La crise financière a popularisé la finance islamique, dont les principes sont désormais bien connus : interdiction de l’intérêt (riba), de la spéculation (maysir), de l’incertitude (gharar), des investissements impurs (haram), obligation d’investir dans des actifs réels et licites. La mise en œuvre de ces principes doit être validée par un comité de conformité à la loi islamique (shariah board) composé de docteurs de la loi (shariah scholars) qui formulent des décisions (fatwa) dont les attendus ne sont généralement pas publiés. Les adhérents aux principes de la finance islamique considèrent que les règles de celle-ci garantissent la pureté morale de ses exécutants comme la stabilité du système financier : c’est, par exemple, le point de vue d’Abbas Mirakhor, lauréat du prix de la banque islamique de développement en 2003 et premier titulaire de la chaire de finance islamique à l’
Le formalisme légal est loin de satisfaire tous les musulmans : certains sont à la recherche d’une approche plus attentive aux conséquences des décisions financières, d’autres se montrent plus pragmatiques. Le cas de la Malaisie illustre une approche plus souple : le système de normes comptables et prudentielles mis au point dans le cadre de l’Islamic Financial Services Board (IFSB) permet aux institutions financières de répondre à la fois aux normes « conventionnelles » (IASB ou FASB et Bâle) et islamiques. De plus, depuis 2009, la Malaisie dispose d’un Conseil suprême, rattaché à la banque centrale, dont les décisions s’imposent aux entités privées. Si cette architecture permet de résoudre le problème juridique de l’interprétation au plan national, il n’exclut pas des conflits internationaux. Ainsi, en 2007, Taqi Usmani – président du Conseil de conformité de l’AAOIFI – a émis une fatwa « Sukuk and their Contemporary Applications » condamnant une grande partie des titres dont les émissions avaient pourtant été approuvées en Malaisie.
La compétition entre les règles malaisiennes édictées par l’IFSB et les normes de l’AAOIFI, qui fait autorité dans le Golfe, pourrait laisser croire qu’il existe deux finances islamiques. On sait déjà que l’islam est partagé entre des écoles juridiques (madhahib) dont la particularité ne tient pas seulement à l’interprétation, mais aussi à la recevabilité et à la priorité accordées aux différentes sources du droit. Pourtant, des docteurs de différentes obédiences se retrouvent dans des comités de conformité significatifs, comme celui de la Banque Islamique de Développement, où siège même un chiite (l’ayatollah Taskhiri). Plus que deux mondes, ce sont certainement deux « modèles de développement » qu’il faut reconnaître :
- dans le Golfe, la finance islamique s’est constituée autour de la banque privée, pour la gestion des grandes fortunes locales, tout en reconnaissant le pouvoir des oulémas ;
- de son côté, le modèle malaisien est à la fois industriel, accompagnant le développement de la classe moyenne, et fermement appuyé par l’État qui le régule et le tourne vers l’exportation non seulement de services financiers, mais plus largement de biens islamiques (à travers le développement d’une norme logistique halal).
Si l’on considère une optique purement française, le risque de perte de conformité n’a probablement qu’un effet limité sur le démarrage de la finance islamique. Comme les fonds socialement responsables, les produits islamiques peinent à trouver une clientèle : le modèle malaisien paraît pour l’heure inadapté à la taille du marché français, et le modèle venu du Golfe fait de notre pays, au mieux, une destination d’investissements grâce au formatage adéquat des