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Révolution numérique : des atouts indéniables, mais pas de martingale...

Créé le

27.04.2018

-

Mis à jour le

29.05.2018

Le Big Data, l’intelligence artificielle mais aussi les blockchains apportent des progrès sensibles dans de nombreuses activités de financement et de marché, mais ces technologies de pointe suscitent aussi des questions fondamentales en termes de responsabilité.

La transformation numérique peut-elle avoir un effet destructurant sur les activités de financement et de marché ?

Du fait des applications numériques, il peut y avoir des changements très importants dans les conditions économiques et techniques de fabrication et de livraison des services, mais il n’est pas toujours évident qu’il y ait un changement majeur dans les services eux-mêmes. Les applications en termes d’intelligence artificielle (IA) ou de conseil robotisé sont des outils exceptionnellement perfectionnés… mais elles restent des outils. Dans les activités de marché, il existe déjà dans ce registre le trading haute fréquence, où certaines décisions de transactions sont très largement gérées par des robots. De même, des applications IA interviennent comme aide à la décision. Ce sont des techniques très novatrices, mais philosophiquement pas nouvelles, et qui restent sous la gouvernance d’entités identifiées qui assument une forme de garantie de finalité.

En revanche, la question pourrait se poser à terme différemment avec la blockchain, appliquée par exemple à la gestion des titres. Traditionnellement, la conservation de ces derniers est assurée par des établissements spécialisés, avec un rôle publiquement reconnu et à qui le client donne des ordres de mouvement. Si, demain, une blockchain est en charge de la totalité de la chaîne de traitement des titres, y compris leur détention, en jouant le rôle de conservateur, cela changerait la donne de manière beaucoup plus radicale : les clients n’auraient affaire qu’à un système informatique et non à une entité responsable. Est-il possible de remplacer un système dans lequel une entité organise dans une certaine mesure la confrontation de l'offre et la demande sous sa responsabilité par un système où l’on ne se fie qu’à l’automatisme supposé génialement différent, mais où chacun, au final, l’utilise à ses risques et périls ? Donner l’usage, comme le font les fournisseurs de technologie, d’un certain nombre d’algorithmes ne comporte pas les mêmes enjeux qu’offrir une forme de garantie de finalité, qui est le métier de base de la banque et de la finance en général. En restant dans le monde digital, ce questionnement est assez similaire à celui sur les voitures autonomes : qui est responsable dans une voiture sans chauffeur ? Le passager n’est en contact qu’avec un système technologique, contrairement à un taxi, par exemple, où le chauffeur assume une responsabilité vis-à-vis de son passager et des autres usagers.

Les ICOs ne sont-elles pas également un moyen de modifier profondément le mode de financement des entreprises dans le sens d’un face-à-face direct entre l’émetteur et les investisseurs ?

Il faut à nouveau distinguer entre dimension technique et dimension juridique. La dimension technique d’une telle opération est assez proche de celle d’un financement par la foule (crowdfunding), qui consiste à vendre un produit classique, prêt, obligation ou action, par des voies nouvelles, mais sans changer le rapport juridique entre l’investisseur et l’entreprise dans laquelle il investit. Dans une ICO, ce rapport juridique est modifié puisque l’investisseur estime avoir droit à un certain nombre de prestations, mais sans qu’existe toujours une entité juridique identifiée pour en prendre la responsabilité.

Dans ces opérations comme dans d’autres assises sur les blockchains, un match juridique se déroule à côté du match technique car cela peut conduire à prétendre que le mécanisme technique mis en œuvre est suffisamment sécurisé pour assurer une performance meilleure que dans un système juridique où une personne ou une entité est, d’une manière ou d’une autre, responsable des opérations.

Les partisans de la blockchain assurent que le système est absolument fiable et inviolable…

À titre personnel, l’idée d’une martingale absolue me laisse sceptique. Annoncer une sécurité renforcée est un argument recevable même si elle reste à démontrer. Mais annoncer une sécurité absolue dans le cas de la blockchain est dangereux, parce que, ce faisant, on tend à tromper le client et on accepte de faire une confiance totale à la technologie, sans garde-fou de responsabilité et avec le risque de revenir à une problématique analogue à celle qui a provoqué la crise de 2008.

Le fait de vouloir fonctionner en temps réel grâce à ces nouvelles technologies ne crée-t-il pas aussi un risque ?

Réaliser des opérations en temps réel est attractif parce que cela fait disparaître l’élément de crédit présent dans le paiement. Cela diminue donc théoriquement le risque. En outre, l’idée des participants au marché, et c’est normal, est de parvenir à une prise en compte quasi instantanée des évolutions de marché pour la fixation des prix. Mais cela pourrait poser deux types de problèmes :

le problème lancinant de l’égalité d’accès, entre le fait légitime d’être plus malin que les autres et le fait de se retrouver dans un rapport de force fondé sur la technologie, qui vous donne un avantage indu ; le danger d’augmenter exagérément l’influence des informations diverses que vous captez : il peut être profitable pour vous de les utiliser pour réaliser un gain financier, mais pas nécessairement du point de vue de la fonction sociale utile du marché, qui est une confrontation d’opinions sur les éléments les plus fondamentaux, pour obtenir des mesures justes de la valeur économique.

Certaines FinTechs proposent même d’intégrer pour réaliser des transactions sur les marchés les informations captées sur les réseaux sociaux…

Sur le plan théorique, cela peut être utile, mais on peut exacerber ainsi de façon particulièrement caricaturale un reproche fait aux marchés, celui d’être autoréférentiels et non pas de refléter la réalité objective des actifs. Il est évident que si l’ambiance collective sur les réseaux sociaux se révèle favorable ou défavorable à telle ou telle évolution, y compris d’une manière irrationnelle, vous pouvez avoir intérêt à opérer sur le marché sur la base de cette information pour en tirer un bénéfice immédiat. Mais l’efficience réelle du marché, qui consiste à essayer de donner une indication intelligente de la valeur économique d’une entreprise et de ses perspectives de profit, ne sera pas améliorée, au contraire. Cela étant, cette pratique n’est que l’accentuation d’une tendance déjà largement présente sur les marchés, mais elle risque d’aboutir à des marchés encore plus décalés par rapport à l’économie réelle.

Mais si l’on est optimiste, on peut aussi espérer que l’IA contribuera au contraire à réaliser de meilleures analyses sur l’activité des entreprises, en intégrant une masse de données réellement pertinentes et aujourd’hui sous-utilisées. Par exemple, il est clair que sur les marchés de matières premières, nous constatons un manque d’informations : supposons que l’on parvienne à analyser de façon beaucoup plus précise les conditions réelles de production ou les faits qui peuvent affecter la consommation à un moment donné, il serait alors possible de rapprocher la connaissance du marché de la réalité du sous-jacent.

De façon plus globale, que pensez-vous du rôle des FinTechs dans les activités financières ?

Elles relancent, dans une certaine mesure, la concurrence dans un secteur financier où celle-ci tend à être réduite, non seulement parce que la régulation tend à renforcer les positions dominantes des grands acteurs, mais aussi parce que, dans un contexte incertain, il est naturel de se fier plus volontiers aux acteurs les plus établis. Il est bon de voir apparaître une forme d’alternative, même quand celle-ci est un peu « sauvage ».

Pensez-vous que cette révolution numérique permettra de renforcer la rentabilité des activités de marché ?

Elle peut permettre de réduire les coûts, mais c’est vrai pour tous les acteurs du marché et cela ne donne donc pas véritablement un avantage concurrentiel durable. En outre, s’il y a une vraie concurrence, cette baisse des coûts profite, dans un premier temps, aux acteurs innovateurs, mais finit par bénéficier à terme aux utilisateurs finaux, aux consommateurs, sans effet par elle-même sur la rentabilité.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº821bis
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