement d’argent) sans laquelle il n’y a pas crédit41. Lorsque la question est abordée, ce seul mot est très fréquent sans être systématique en doctrine, la relation faite plus haut de deux doctrines en atteste. Un choix de la méthode, laquelle est toujours en lien avec le fond, est à faire, au moins à signaler. Or, justement au fond, il est très souvent dit l’unité du crédit et depuis longtemps42. L’unité du fond pressentie et dite autorise « le » critère, soit (tautologie) « l’unité du critère ».
22. Confronté à cette difficulté, une idée soulignant une « avance » invitait à une réflexion sinon une doctrine43. La contrainte est celle des trois configurations de crédit de l’article L. 313-1, soit ceux reposant sur une remise (d’argent), ceux où elle est hypothétique (les crédits par signature) et ceux où elle se discerne mal ou pas (crédit-bail, et du reste sans restitution véritable) : une remise de chose interfère. Toute location avec option d’achat relève de ce dernier cas (comme la prévente que réalise la souscription du jeton d’utilité). La difficulté est de traduire le tout, ce que l’article 313-1 n’a eu cure. On remarque qu’on pourrait distinguer les crédits avec une avance immédiate (prêt et crédit-bail, et subvention avec abonnement) et ceux où elle est différée (promesse et crédit par signature). Si cela divise, on note que sans les premiers, l’idée ou le fait d’une avance prédomine ; dans les seconds c’est le plutôt l’engagement. Mais dans le premier il y a bien engagement, et dans les seconds il y a avance même si, par exemple, la caution est exécutée tardivement (l’avance traduit le bénéfice du créancier garanti).
23. On sait, par exemple avec l’apport en société, le redoutable effet d’un bon critère, seul l’apporteur est qualifié d’associé. Le critère recherché identifierait idéalement le crédit, un gain pour l’exigence de clarté et prévisibilité de la règle de droit. Toute personne, professionnel ou autre, est fondé à savoir s’il a le droit ou pas de faire telle opération selon qu’elle est ou non un crédit. Paradoxalement, un établissement de crédit peut s’en moquer. Si le critère reste – sauf plus ample informé – inconnu, c’est parce qu’aucun mot ne traduit le crédit dans le sens compliqué qui lui est attribué en droit positif. Un mot ne suffit pas.
24. Le droit étant essentiellement fait de mots, il en faut pour expliciter ou rationnaliser la loi qui place des actes dans une même enveloppe sans en dire la cause, le critère. Les mots portent notamment les concepts juridiques, et l’idéal de trouver le critère du crédit en exige un autre. À défaut d’un mot idéal, qui aurait été signalé depuis cent ans s’il existait, l’union de deux ou trois termes s’impose. Les prendre dans le vocabulaire juridique a sa logique. Cette union est une des techniques pour fabriquer les concepts (le crédit-bail), lesquels peuvent entre autres fonctions constituer un bon criterium.
25. L’avance, seule, n’est que réduction du contrat de prêt (sous-entendant la restitution) dont, par hypothèse, il ne faut plus faire le centre de la question. On songea alors à préciser l’idée en parlant d’avance de moyens44. Le crédit, l’opération de crédit, n’est alors plus cantonné à l’avance d’argent, en sorte de pouvoir désigner la remise de toute chose. Cependant, l’expression englobe mal ou pas les promesses (ordinaires, d’argent, ou spéciales, les crédits par signature) : elle est insuffisante. L’expression « engagement d’avance » approche le critère si elle ne l’exprime. Le terme « engagement » est plus noble et fort que celui d’avance. Les deux termes existent-ils dans chaque langue de l’UE pour s’imaginer en droit européen ? La réflexion est modeste.
Outre cela, le terme « avance » traduit la volonté du législateur d’un bon ordre monétaire et du crédit. L’avance crée le risque de déstabiliser ceux qui la font. Le « moyen » est tout moyen (monnaie ou autre chose) transféré ou mis à disposition par tel contrat ou montage. Le terme « engagement », bien admis45, indique quant à lui l’obligation, immédiate ou à terme (le crédit par signature), ayant pour objet la monnaie ou un autre bien (l’argent n’est pas alors un flux nécessaire entre les deux parties).
Une vue doctrinale est peu de chose, mais elle peut améliorer la lecture des vieux textes ou de la dernière jurisprudence. La recherche d’un critère peut également se faire en proposant une définition substantielle du crédit pour la proposer à l’UE, en faisant un travail linguistique et juridique à ce niveau. La formule « engagement d’avance », pourrait au moins amorcer la discussion pour que l’on puisse, un jour, percer ce mystère de critère. n