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Macroéconomie

L’économie déboussolée

Créé le

12.12.2016

-

Mis à jour le

22.12.2016

Apple, Google et Amazon, puis Facebook et Twitter, puis AirBnB et Uber : notre société est frappée par des vagues successives d’entreprises nouvelles qui déstabilisent tous les modes de fonctionnement. Nous quittons un modèle économique pour un autre dont les contours commencent seulement à se dessiner. Dans cette phase de transition, la capacité d’observer ce qui se passe est plus vitale que jamais. Que sont devenus les instruments permettant de mesurer et de suivre les heurs et malheurs de l’activité économique ?

Les performances du PIB affligent nos gouvernements et contribuent à l’ambiance pessimiste dans laquelle nous vivons. C’est d’ailleurs étrange : les nouvelles technologies nous facilitent la vie de façon merveilleuse et nous font entrevoir des possibilités inouïes, ce qui donne l’impression que nous sommes dans une période formidable, tandis que la croissance piétine, que le chômage résiste et que l’avenir économique semble devenir de plus en plus dur.

Je vous propose un petit exercice anti-dépression. Certes, la grande vague technologique crée de nombreux emplois, mais pas encore aussi vite, tant s’en faut, qu’elle n’en détruit. Certes, notre vieux pays tarde à prendre les bons virages, comme certains de nos voisins ont su le faire. Certes, la rapidité vertigineuse des transformations pèse sur les plus fragiles et parmi ceux-ci, de façon aussi inacceptable que paradoxale, sur les jeunes. Mais est-ce une raison pour voir les choses pires qu’elles ne le sont ? On ne résout pas les problèmes si l’on commence par les déformer.

Un thermomètre dépassé

Ce qu’il faut savoir, c’est que le sacro-saint PIB, qui fut depuis le milieu du XXe siècle un indicateur pertinent pour suivre l’économie, laisse désormais passer entre ses mailles une part de plus en plus grande de l’activité réelle. Si votre thermomètre affiche 39,5° alors que votre température est en fait de 38°, vous risquez un mauvais diagnostic et de mauvaises solutions. Compter sur les chiffres du PIB pour nous « informer » sur la situation économique crée une situation comparable.

Les travaux qui ont donné naissance aux comptabilités nationales et à la création du PIB comme indicateur synthétique (Simon Kuznets aux États-Unis, en 1934) ont été brillants. Ils devaient néanmoins procéder à certaines hypothèses simplificatrices : celles-ci, légitimes pour l’époque, sont devenues insoutenables aujourd’hui.

Si les défauts du PIB étaient bien connus et raisonnablement acceptés, ils se sont hypertrophiés avec la transformation de notre économie. Je n’en citerai que trois :

  • le PIB se limite aux échanges marchands. Or il est facile de voir que cette grille de lecture, qui avait déjà ses limites (ce qui faisait dire à Alfred Sauvy « épousez votre femme de ménage, vous ferez baisser le PIB »), est devenue très lâche. Par exemple, le prix des timbres pour le courrier est dans le PIB, mais on peut envoyer autant de mails que l’on veut, autant de SMS ou de messages sur Twitter, on ne fait pas varier le PIB d’un iota ;
  • le PIB ne prend que les consommations finales. C’est logique, puisqu’il s’agit de mesurer la valeur ajoutée sur l’ensemble de la chaîne depuis l’extraction originale de matériaux ou de produits agricoles jusqu’au produit consommé. Ainsi, le chiffre d’affaires de la presse écrite est dans le PIB pour la partie payée par les particuliers (consommation finale) et non pour ses recettes publicitaires (consommation intermédiaire) : puisque les particuliers ne paient pas Google ou Facebook, toutes les recettes de ces géants sont désormais des consommations intermédiaires… De fait, les entreprises les plus prospères du monde ont en quelque sorte disparu des radars de l’activité économique ;
  • le PIB ne prend pas en compte le « capital » sous-jacent. Par capital il faut entendre les stocks de matières premières, les machines, les brevets mais aussi la terre cultivable, les villes et toutes les voies et constructions qu’elles contiennent, ainsi que l’éducation ou la culture d’une population. Or, non seulement notre pays n’est pas en reste sous bien des aspects, mais nous sommes très actifs dans l’orientation vers moins de destruction de l’environnement (préservation du capital) et vers des investissements qui réduiront à l’avenir nos consommations énergétiques (amélioration du capital). Ces préservations ou améliorations sont par essence étrangères à la mesure du PIB.
Rien de mystérieux. Le PIB fut un bel outil pour les sociétés industrielles. L’économie de la connaissance, la révolution numérique et l’émergence dans son sillage d’une économie du partage, sans compter la conscience nouvelle de notre environnement, nous emportent vers une société différente, pour laquelle nous devrons concevoir et construire de nouveaux outils. En attendant, ne nous laissons pas démoraliser si la croissance mesurée est désespérément atone. Elle ne reflète plus ni les mauvaises ni les bonnes nouvelles !

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº803
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