L’objectif du reporting climat est d’amener les investisseurs à fournir une information claire, concise, fiable et comparable sur la gestion de leur exposition aux risques climatiques – le risque de transition et le risque physique – et sur leur stratégie pour contribuer à la transition bas carbone. C’est un véritable défi technique pour les investisseurs, qui doivent trouver comment fournir une mesure convaincante de leur situation sur ces enjeux, et des indicateurs pour suivre leurs progrès.
Des années d’innovation (et de confusion) méthodologique
La première obligation de reporting pour les investisseurs français remonte à 2015, avec l’article 173-VI de la loi pour la transition énergétique et la croissance verte. C’était une première mondiale, dans un contexte où les régulateurs et les investisseurs découvraient seulement les enjeux du climat pour le secteur financier. Le régulateur cherchait alors à mobiliser une majorité d’acteurs financiers, à les inciter à développer des méthodes d’évaluation et les données nécessaires. Pour ce faire, le décret d’application de l’article 173-VI
Ces années de « reporting 173 » ont permis à des méthodes d’analyse variées de voir le jour. Sans surprise, cette première étape n’a pas suffi à assurer la qualité de l’information restituée par les investisseurs : cette qualité a été critiquée
Le décret évite l’écueil de la standardisation des analyses
Le nouveau décret qui vient d’être publié – le décret d’application de l’article 29 de la loi énergie climat ou « décret 29 LEC » – doit permettre de franchir une nouvelle étape et d’améliorer drastiquement la qualité des informations publiées, en tenant compte des avancées méthodologiques qui ont eu lieu ces dernières années mais aussi des difficultés qui demeurent. Il doit le faire en tenant compte des évolutions à l’échelle européenne, inspirées de l’article 173 français : le règlement européen « Disclosure
Pour améliorer la qualité du reporting, le décret aurait pu faire le choix de la standardisation. Il aurait été tentant en effet de rédiger des standards techniques auxquels les méthodes doivent se conformer. Toutefois, nos recherches montrent que l’état actuel des pratiques ne permet pas de mettre en œuvre une solution si tranchée. Si les méthodes commencent à faire émerger un patchwork de bonnes pratiques, il faut encore progresser sur beaucoup de zones d’ombre. Il faudra par exemple intégrer le progrès graduel des travaux de modélisation sur les impacts du changement climatique, et tenir compte de futurs progrès dans la disponibilité de données plus granulaires à l’échelle des entreprises. Par ailleurs, la transparence des méthodes reste limitée, et l’on manque encore de recul pour apprécier la plus-value de chacune d’entre elles.
L’heure n’est donc pas à la standardisation des méthodes. Pour améliorer la qualité du reporting, il nous semble plus judicieux de chercher à favoriser la diffusion des bonnes pratiques ; à augmenter la transparence des analyses ; à aiguiller les efforts de développement là où ils sont nécessaires. C’est le choix fait par le nouveau décret.
Le choix d’une approche par « critères de qualité » : une bonne option
Le nouveau décret propose en effet une alternative intéressante à la standardisation. Il prend le parti d’intégrer des critères de qualité méthodologiques minimum portant sur l’information demandée à l’investisseur. Par exemple, pour refléter l’incertitude sur la trajectoire de la transition bas carbone, l’investisseur devra publier son exposition au risque de transition en tenant compte de plusieurs scénarios de transition possibles, au lieu d’un seul. Le décret détaille aussi les éléments d’analyse qui sont jugés essentiels et qui méritent plus de transparence, comme les critères d’identification et de sélection des risques climatiques majeurs pour l’investisseur, aussi connus sous le nom de « l’analyse de matérialité financière ». Enfin, le décret demande à l’investisseur de publier un plan d’amélioration continue si certaines informations exigées ne sont pas divulguées.
Cette approche par « critères de qualité » permet de mettre en valeur les bonnes pratiques existantes et de stimuler le développement des bonnes pratiques qui manquent, tout en devançant le règlement européen « Disclosure ». Si certains craignent que cette approche soit lourde pour les investisseurs, aussi bien dans la collecte que dans le reporting des informations demandées, cette crainte ne nous semble pas justifiée. Toutes les informations exigées autour des méthodologies d’analyse elles-mêmes par exemple pourront être directement publiées par les fournisseurs de services.
Une opportunité manquée de clarifier le rôle des investisseurs
S’il y a un regret à avoir avec ce décret, c’est qu’il n’incite pas les investisseurs à clarifier leur « contribution » à la lutte contre les changements climatiques. Ce qui nous semble pourtant indispensable.
En effet, de plus en plus d’investisseurs mettent par exemple en œuvre des stratégies dites « d’alignement » de leurs portefeuilles sur des trajectoires de transformation de l’économie, et les résultats de ces stratégies sur l’économie réelle et les émissions de gaz à effet de serre sont très variables ! Un investisseur peut « aligner » son portefeuille en rachetant à un autre investisseur les actions d’une entreprise « verte », et en revendant à un autre les actions d’une entreprise « brune », sans améliorer l’activité de ces entreprises ni la durabilité de l’économie. À l’inverse, il peut contribuer activement à la transformation de l’économie en investissant dans des entreprises nécessaires à la transition bas-carbone et qui peinent à trouver des investisseurs pour grandir ; ou en participant à la réorientation des activités d’une entreprise « brune » de son portefeuille.
Les investisseurs manquent encore d’outils pour démontrer leur impact positif sur la transformation de l’économie réelle, mais de nombreuses initiatives prometteuses ont été lancées et la Secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire, a appelé
Attention à l’obsession du chiffre
Au-delà de cette opportunité manquée, un point de vigilance mérite d’être souligné : l’importance – trop forte – accordée aux estimations financières. Le décret incite en effet les investisseurs à publier une estimation en euros des pertes encourues dans leurs portefeuilles si les risques liés au climat se réalisent. Cela concerne autant les risques de transition que les risques climatiques physiques.
Cette idée semble à première vue intéressante : les estimations de pertes financières sont un indicateur pratique, par exemple pour comparer l’importance des risques liés au climat par rapport aux autres sources de risques financiers, sur un même portefeuille ou entre portefeuilles. Mais nos travaux de recherche
Le décret aurait dû inciter les investisseurs à explorer davantage des indicateurs qualitatifs pour décrire et gérer leur exposition aux risques liés au climat. Le chiffrage ne doit pas devenir une obsession.