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Pour la petite histoire des intérêts négatifs : une certaine harmonie juridique et fiscale

Créé le

02.12.2022

Deux arrêts du Conseil d’État du 20 septembre 20221 ont eu à connaître des conséquences fiscales d’intérêts devenus négatifs. En bref, une filiale française et une société mère allemande avaient conclu une convention de trésorerie qui comportait une formule d’intérêt variable, ce qui avait conduit, ces dernières années, à un taux négatif. L’Administration fiscale y avait vu un transfert déguisé de bénéfices de la filiale française vers la société mère étrangère et avait redressé la société française. C’est ce qu’avaient également retenu les juridictions administratives, mais le Conseil d’État leur a reproché une erreur de droit pour ne pas avoir tenu compte de la convention de trésorerie conclue entre les sociétés, en n’ayant pas recherché « si la société S... avait agi conformément à son intérêt en la concluant en ces termes », ni tenu compte des « obligations qui en découlaient pour elle au cours des années en litige ». Sans prendre évidemment parti sur sa validité juridique, la Haute juridiction administrative admet donc la possibilité fiscale d’un intérêt négatif si une convention expresse le prévoit.

Cette jurisprudence fiscale doit être rapprochée de la jurisprudence civile. On se souvient que dans un arrêt de principe du 25 mars 20202, confirmé par deux arrêts du 10 mars 20213, la Cour de cassation, à propos de prêts immobiliers à taux variable dont les intérêts étaient devenus négatifs, avait raisonné en deux temps.

Dans un premier temps, elle avait qualifié l’opération de crédit de contrat à titre onéreux, ce qui suppose une rémunération, puis jugé que l’emprunteur devait restituer l’intégralité de la somme prêtée sans que celle-ci puisse être amputée par des intérêts négatifs ; elle s’est en particulier appuyée sur l’article 1902 du Code civil, qui dispose que l’emprunteur doit restituer l’intégralité de la somme prêtée, et sur l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier, qui fait de l’opération de crédit une opération à titre onéreux.

Mais, dans un second temps, elle avait réservé la possibilité d’une convention contraire à condition que celle-ci soit expresse, ce qui semble faire que l’obligation de remboursement intégral d’un prêt relèverait de sa nature et non de son essence. Elle avait déjà admis en 2017, dans un domaine parallèle, celui des émissions obligataires, que le remboursement du principal pouvait être inférieur à son nominal, mais parce qu’elle avait implicitement jugé qu’une telle opération n’était pas assimilable à un prêt4.

Cependant, dans l’affaire jugée par le Conseil d’État, l’opération en cause n’était semble-t-il pas un prêt mais un dépôt. Dès lors, est-ce que le raisonnement de la Cour de cassation pourrait être le même que pour un prêt ? S’il est courant que des dépôts d’argent soient rémunérés par le dépositaire, qui peut en user à sa guise, le dépôt peut néanmoins être à titre gratuit et il n’est pas inenvisageable d’aller au-delà et d’admettre que le déposant puisse rémunérer le dépositaire pour le service rendu (service de garde). Quoi qu’il en soit, il y a manifestement une certaine harmonie entre les solutions jurisprudentielles, qu’elles soient juridiques ou fiscales. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº206
Notes :
1 CE 20 sept. 2022, n° 461639 et 461642, SAP France Holding, publié au Recueil.
2 Cass. civ. 1re, 25 mars 2020, n° 18-23.803, publié au Bulletin.
3 Cass. civ. 1re, 10 mars 2021, n° 18-24.699 et 18-24.701, inédits au Bulletin.
4 Cass. civ. 2e, 23 nov. 2017, n° 16-22620.
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