En réunissant autour d’une même table deux professionnels des marchés (Pierre de Lauzun et Philippe Tibi), un économiste d’humeur fantasque (Jean-Marc Daniel) et un journaliste aux thèses iconoclastes (Adrien de Tricornot), Revue Banque et l’Amafi avaient fait un pari risqué : celui de l’éclectisme. On pouvait craindre en effet qu’à faire entendre des voix trop dissonantes, le débat fasse vite place à la cacophonie. Le débat a pourtant eu lieu, parfois animé, mais toujours de haute tenue.
L’erreur des investisseurs
Invités à s’exprimer sur la responsabilité des marchés dans le déclenchement de la crise de 2007-2008, Pierre de Lauzun et Philippe Tibi, dont les positions ont été détaillées par Pascale-Marie Deschamps dans un livre d’entretiens au titre évocateur – Les marchés font-ils la loi ? – ont exprimé un point de vue nuancé. Pierre de Lauzun a ainsi rappelé qu’à la crise des subprime – crise de la dette privée – avait succédé celle de la dette souveraine et que la responsabilité des marchés n’avait pas été la même dans la première et dans la seconde. Dans la crise des subprime, a-t-il expliqué, il y a eu un dysfonctionnement manifeste de la sphère financière, auquel régulateurs et banquiers ont contribué de différentes façons. Dans la crise des dettes souveraines, en revanche, ce ne sont pas les marchés qui ont fauté, mais les Etats. L’erreur des investisseurs est d’avoir cru en leur capacité de remboursement sans faire preuve du moindre esprit critique. Sur ce plan, la prise de conscience n’a été que tardive. Si certains Etats sont aujourd’hui en grande difficulté, ce ne serait pas parce qu’ils subissent la pression des marchés, mais au contraire parce qu’ils doivent aujourd’hui apprendre à vivre sans eux, après n’avoir longtemps juré que par eux. Nous n’assisterions donc pas au début d’une domination, mais à la fin d’une dépendance. Cette idée, Jean-Marc Daniel l’a reprise à son tour, et résumée d’une formule cinglante : « Les marchés ne sont pas responsables des erreurs de politique économique. »
Le dysfonctionnement des marchés
La tentation de punir les marchés financiers est très répandue. Pierre de Lauzun s’en est inquiété : « Une personne peut être coupable ou responsable, pas une structure. En revanche, une structure peut dysfonctionner. Il est donc justifié de punir les individus lorsqu’ils commettent des fautes, absurde de s’en prendre aux structures ». Philippe Tibi a quant à lui insisté sur l’impact négatif que d’éventuelles sanctions pourraient avoir sur l’activité économique : « Les marchés, au même titre que le système bancaire, contribuent à financer l’économie. Vouloir punir ceux qui financent l’économie ne peut avoir que des effets néfastes et empêcher la reprise, si nécessaire dans la période que nous traversons. »
Les nouvelles barrières commerciales
C’est peu dire que la conversation a pris un tout autre tour lorsque les regards se sont tournés vers Adrien de Tricornot, auteur avec Franck Dedieu et Benjamin Masse-Stamberger d’un récent essai intitulé
Des stratégies de prédation
Il en fallait plus pour convaincre Jean-Marc Daniel, qui s’est livré à un plaidoyer passionné en faveur du libre-échange : « L’inconvénient majeur que je vois aux impôts que souhaitent lever les protectionnistes de tous bords, que ces impôts prennent la forme de la taxe carbone, ou celle plus classique de droits de douane, c’est qu’ils ne sanctionnent jamais le producteur chinois, mais bien davantage le consommateur, et plus encore le consommateur pauvre. Ces stratégies protectionnistes sont donc des stratégies de prédation : prédation du pouvoir d’achat des consommateurs et prédation des parts de marché des autres agents économiques. Est-ce que cette stratégie est bénéfique en ce sens qu’elle prépare la croissance de demain ? Je dis non ! ». Dans son élan, le professeur de l’ESCP Europe en a profité pour dire quelques mots de son dernier livre consacré à David Ricardo. Avec sa théorie de l’avantage comparatif, il fut avec Adam Smith l’un des premiers apôtres du libre-échange. Les débats auraient pu se prolonger fort tard si Olivier de Rincqsen, qui animait la rencontre, n’avait sifflé la fin de la partie vers 20 heures, annonçant la tenue, le 18 juin prochain, du 8e Forum des auteurs, consacré à la crise de la dette souveraine.