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Les PGE,
une maladie iatrogène

Créé le

25.11.2022

-

Mis à jour le

28.11.2022

Le Larousse définit une maladie iatrogène comme une « maladie provoquée par un acte médical ou par les médicaments, même en l’absence d’une erreur du médecin ».
Les entreprises françaises
en souffrent-elles ?

En 2020, alors que les deux tiers de l’humanité sont confinés et que le taux de croissance annuel terminera à -7,9 % en France, la loi du 23 mars de finances rectificative pour 2020 déclare la mise en place d’une garantie de l’État accordée aux établissements de crédit pour les prêts consentis entre le 16 mars 2020 et le 31 décembre 2022 à des entreprises remplissant certaines conditions. Cette garantie est irrévocable et inconditionnelle, valable sur toute la durée du prêt, et porte sur le principal et les intérêts. Ainsi naît le Prêt Garanti par l’État (PGE), dispositif exceptionnel de garantie, pour soutenir le financement bancaire des entreprises afin de soulager leur trésorerie affectée par la crise sanitaire.

Deux ans plus tard, le PGE Résilience (avril-décembre 2022) se cumulera potentiellement au PGE pour aider les entreprises en proie aux difficultés de trésorerie induites par la guerre en Ukraine. D’une durée de 4 ans, ou 6 ans avec un différé de remboursement, le PGE peut aller jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise. Toute entreprise, quelles que soient sa taille et sa forme juridique, est éligible ; à cette limite près qu’une grande entreprise, pour en bénéficier, était tenue de ne pas verser de dividendes en 2020 et de ne procéder à aucun rachat d’actions.

Au total, près de 700 000 entreprises auront profité des PGE, à hauteur de 148 milliards d’euros. Et parmi elles, 99 % sont des TPE (qui, à elles seules, représentent 90 % des bénéficiaires) ou des PME pour un encours total de 77 % de l’enveloppe attribuée. Pour ces TPE, les mensualités, cumulées aux dettes URSSAF, peuvent aller jusqu’à 9 % du chiffre d’affaires, selon une étude de la Cour des comptes. Si, dès 2021, 44 % des entreprises avaient commencé à rembourser leur prêt (55 % en 2022), à ce jour, 11 % seulement l’ont fait en intégralité. En juillet 2022, 4,6 % des bénéficiaires annonçaient avoir des difficultés, tandis que la Banque de France estimait le taux de défaut à 3,1 %. En parallèle, l’État anticipait 4 milliards d’euros de pertes sur 2022-2023, chiffre désormais révisé à la baisse de 2 milliards d’euros dans le projet de budget rectificatif présenté le 2 novembre. Le même projet de loi de finance 2023 établi en septembre 2022 maintient des dépenses budgétaires de 1,9 milliard d’euros l’an prochain, puis 1,4 en 2024 et 0,9 en 2025 au titre de la garantie de l’État.

Info, intox, tergiversations, peu importe ! Il convient de « ré-agir » aux difficultés des crises (sanitaire, géopolitique, économique, écologique...) qui se succèdent. Certaines entreprises sont au pied du mur, exsangues en termes de trésorerie.

Intervention du médiateur

Le 15 février 2022, l’État, la Fédération bancaire française (actionnaire de Revue Banque, NDLR) et la Banque de France autorisaient une procédure spécifique et confidentielle de restructuration de la dette sous l’égide du médiateur du crédit. Le plan d’accompagnement des entreprises en sortie de crise, mis en place en juin 2021 et prévu jusqu’en juin 2022, a été prolongé jusqu’en décembre 2022. Un étalement sur 10 ans est également possible pour les entreprises dites en grande difficulté. On parle de grande difficulté quand une entreprise est face à des impayés envers l’URSSAF, fournisseurs, etc. Si cette solution d’étalement s’avère nécessaire, les banques des entreprises concernées devront traiter leurs prêts comme non performants, induisant alors un surcoût en termes de ratios ; il y a en effet rupture de contrat.

Les entreprises ayant bénéficié d’un PGE de moins de 50 000 euros (60 % du nombre total de bénéficiaires) s’adressent au médiateur du crédit, celles ayant contracté des prêts plus importants doivent solliciter le Conseil départemental de sortie de crise.

Globalement, après accord à l’issue d’une médiation, les solutions proposées pour assainir la situation sont les suivantes (Banque de France, en date du 27 septembre 2022) :

– étalement de 2 à 4 ans supplémentaires ;

– différé en capital de 6 mois maximum du prêt ;

– absence de prime de garantie pour le PGE sur la durée supplémentaire ;

– étalement des autres prêts bancaires ;

– maintien des financements à court terme.

Au-delà de ces options possibles, s’il y a restructuration du prêt, l’entreprise est déclarée en défaut sur l’ensemble de ses crédits, induisant potentiellement des difficultés à contracter de nouveaux emprunts sur la durée du plan de restructuration. Plus encore, la restructuration induit une baisse de la notation Banque de France. De facto, face à ces difficultés et au manque de confidentialité, les organismes représentatifs des entreprises réclament une modification sur le plan européen afin de préserver celles qui sont en difficulté.

Néanmoins, on notera que les entreprises ayant emprunté moins de 50 000 euros et faisant état d’un chiffre d’affaires inférieur à 750 000 euros ne sont pas notées publiquement, la confidentialité est donc préservée et elles continueront à être éligibles aux aides de l’État. Pour les plus grandes entreprises, si d’aucuns suggèrent de réviser le droit européen pour éviter que le rééchelonnement du remboursement des PGE ne « pollue » l’obtention de nouveaux prêts, ou d’autres vantent les mérites des fonds de retournement ou encore de rehaussement de notes, attention toutefois à l’engrenage potentiel de l’endettement !

Une autre solution – la conversion du prêt en capital – est également possible, à l’instar de ce qui a été fait pour Pierre & Vacances. L’entreprise avait souscrit un premier PGE en 2020 pour 240 millions d’euros, puis un second en 2021 pour 34,5 millions (dont 9,5 remboursés au closing et 25 remboursés sur 5 ans). Conformément à l’arrêté du 19 janvier 2021, le premier PGE a fait l’objet d’une conversion en fonds propres à hauteur de 215 millions. Fort de cette décision amenant à un défaut, les banques ont activé la garantie d’État : elles récupèrent en conséquence 90 % de la créance perdue aux côtés des actions de l’entreprise pour un total de 10 % du prêt. Elles reverseront ensuite 90 % du montant des dividendes perçus et céderont des actions à l’État, grâce au montage d’une fiducie.

C’est certainement l’une des meilleures solutions dans l’environnement économique actuel : inflation forte et certainement durable, hausse du coût des matières premières, remontée substantielle des taux d’intérêt, autant de facteurs exogènes à la santé stricto sensu des entreprises fortement mises à mal pendant la crise sanitaire. La renégociation est alors la meilleure solution. La fiducie permet toutefois aux banques de placer les actions reçues au bénéfice de la puissance publique. Au-delà des solutions susmentionnées, l’affacturage en reste une autre pour fluidifier la gestion d’un PGE : aucune nouvelle dette n’est sollicitée, un simple transfert de créances commerciales améliore la trésorerie de l’entreprise.

Au vu de quelques anticipations d’organismes tels que la CPME ou encore d’enquêtes comme celles de BpiFrance, nombre de chefs d’entreprises entrevoient des difficultés de remboursement à venir. La solidarité nationale devra jouer. En reprenant l’analogie du monde de la santé, l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique précise que l’aléa thérapeutique ouvre droit à « la réparation des préjudices [...] au titre de la solidarité nationale » ; la solidarité nationale indemnise les malades ou victimes, présentement les entreprises. Il y a bien là affection iatrogène, qui n’est rien d’autre qu’un dommage involontaire, appelé aléa, thérapeutique définie par le Code de la santé publique comme un « accident médical [...] non fautif directement imputable à un acte [médical] ».

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº874