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Valorisation

Les données, nouvel actif stratégique des banques

Créé le

02.04.2019

-

Mis à jour le

02.05.2019

Les banques pourraient se prévaloir des réglementations dont elles font l’objet et de leurs obligations de conformité pour se positionner comme acteurs de confiance dans les nouveaux marchés de la donnée.

Face à une dégradation de leur rentabilité du fait du double effet du coût de la conformité et d’une concurrence accrue sur leurs marchés historiques, les banques cherchent des solutions dans la digitalisation et l’automatisation. Ce mouvement amène à la valorisation d’un nouvel actif : la donnée.

Dans ce nouveau marché, le caractère extrêmement régulé des institutions financières constitue paradoxalement un avantage compétitif comparé à d’autres secteurs : le contrôle de la qualité des données est une exigence réglementaire depuis la crise de 2009.

Par ailleurs, de nouvelles fonctions concernant la validation ou certification de la donnée, ainsi que de nouvelles applications de l’intelligence collective dans le cadre de marchés de la donnée peuvent être envisagées.

La rentabilité bancaire sous pression

Sous l’effet d’une pression réglementaire croissante et de l’arrivée de nouveaux acteurs, la rentabilité du secteur bancaire français connaît une dégradation notable, comme en témoigne la détérioration de son coefficient d’exploitation. Du fait d’une hausse des charges d’exploitation et d’une stagnation du produit net bancaire, les banques françaises ont vu leur coefficient d’exploitation moyen s’établir à 69 % en 2017, soit une hausse de 2,5 points depuis 2015. Parallèlement, le rendement de capitaux mesuré par le ROE (Return on Equity) a été divisé par deux depuis 2005.

On constate également l’émergence de nouveaux acteurs – FinTechs, néobanques, agrégateurs de comptes – qui viennent concurrencer les banques dans leur cœur de métier : la gestion des comptes et la relation client. Ces nouveaux acteurs sont passés maîtres dans l’exploitation des données bancaires afin d’apporter conseil et services personnalisés à moindre coût.

Le paradoxe réglementaire : un poids et un tremplin

Face à ces nouveaux acteurs, les banques disposent paradoxalement d’un atout majeur : la culture de la conformité d’un secteur extrêmement régulé. La réglementation qui pèse sur la rentabilité bancaire peut donc se transformer en facteur de son rebond.

En effet, contrairement aux acteurs issus du monde de la technologie, le secteur financier est soumis à des obligations de confidentialité et un grand nombre de données recueillies l’est pour des raisons de conformité à la loi. Confidentialité et conformité à la réglementation sont les deux éléments différenciants qui permettent aux banques d’établir une relation de confiance spécifique avec leurs clients. Les nouveaux acteurs, de leur côté, ne peuvent se prévaloir d’un examen continu des leurs opérations par les régulateurs nationaux et européens.

Les nouveaux métiers de la certification

Les développements en cours dans les banques pour la valorisation des données privilégient plusieurs pistes selon qu’il s’agisse de générer des revenus supplémentaires : meilleures connaissances clients, conseils personnalisés pouvant générer ou de diminuer les coûts par une analyse plus fine de risques ou une diminution du coût de collecte des données.

Au cœur de ces « cas d’usage », émerge une nouvelle fonction de certification de la donnée : si les données sont massivement collectées et stockées, il est également nécessaire de les vérifier, les certifier pour en attester la qualité et permettre une valorisation efficace. Ce travail sur la qualité de donnée véhiculée est une exigence de la Banque Centrale Européenne (BCBS 239) : les banques se doivent de mettre en place procédures et outils permettant d’attester de la fiabilité, la cohérence, et la piste d’audit relative aux données fournies au régulateur.

Il apparaît ainsi une nouvelle fonction bancaire : certification de la donnée, contrôle de la qualité des données. Cette fonction bancaire constitue un avantage compétitif pour le secteur bancaire dans son ensemble, la banque étant le seul acteur qui a développé des procédures de certification de données revues par le régulateur.

Vers un marché de la donnée

Au-delà de la certification la donnée peut être échangée (avec échange monétaire ou pas) ce qui permet de valoriser les travaux internes de contrôles et de certification de la donnée.

Une application en particulier nous paraît receler des possibilités intéressantes : celui d’une Place de marché bancaire consacrée à la donnée. Pour qu’un partage sur une Place de marché soit possible, il doit s’agir de données ne donnant pas d’avantages compétitifs, mais coûteuses à collecter et à mettre à jour, largement présentes dans les systèmes d’information du secteur, avec des degrés de mise à jour et d’exhaustivité variables selon les acteurs.

La mise à disposition sur une Place de marché permettrait :

  • de diminuer le coût de production de cette donnée puisqu’elle pourrait être vendue ;
  • d’inciter à la mise à jour et à la qualité de données à travers des mécanismes de notation ;
  • de présenter le « consensus de Place » sur la donnée au régulateur ;
  • d’éviter la dépendance du secteur bancaire à des fournisseurs de données brutes.
Sur un tel marché, les coûteuses fonctions de collecte et de contrôle de qualité des données pourront être valorisées : les participants pourront vendre et acheter les données en fonction de leur besoin.

Le mécanisme d’incitation est fondamental sur une telle place de marché : il garantit que les acteurs proposent ou mettent à jour des données de qualité. Chaque consommateur d’une donnée pourrait en effet valider ou invalider une donnée en fonction de ces connaissances. Les « disputes » étant l’objet d’un arbitrage de la communauté : l’émetteur de la donnée verrait ainsi son statut au sein de la communauté s’améliorer ou se dégrader par la mise en place d’un système de notation.

Parmi les cas d’usages potentiels, on peut penser au domaine des données « client ». Celui-ci est, il est vrai, l’objet de beaucoup d’initiatives ; cependant très peu d’entre elles abordent le sujet en partant d’une Place de marché de la donnée : les données s’échangent et par analogie au marché de titres, il existe des institutions « buy side » structurellement acheteuses et des « sell side » structurellement vendeuses. Sur un marché de la donnée, il peut y avoir des acteurs majoritairement vendeurs souhaitant valoriser leur base de clients, des acheteurs structurels souhaitant économiser dans le lourd processus de constitution des dossiers client.

Les institutions gérant de larges bases de données client (les banques universelles par exemple) se retrouvent dans les vendeurs structurels alors que les institutions de petites tailles ont tout intérêt à acheter à leurs pairs des données dont le coût de collecte et de mise à jour est élevé.

Mais la donnée client n’est qu’un cas d’usage parmi d’autres : les données sur les fournisseurs (Know Your Suppliers) sont, elles aussi, des données fastidieuses à renseigner que le secteur concerné aurait intérêt à partager sur une Place de marché. L’avantage compétitif de sa constitution et sa maintenance étant loin d’être avéré.

Plus largement et au-delà du domaine financier toute donnée pour laquelle existe une forte asymétrie d’information entre les participants (biens d’occasion, immobilier, etc.) peut être traitée au sein d’une Place de marché de la donnée pour faire émerger un consensus par les « pairs ».

Un acteur de confiance

Fondamentalement, ces évolutions mettent en avant le caractère singulier du métier bancaire, l'un des plus réglementés au monde. Cette contrainte est gage de confiance dans la qualité et la conformité à la loi du traitement de la donnée recueillie.

Ainsi, dans la continuité de ses métiers historiques, le banquier peut se présenter comme acteur de confiance dans les nouveaux marchés de la donnée (lorsque la nature de la donnée s’y prête) et rentabiliser ses coûteuses activités de conformité en se présentant comme certificateur ou valideur des données opérant sur les nouveaux marchés de la donnée.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº832
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