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Prospective

« Une activation du bail-in pourrait propager la crise »

Créé le

24.11.2015

-

Mis à jour le

01.12.2015

Pour l’économiste Laurence Scialom, le renflouement interne, instauré par la directive Redressement et Résolution, constitue un instrument risqué que les Pouvoirs publics hésiteront à utiliser.

Le bail-in tel qu’il a été conçu par BRRD est-il satisfaisant ?

Sur le papier, le renflouement interne est une très bonne idée, car il réactive la discipline de marché [1] , mais il faut anticiper les effets induits par cette procédure. Les détenteurs de dette « bail-inable » sont souvent d’autres institutions financières : des banques ou des compagnies d’assurance. Une activation du bail-in pourrait donc propager la crise au sein du système financier. Les dépôts de plus de 100 000 euros sont eux aussi susceptibles de participer au renflouement interne, or les grands corporates déposent des sommes bien supérieures en banques. Ils seraient mis en difficulté en cas de bail-in. La propagation de la crise pourrait même intervenir en amont d’un éventuel renflouement interne, car déposants et investisseurs peuvent percevoir les signes avant-coureurs du déclenchement de cette procédure. Dès qu’ils sauront que la solvabilité d’une banque se dégrade, les détenteurs d’obligations vendront leurs titres et les corporates retireront leurs dépôts, comportements qui constituent un puissant facteur de contagion. Ce que l’histoire récente nous montre, c’est que même les particuliers cherchent à prévoir l’évolution de l’état de santé de leur banque puisqu’il y a eu des phénomènes de retraits massifs en Espagne et en Italie, aux moments où les systèmes bancaires grecs et chypriotes étaient en crise.

Vous semblez penser que le bail-in est inapplicable…

Étant donné les risques de propagation induits par le bail-in, je doute que cet instrument soit appliqué par les Pouvoirs publics en toutes circonstances, d’autant que le texte laisse une importante marge de manœuvre : la liste des dettes échappant au bail-in, telle qu’elle existe dans BRRD, peut être élargie à la discrétion des autorités en charge d’appliquer la procédure de renflouement si elles pensent qu’il existe un risque de contagion. Elles ne mettront donc en œuvre le bail-in que dans le cadre d’une crise très localisée à une seule banque. En revanche, en cas de crise systémique comme celle de 2008, le bail-in ne peut pas, raisonnablement, être utilisé. Mais la principale faille de l’Union bancaire est le retard pris dans la mise en œuvre du troisième pilier.

Pourquoi une garantie européenne des dépôts est-elle indispensable ?

La monnaie unique souffre d’une erreur de conception : l’émission de la monnaie centrale (billets, pièces) a été fédéralisée, mais l’essentiel de la masse monétaire est constitué de dépôts et est donc créé par les banques privées (puisque le pouvoir de création monétaire leur a été conféré). Or le lien entre les banques et le pays où elles siègent n’est toujours pas rompu, notamment en raison de l’absence :

  • d’une mutualisation des pertes ultimes en cas de défaillance d’une grande banque de la zone ;
  • d’un système commun de garantie des dépôts.
Ainsi, en raison de la perception par le marché de l’inégale capacité des différents États membres à assurer les dépôts, un euro dans une banque grecque ne vaut pas autant qu’un euro dans une banque allemande en période troublée, comme en ce moment. Or, dans les régimes monétaires de monnaie fiduciaire, la confiance constitue le fondement de la valeur d’une monnaie. L’absence de garantie fédérale des dépôts porte donc en elle le potentiel de destruction de l’euro.

 

 

1 Principe en vertu duquel les titres émis par les banques sont payés à leur juste prix et non pas en tenant compte d’un soutien de l’Etat.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº790
Notes :
1 Principe en vertu duquel les titres émis par les banques sont payés à leur juste prix et non pas en tenant compte d’un soutien de l’Etat.
RB