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MiFIR

Comment faire de la « tape » un outil efficace ?

Créé le

27.11.2021

L’Europe était – et reste – en retard sur les financements par les marchés. La proposition de la Commission européenne est une base de travail pour aller dans la bonne voie. Mais face à une Grande-Bretagne qui change les règles pour garder son attractivité, l’Europe doit réfléchir à la façon d’en fabriquer de nouvelles.

La crise du Covid-19 nous rappelle, si besoin était, l’importance de disposer de marchés de capitaux résilients, capables d’agréger les anticipations, de faciliter le mécanisme de formation des prix et d’apporter de la liquidité, même dans les situations financières les plus tendues. Au côté de l’action massive des autorités publiques, les marchés de capitaux ont joué leur rôle d’amortisseur. Sur les marchés obligataires, selon Moody’s [1] , les entreprises ont levé 3 650 milliards de dollars au cours de l’année 2020. Sur les marchés actions, selon PcW [2] , 3 689 nouvelles augmentations de capital de sociétés déjà cotées et 1 415 introductions en bourse ont été recensées dans le monde pendant la même période, pour un total de plus de 1 000 milliards de dollars.

L’Europe boxe en dessous de son poids

Les marchés européens sont parmi les plus importants sur la scène mondiale, mais ils continuent de boxer en dessous de leur catégorie. Pour preuve, 50 % des émissions obligataires investment grade ont été émises par des entreprises américaines en 2020, contre 30 % par des entreprises européennes. La part des introductions en bourse réalisées en Europe continentale (7,4 %) est également très en deçà du poids de l’Union européenne dans le PIB mondial (17,9 %). À l’aide d’un indice agrégeant les données de vingt-quatre segments de marché différents, le think tank New Financial estime que les marchés américains sont près de deux fois plus profonds, relativement à la taille de l’économie domestique, que les marchés britanniques, eux-mêmes deux fois plus profonds que la moyenne de l’UE-27 [3] .

À l’heure où le Royaume-Uni affiche sa volonté de divergence réglementaire sur des pans entiers de la réglementation financière (voir encadré) et où la maîtrise et le financement des technologies du numérique et de la transition énergétique font l’objet d’intenses rivalités entre grandes puissances, nous devons accélérer la mise en place de l’agenda d’union des marchés de capitaux. L’objectif de la France, y compris dans la perspective de la présidence de l’Union européenne, est guidé par l’impératif de parvenir à mobiliser davantage de capital au service du financement des entreprises européennes et de l’objectif d’autonomie stratégique ouverte.

MiFIR, une occasion de muscler son jeu

En réponse à la situation exceptionnelle créée par la pandémie de Covid-19, nous avons d’ores et déjà adapté en urgence le cadre réglementaire applicable aux entreprises d’investissement européennes. Avec la révision de la directive MIF, dite « quick fix », des obligations d’information inutilement contraignantes ont été supprimées et les limites de position sur instruments dérivés sur matières premières ont été révisées, afin d’encourager le développement de ces marchés de couverture dans l’Union européenne. La révision de MiFIR qui s’annonce constitue un rendez-vous important pour moderniser la structure des marchés financiers européens.

Entrée en vigueur en 2007, la réglementation européenne des marchés d’instruments financiers (MiFID I) a d’abord permis d’introduire davantage de concurrence entre les plateformes de trading. Les coûts d’exécution ont diminué et de nouveaux protocoles de négociation adaptés aux besoins des investisseurs et de leurs courtiers ont émergé. En pratique, ces derniers ont aujourd’hui le choix entre différents lieux d’exécution, à l’instar des marchés réglementés, des systèmes multilatéraux de négociation et des internalisateurs systématiques par exemple.

Mais le développement de plateformes alternatives a aussi rendu l’environnement de trading plus complexe à appréhender. Les moyens techniques et financiers requis pour bénéficier d’une information complète en temps réel et pouvoir intervenir simultanément sur une multitude de plateformes créent une barrière à l’entrée non négligeable et engendrent des coûts pour le système dans son ensemble. Par ailleurs, l’absence de visibilité sur l’intégralité des poches de liquidité du marché ne permet pas de contrôler facilement l’obligation de meilleure exécution des ordres (best execution) qui incombe aux brokers.

Un subtil équilibre à trouver entre concurrence et transparence

Conscients de ces difficultés, les régulateurs ont cherché à introduire davantage de transparence avec la révision MiFID II/MiFIR, adoptée en 2014. La directive devait également favoriser l’émergence des systèmes informatiques agrégeant l’ensemble des données de marché. Des offres privées se sont développées, mais, d’une part, elles sont restées cantonnées à des segments spécifiques du marché et, d’autre part, les coûts d’accès à ces offres n’ont pas permis de créer une situation équitable pour tous les investisseurs. Par ailleurs, même les investisseurs ayant accès à ces flux de données propriétaires ne bénéficient pas d’une parfaite vision consolidée du marché, la liquidité disponible sur les plateformes alternatives (MTF/OTF) et via les internalisateurs systématiques n’étant pas ou étant mal intégrée sur ces flux de données propriétaires.

Cette situation contraste avec celle des marchés américains, où une base de données consolidée (consolidated tape) existe pour les transactions réalisées sur chacune des principales classes d’instruments financiers. La tape actions intègre même les données prénégociation, ce qui permet d’avoir un spread national de référence (national best bid and offer), par rapport auquel il est possible de contrôler l’obligation de meilleure exécution des ordres. La tape obligataire, baptisée TRACE et opérée par FINRA, a été mise en place en 2002, avec une diminution progressive des différés de publication, jusqu’à converger vers une publication des prix en temps réel, et un élargissement à une gamme de plus en plus large d’instruments « fixed income ». Des travaux académiques ont montré que la tape a accru la transparence des marchés financiers américains et exercé une pression à la baisse sur les coûts de transaction, en diminuant notamment les barrières à l’entrée sur l’activité de tenue de marché.

Les clefs du succès de la consolidated tape

La Commission européenne a affiché son ambition de réviser le cadre réglementaire existant pour assurer l’émergence d’une consolidated tape comme instrument au service de la bonne exécution des ordres. Le besoin est d’autant plus grand que nos marchés financiers sont très fragmentés. Plusieurs dimensions importantes devront faire l’objet d’un examen attentif par les co-législateurs – Conseil et Parlement européen – pour assurer le succès de cet instrument. Le choix d’un ou plusieurs consolidateurs, l’instauration d’un système de contribution obligatoire et l’harmonisation des normes de communication des données de marché seront indispensables à la réussite de ce projet. Le coût d’accès à la tape sera également un facteur clef du succès. Il faudra être particulièrement attentif aux conditions dans lesquelles cet instrument pourra contribuer à favoriser la participation des investisseurs particuliers.

Pour maximiser l’utilité de la tape, certaines exigences de transparence devront être revues. Tel est tout particulièrement le cas sur les marchés obligataires, qui se caractérisent encore par une relative opacité. Devra également être traitée la question de l’harmonisation des différés de publication des données au sein de l’Union européenne, et de leur réduction, sans dévoiler si besoin est les volumes au-delà d’un certain seuil, pour ne pas nuire à la liquidité. Concernant les marchés actions, un équilibre sera recherché, en évitant tout dogmatisme en matière de protocoles de négociation. Sans nier le rôle d’ancrage essentiel des carnets d’ordres et de leur contribution à la formation des prix, il nous faudra bien mesurer l’utilité de protocoles alternatifs, pour répondre aux besoins des investisseurs et garantir l’attractivité des marchés européens.

Au-delà de la tape

Bien qu’essentiel, le sujet de la tape est loin d’épuiser le champ des initiatives nécessaires à l’amélioration du fonctionnement des marchés financiers européens. Tout au long des négociations à venir, nous ne devrons pas perdre de vue la finalité de l’édifice réglementaire : bâtir des marchés efficients pour apparier, avec le moins de frictions possible, l’offre et la demande de capital. Ce sera d’ailleurs également l’objet de la revue de la directive MIF, qui suivra celle de MiFIR. Le Brexit et, plus largement, l’intensification de la concurrence internationale entre places financières doivent nous conduire à nous interroger sur la façon dont nous pensons, concevons et mettons en place la norme en matière de réglementation financière au sein de l’Union européenne, avec pour guide d’action une exigence de pragmatisme et d’efficacité.

 

1 2 940 milliards de titres obligataires investment grade et 711 milliards de titres high yield. Moody’s Analytics – Investment Grade Bond Offerings to Slow From 2020’s Torrid Pace, janvier 2021.
2 PwC, Global IPO Watch, IPO Watch Europe, 2020.
3 Voir le rapport de New Financial, The Future of EU Capital Markets, septembre 2021. Indice de profondeur moyenne de marché sur les trois dernières années jusqu’en 2020. La profondeur d’un marché est déterminée par le volume de capital disponible et sa liquidité et permet de mesurer sa capacité à assurer qu’une réponse sera apportée à des ordres d’achat ou de vente.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº862bis
Notes :
1 2 940 milliards de titres obligataires investment grade et 711 milliards de titres high yield. Moody’s Analytics – Investment Grade Bond Offerings to Slow From 2020’s Torrid Pace, janvier 2021.
2 PwC, Global IPO Watch, IPO Watch Europe, 2020.
3 Voir le rapport de New Financial, The Future of EU Capital Markets, septembre 2021. Indice de profondeur moyenne de marché sur les trois dernières années jusqu’en 2020. La profondeur d’un marché est déterminée par le volume de capital disponible et sa liquidité et permet de mesurer sa capacité à assurer qu’une réponse sera apportée à des ordres d’achat ou de vente.
RB