Dix ans d’efforts ont payé. Les banques, cette fois-ci, ne sont plus sur la sellette. Avec des bilans renforcés, elles peuvent être utilisées, durant cette crise sanitaire, comme un véhicule de transmission des politiques économiques et monétaires des autorités publiques.
Cela n’aurait pas été possible sans les réformes bâloises. Selon une étude publiée en avril par le Comité de Bâle, les fonds propres durs (common equity tier 1) des 100 plus grandes banques ont pratiquement doublé entre juin 2011 et juin 2019, soit une augmentation d’environ 1 900 milliards d’euros. Ceci s’ajoute à une réduction considérable des risques (par exemple des NPL
Leur solidité financière accrue permet donc aux banques de jouer cette fois-ci un rôle contracyclique, ce qui n’était pas le cas pendant la crise financière de 2008. Les réformes bâloises ont exigé la constitution de coussins de sécurité
Cela dit, solidité financière ne signifie pas immunité des banques contre la crise sanitaire. Leur résilience dépend aussi très largement d’un soutien massif des autorités publiques. Les réformes bâloises ne transforment pas fondamentalement le modèle des banques, ni cette dépendance au soutien des autorités publiques en temps de crise aiguë. Les quelque 1 000 milliards de liquidité injectés par les banques centrales reflètent l’ampleur de l’impact de la crise actuelle. Sans cette liquidité, le système financier – système bancaire inclus – aurait été bloqué.
Autrement dit, si les réformes bâloises ont permis aux banques de sortir de la dernière crise en étant progressivement plus liquides et mieux capitalisées, le modèle bancaire repose toujours sur le principe du « levier » et de la transformation de dépôts et emprunts à court terme en financements à long terme. Les réformes réglementaires des dix dernières années ne modifient pas le mécanisme de base mais en ajustent certains paramètres. C’est le résultat de l’arbitrage que font les autorités publiques entre résilience du système bancaire et capacité à faire circuler le crédit au sein de l’économie. Et de ce fait, pour que ce modèle tienne, les banques centrales doivent en effet être prêtes à soutenir les banques, surtout dans un choc tel que celui que nous observons actuellement.
Bâle IV en pause
Avant la crise sanitaire, bon nombre de banques ne voyaient pas d’un très bon œil les dernières réformes bâloises, censées entrer en vigueur à partir de 2022 : la finalisation de Bâle III surnommée Bâle IV. L’annonce de leur report d’un an en aura sans doute soulagé beaucoup, au moins temporairement. Ce report est totalement justifié. Mettre en place ces nouvelles règles requiert non seulement des efforts opérationnels, mais aussi – particulièrement pour certaines banques européennes – un effort additionnel pour renforcer les fonds propres ou réduire certaines expositions. Les banques ont déjà assez de pain sur la planche. De plus, ce n’est pas en temps de crise qu’on cherche à se constituer un trésor de guerre. Pour les autorités publiques, la priorité est de donner aux banques la capacité de prêter et d’absorber un coût du risque beaucoup plus élevé. Et elles ont à cœur d’éviter de brouiller ce message.
Au-delà du report, une interprétation « laxiste » de Bâle IV est désormais encore plus probable. Avant la crise sanitaire, les autorités disposaient déjà d’une certaine latitude pour assouplir certains de ces ajustements et dévier quelque peu des standards internationaux. Notons que l’Union européenne est déjà classifiée par le Comité de Bâle comme « largely non-compliant » quant à la mise en œuvre des standards actuels. Cette catégorie reflète – entre autres – une décote de près de 25 % pour les besoins de fonds propres liés aux expositions aux petites et moyennes entreprises (PMEs) et à certains projets d’infrastructure. Dans le contexte de la crise sanitaire, le « Quick fix », qui va modifier CRR
L’avenir incertain des normes prudentielles
La coordination internationale qui a soutenu la mise en œuvre de l’agenda de réformes réglementaires après la crise financière explique en grande partie son succès. Dans le contexte géopolitique actuel, il existe un risque réel de voir ce consensus se fissurer. Une réponse dispersée à la crise et des conclusions hâtives sur la résilience des banques dans le contexte actuel pourraient remettre en cause la réalisation de réformes déjà approuvées, voire mener à un recul durable sur certaines règles déjà mises en place. Avec le risque de voir s’éroder la résilience du système financier lors de la prochaine crise.
Une fois passé le pire de la crise sanitaire, la finalisation de Bâle III permettrait une meilleure lisibilité et comparabilité des ratios réglementaires entre juridictions. De plus, la simple anticipation de ces règles a largement influencé la gestion de bilan de nombreuses banques ces dernières années. Ces règles avaient donc joué un rôle effectif dans la situation favorable de certaines banques en Europe quand la crise a frappé. Dès lors, il serait dommageable de les remettre complètement en cause avant même leur entrée en vigueur officielle au motif que les banques tiennent bon jusqu’à présent.
IFRS 9 en douceur
De même, certains assouplissements temporaires autour des règles comptables dites IFRS 9 sont compréhensibles dans le contexte actuel, d’autant que leur mise en place n’a démarré que récemment. Mais les principes sous-jacents, dont une approche plus prospective pour le calcul des provisions, n’en sont à terme pas moins valables.
Quand l’horizon s’éclaircira quelque peu, il sera important de signaler comment s’effectuera le retour à la normale d’un point de vue réglementaire. Ce sera crucial pour se préparer aux prochaines crises, mais aussi pour éviter une prolifération de banques à peine viables, voire artificiellement maintenues en vie. Au-delà de la solidité des bilans, l’accent devra se porter également sur les modèles des banques et leur capacité à générer une rentabilité satisfaisante tout en répondant à l’évolution des exigences des clients. Dans certains pays, cela pourrait requérir un processus de consolidation pour éliminer une probable surcapacité du système bancaire.
Un nouveau rapport entre autorités publiques et systèmes bancaires ?
Les autorités européennes feraient vraisemblablement preuve de souplesse dans leur application du régime de rétablissement bancaire (Bank Recovery and Resolution Directive – BRRD) si des banques venaient à se trouver en difficulté en raison de la crise sanitaire. La priorité actuelle est d’éviter que les entreprises (et les ménages) ne manquent de liquidité, et le rôle des banques à cet égard est donc plus crucial que jamais. Les récents messages de la Commission européenne quant à une application assouplie de la règle sur les aides d’État pendant la crise sanitaire pourraient encourager certains gouvernements à secourir leurs banques en cas de besoin.
Mais rien ne dit que cela sera toujours le cas à l’avenir. Cette crise est systémique, et exogène au secteur bancaire. La réponse pourrait être très différente si une banque (ou quelques-unes) venait à faire défaut à cause de déficiences internes, par exemple en raison d’une prise excessive de risque ou de litiges liés à des pratiques douteuses.
Se pose aussi la question de l’après-Covid-19. La surcapacité du système bancaire dans nombre de pays risque d’être encore accrue. Beaucoup d’entreprises seront sans doute amenées à réduire leur endettement. Les taux bas vont plomber les marges nettes d’intérêt pendant encore un bon moment, combinés à une accélération de la transition digitale ainsi qu’à la sophistication grandissante des besoins de la clientèle. Certaines banques seront mal équipées pour faire face à ces défis. La réponse des autorités publiques, notamment en Europe, sera donc sans doute amenée à évoluer rapidement.
Pour le moment, la priorité absolue reste d’éviter qu’une crise de liquidité dans le secteur privé ne se mue en crise de solvabilité. Les banques jouant le jeu, leur rapport avec les autorités publiques apparaît généralement apaisé. Mais même une fois la reprise économique amorcée, la crise sanitaire risque de marquer durablement certains secteurs et les banques devront parfois décider de ne pas soutenir certains emprunteurs jugés non viables. Quoique préférable à la création de légions d’entreprises-zombies, cela nuira sans doute à la « popularité » des banques. De même, en dépit de bilans résilients, leur rentabilité sera durablement affectée par les taux bas, un processus de désendettement pour certains clients, un coût du risque plus élevé qu’avant crise, entre autres facteurs. Certaines banques seront probablement poussées à augmenter la facturation de leurs services pour y remédier.
Quand bien même le pic principal de la crise sanitaire ne durerait que quelques mois, ses répercussions économiques s’étaleront sur plusieurs trimestres. Le rôle des banques évoluera durant cette période. Il en ira sans doute de même pour leur rapport avec l’opinion et les autorités publiques.
Achevé de rédiger le 12 juin 2020.