Les banques et le négoce ont une longue histoire commune. Dès le XIIe siècle, on trouve dans les grandes places de commerce que sont Bruges, Gênes ou Venise, les premières traces d’activités de banque et de
Dans les siècles qui suivent, des dynasties de banquiers-marchands, tels les Fuggers à Augsbourg ou les Médicis à Florence, développent l’usage des lettres de
Sous le Second Empire, les banques universelles françaises s’intéressent de près au financement des matières premières, dans le sillage de l’expansion du commerce mondial. Des campagnes de collecte de guano au Pérou, par la société Louis Dreyfus, sont financées par la Société Générale dès 1869 sous la forme de syndicat de
Après la Seconde Guerre mondiale, les échanges mondiaux connaissent une accélération. Les chaînes logistiques autour de la planète s’intègrent au point que plus aucun marché de commodité ne peut s’affranchir des conséquences de ce qu’il advient à l’autre bout du monde. Le négoce est devenu global. Les banques qui financent ces matières premières couvrent de façon mondiale les marchés et leurs clients. Des équipes spécialisées, présentes comme leurs clients négociants dans les grands hubs de trading que sont Londres, Paris, Genève, New York, Singapour ou Hong Kong, proposent une palette de plus en plus large de produits et services.
Les risques spécifiques du négoce
Pour faire face aux besoins du négoce et à ses risques spécifiques, les banques ont développé une offre dédiée de produits. Cette offre, qui demeure le socle du financement du négoce, a évolué au cours de la dernière décennie sous l’effet d’une double pression réglementaire et concurrentielle.
Pour appréhender les enjeux du financement du négoce de matières premières, il s’agit tout d’abord de présenter certaines caractéristiques de l’activité du négociant. Ainsi, dans sa forme la plus pure, le négociant dispose d’une base de fonds propres réduite en regard de son chiffre d’affaires ou de son bilan. Sa capacité à « leverager » son bilan est critique tant pour financer les commodités qu’il souhaite acheter que pour faire jouer l’effet de levier sur sa rentabilité. La transparence et la compétition entre négociants, producteurs et consommateurs sont telles que les marges commerciales sont réduites. Pour protéger ces dernières, le négociant a ainsi développé des techniques de plus en plus sophistiquées de maîtrise de ses risques.
Le risque de prix est le plus évident ; le négociant parvient à le gérer, soit en le transférant du vendeur vers l’acheteur (clause de prix adossée l’une à l’autre, prévente à prix fixe), soit en utilisant les marchés à terme pour se couvrir (quand leurs commodités sont cotées sur un marché organisé). Une exposition non couverte est toujours possible, mais elle engagera directement ses fonds propres. Le risque de crédit ou de contrepartie est également géré, au moyen de divers supports, comme les lettres de crédit documentaires, les garanties bancaires ou les polices d’assurances crédit. Afin de sécuriser ses approvisionnements, le négociant peut prépayer une commodité, prenant ainsi un risque de performance sur un producteur. Ce risque est couramment transféré sur une banque ou un assureur. Pour faire face aux risques logistiques, des polices d’assurance spécialisées (type « marine cargo ») peuvent être souscrites. Le dernier risque majeur est celui de liquidité, ou plutôt d’illiquidité, qui se caractérise par la difficulté à mobiliser ses actifs courants liquides pour couvrir son passif immédiatement exigible. En cas de forte volatilité des prix, les appels de marge de la position dite
Une panoplie de produits et services financiers
Face à ces besoins et risques spécifiques, les banques de commodités ont développé une panoplie de produits et services dédiés. Les lignes transactionnelles sont le type de financement le plus utilisé par les négociants en Europe et en Asie. Il repose sur l’analyse d’une transaction qui s’appuie sur un collateral, en l’occurrence la commodité, dont le produit de la vente servira à rembourser l’avance faite par la banque. Des lettres de crédits peuvent être ouvertes pour sécuriser les parties prenantes (producteur, négociant, consommateur) tant à l’achat qu’à la revente, en s’appuyant sur la circulation d’un jeu de documents, incluant le plus souvent un titre de propriété tel un connaissement maritime. En Amérique du Nord et pour les négociants les plus importants, les banques ont développé des solutions de financement du besoin en fonds de roulement sur la base d’une déclaration hebdomadaire ou mensuelle d’un niveau de collateral, en général des stocks et des créances clients, valorisé au prix du marché. Ces financements dits « borrowing base » offrent une grande flexibilité au négociant mais présentent un risque accru de fraude compte tenu de leur caractère déclaratif. Afin d’adresser ce dernier risque, Les banques peuvent s’appuyer sur des sociétés spécialisées dans l’inspection physique du collateral. Sur les commodités les plus liquides, les banques ont développé des activités de portage de stock, appelées repo (« repurchase agreement »), à des conditions financières avantageuses car la banque dispose du stock en pleine propriété. Plus en amont, les négociants peuvent proposer des prépaiements qui seront remboursés par le produit des ventes futures d’une commodité. Cette offre qui s’appuie souvent sur un compte d’encaissement à l’extérieur du pays du producteur, a connu un grand succès dans les pays émergents ne disposant pas encore d’un secteur bancaire mature. Le financement minier ou le financement de projet pétrolier de type « Reserves Based Lending » (RBL, sur la base d’une estimation des réserves), sont également des produits bancaires largement utilisés pour financer les projets d’extraction. Plus le négociant se rapproche d’un modèle de bilan plus « classique » (avec des actifs fixes et non plus seulement des actifs courants), plus la gamme des produits de financement proposés tendra vers une offre de type corporate, tels que facilités syndiqués, sécurisés ou non, financements d’acquisition (type
Nouvelles contraintes…
Dans la dernière décennie, les banques ont été challengées par de nouvelles contraintes et par l’émergence de nouveaux compétiteurs.
Le durcissement de la réglementation bancaire a eu des effets sur le périmètre et l’appétit des banques dans leurs activités matières premières. Sous l’effet des restrictions introduites par les lois Volcker et Dodd Frank aux
Les sujets de conformité, que ce soit au titre du KYC (Know Your Customer), du risque de réputation, du respect des embargos américains, français ou européens, sont devenus des sujets centraux pour les banques et les négociants notamment depuis la multiplication des amendes par l’Office of Foreign Assets Control
Au cours de l’été 2011, l’activité de financement du négoce a été un dommage collatéral de la crise des dettes souveraines. Jusqu’à sa résolution par l’intervention de la Banque Centrale Européenne (BCE) sur le refinancement du système bancaire, la liquidité dollar de toutes les banques de la zone Euro a été fortement réduite par les fonds monétaires américains, menaçant en cascade la liquidité des négociants.
…et nouveaux compétiteurs
Pour faire face à ces risques pesant sur leurs financements bancaires intermédiés, les négociants ont poursuivi une logique de diversification de leurs sources de financement. Des premiers programmes de titrisation de créances commerciales, aux placements privés d’obligations ou de prépaiements auprès d’investisseurs jusqu’au plus classique programme de billets de trésorerie pour les plus gros acteurs, les négociants ont élargi la palette de leurs financements désintermédiés. De façon générale, tous les actifs circulants sont susceptibles d’être financés sans recourir au bilan des banques. Les difficultés résident dans la structuration de ces produits et dans leur acceptation par de nouvelles classes d’investisseurs. Enfin, de nouveaux acteurs non bancaires, tels les fonds d’arbitrage (hedge funds) ou d’investissement sont également apparus afin de se substituer aux banques mais cette poche de liquidité demeure chère en regard des financements bancaires.
De façon plus récente, la montée de la digitalisation au sein du négoce est susceptible de faire apparaître une nouvelle compétition. Des premières transactions utilisant la blockchain à la dématérialisation du support documentaire (solution EssDoc,
Malgré la montée des contraintes, le secteur bancaire reste un acteur incontournable, seul à même d’offrir à la fois du financement intermédié et désintermédié, des solutions de conseil et des outils de gestion du risque. Cette place centrale est certes challengée par de nouveaux acteurs mais au quotidien, la relation entre le négoce et ses banques continuent de se renforcer, de se diversifier dans la droite ligne d’un partenariat démarré il y a plus de mille ans.