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Caractère disproportionné
du cautionnement : preuve par une ancienne fiche de renseignements

Créé le

06.12.2023

Cass. com. 30 août 2023, n° 21-20.222, F-B, Mme E. et M. R. c/ CIC Ouest.

La preuve du caractère disproportionné du cautionnement apparaît telle une matière classique... et pourtant au cœur de bien des contentieux ! En outre, la publication au Bulletin de l’arrêt commenté témoigne de l’importance des « piqûres de rappel ». Les faits étaient ici relativement classiques : une banque a consenti à une société une ouverture de crédit, laquelle était garantie par le cautionnement solidaire de deux époux associés (les consorts D.), dans la limite de 280 000 euros, chacun. Par la suite, le montant de l’ouverture de crédit a été augmenté et les consorts D. se sont rendus cautions solidaires en garantie du remboursement de ce crédit, chacun dans la limite de 336 000 euros. En outre, par un acte distinct, Mme D. s’est rendu caution solidaire de la société, au profit de la banque, dans la limite de 48 000 euros et pour une durée de trente-six mois. Du fait de la défaillance de la société débitrice principale, les cautions ont été sollicitées par le créancier, lesquelles ont alors fait valoir la disproportion du cautionnement.

Une difficulté majeure résidait, en l’espèce, dans le fait que la banque avait certes fait établir, aux cautions, une fiche de renseignements. Celle-ci n’était toutefois pas concomitante avec la date des engagements litigieux. En effet, et comme le faisait valoir le pourvoi en cassation, la fiche de renseignement avait été remplie le 27 janvier 2010, tandis que ses engagements de caution dataient des 22 septembre 2011 et 23 avril 2013. Pour le dernier engagement, ce sont ainsi plus de trois ans qui séparent la fiche de la convention litigieuse. Plus largement, le moyen invoqué faisait valoir « que pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de caution à ses biens et revenus à la date de conclusion du cautionnement, le juge ne peut se référer à la fiche de renseignements remplie par la caution qu’à la condition que celle-ci soit contemporaine de la souscription du cautionnement ».

Ce dernier argument n’a toutefois pas convaincu les magistrats du quai de l’Horloge, qui approuvent les juges du fond d’avoir écarté la disproportion. Le raisonnement proposé se fait en deux temps. D’abord, il est rappelé qu’il « appartient à la caution, personne physique, qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné du cautionnement à ses biens et revenus, lors de la souscription de son engagement, d’en apporter la preuve » (§ 5). Ensuite, les juges du fond sont approuvés au regard de leur démonstration – très étayée – relativement au fait que les éléments de fait en présence permettent de considérer que le cautionnement litigieux était proportionné aux biens et revenus de la caution (§ 6). Quelques indications relatives à la portée de la décision seront enfin mentionnées.

1. S’agissant du premier point, l’arrêt rappelle une conclusion ancienne. En effet, dans un arrêt du 13 septembre 2017, il avait été retenu que la caution supporte la charge de la preuve de démontrer que son engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, l’ancien article L. 332-1 n’imposant pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement1. L’arrêt avait été largement commenté et il convient simplement de rappeler que deux logiques étaient en confrontation :

– soit c’est une logique de protection de la partie faible qui est mise en œuvre : lorsque le professionnel se voit imposer une obligation, par exemple d’information, c’est à lui de rapporter la preuve qu’il y a satisfait2 ;

– soit c’est le droit commun de la preuve qui trouve à s’appliquer : dès lors que la caution demande à être déchargée de son obligation, en raison d’une éventuelle disproportion, c’est à elle de rapporter la preuve de ladite disproportion.

En 2017, c’est en faveur de la seconde approche que s’était prononcée la Cour de cassation. La solution a été récemment rappelée3. Ce n’est que dans l’hypothèse inverse, lorsque le cautionnement est disproportionné, mais que la banque se fonde sur le « retour à meilleure fortune » de la caution, que c’est sur l’établissement bancaire que reposera la charge de la preuve de ce retour à meilleure fortune4. Une telle répartition offre en outre également l’avantage d’un équilibre : si la caution arrive à démontrer que le cautionnement n’était pas proportionné à ses biens et revenus, comme l’exigeait l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation (désormais abrogé), c’est à la banque de rapporter la démonstration nécessaire au « sauvetage » de cet engagement.

Dans l’arrêt du 30 août 2023, cette même solution est rappelée et une dernière remarque peut être formulée, au regard de l’importance accordée à la fiche de renseignements. Il est certain que les établissements bancaires, afin de sécuriser les cautionnements conclus, se renseignent quant au patrimoine et revenus des cautions ! Il ne faut toutefois pas déduire de cette pratique une inversion de la charge de la preuve : c’est à la caution, et à elle seule, de rapporter la preuve de la disproportion, le créancier professionnel n’ayant pas à vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement. Cette fiche de renseignements doit être ramenée à ce qu’elle est : un élément de fait indiquant un certain nombre de données, sans préjuger d’une charge de la preuve inversée, ni conduire à une sanction systématique de l’établissement. C’est cet élément qu’évoque ensuite, dans un second temps, l’arrêt commenté.

2. Le pourvoi en cassation tentait de faire de l’établissement de la fiche de renseignements une obligation pouvait être sanctionnée en tant que telle. Il faisait ainsi valoir que « le juge ne peut se référer à la fiche de renseignements remplie par la caution qu’à la condition que celle-ci soit contemporaine de la souscription du cautionnement ». Sans succès ! La solution est logique, même si elle n’avait jusqu’alors jamais été aussi clairement énoncée : puisque c’est à la caution de rapporter la preuve que l’engagement est manifestement disproportionné, il ne saurait être question de sanctionner la banque pour avoir utilisé une fiche de renseignements non mise à jour. Certes, ce faisant, la banque prend le risque qu’existe une disproportion manifeste et que le cautionnement soit remis en cause. Néanmoins, la sanction ne saurait être automatique ! En l’espèce, les cautions échouent dans leur démonstration relativement au fait que les données contenues dans cette ancienne fiche de renseignements ne correspondent plus à la réalité. Plus précisément, les juges du fond ont exposé avec force de détails le patrimoine litigieux. Ils ont démontré, au regard des éléments de preuve rapportés par les parties, que « Mme D. ne démontrait pas que ses engagements étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus » (§ 7). En d’autres termes, toute idée de sanction automatique est écartée : la cour d’appel « pouvait se fonder sur les indications non contestées d’une fiche de renseignements, fût-elle établie plusieurs mois avant la conclusion des engagements litigieux » sous la seule réserve de les confronter « avec les éléments de preuve versés aux débats afin de déterminer la valeur des biens de la caution au jour de la conclusion des engagements litigieux ».

3. La solution, si elle a été rendue sous l’empire du droit ancien, doit être remarquée. L’actuel article 2300 du Code civil dispose désormais, pour les cautionnements souscrits après le 1er janvier 2022, que « si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date ». Outre le changement de sanction, le texte ne précise rien quant à la charge de la preuve de la disproportion. La règle issue du droit commun, ici appliquée par la Cour de cassation, a assurément vocation à s’appliquer. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº212
Notes :
1 Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294 : D. 2017, 1756 ; AJ contrat 2017, 494, obs. Houtcieff ; Rev. sociétés 2018, 23, note Martial-Braz ; CCC 2017, n° 234, note Bernheim-Desvaux.
2 Cf. not., Civ. 1re, 1er févr. 2023, n° 20-22.176.
3 Com. 21 oct. 2021, n° 18-25.205, jugeant que, pour invoquer le manquement d’un prêteur à son devoir de mise en garde, la caution, fût-elle non avertie, doit rapporter la preuve que son engagement n’est pas adapté à ses capacités financières personnelles ou qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti (cf. Banque et Droit n° 195, 2021, obs. S. Gjidara-Decaix).
4 Com. 1er avr. 2014, n° 13-11.313 : D. 2014, 868, obs. Avena-Robardet ; ibid., 1010, obs. Guillou ; Civ. 1re, 10 sept. 2014, n° 12-28.977 : D. 2014, 2283, note Malet-Vigneaux ; ibid. 2015, 2145, obs. D. R. Martin ; RDI 2014, 556, obs. Heugas-Darraspen.
RB