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Développement

Les fonds souverains, levier de la finance responsable des Etats

Créé le

28.04.2017

-

Mis à jour le

06.06.2017

Chargés de gérer une partie de la richesse nationale, investisseurs de long terme dans les économies locales revendiquant un caractère d’intérêt public,  les fonds souverains contribuent au développement économique tant de leur État d’origine que des États qui les accueillent.

Le fonds souverain de la Norvège a gagné 50 milliards d’euros en 2016, grâce à l'embellie boursière consécutive à l'élection de Donald Trump. Avec un rendement de 6,9 % sur l'année, le fonds gérait des actifs de 7 510 milliards de couronnes (près de 850 milliards d'euros) fin décembre 2016. Depuis que l'État norvégien y a versé ses premiers pétrodollars en 1996, il a accumulé un gain total colossal de 3 123 milliards de couronnes. Placé en actions (62,5 % de son portefeuille à fin 2016), en obligations (34,3 %) et dans l'immobilier (3,2 %) hors de Norvège, le fonds est destiné à financer les futures dépenses de l'État-providence en faisant fructifier les revenus pétroliers du pays.

Fin 2016, le fonds norvégien contrôlait 1,3 % de la capitalisation boursière mondiale, avec des participations dans près de 9 000 entreprises. L'an dernier, ce sont les investissements en actions qui ont le mieux performé, avec un rendement de 8,7 %. Sur le seul quatrième trimestre, ils ont gagné 4,91 %, tirés notamment par les espoirs de réductions fiscales et de déréglementation nés de la victoire inattendue de Donald Trump à la présidentielle américaine.

Le fonds norvégien a néanmoins pâti d'une diminution des versements de recettes pétrolières publiques à cause de la baisse des cours. Pour la première fois en 20 ans d'histoire, la Norvège, en 2016, n’a pas alimenté le fonds souverain : tandis qu'il y versait jusqu'alors en moyenne 171 milliards de couronnes – net –, chaque année, le gouvernement a procédé l'an dernier à une ponction nette de 101 milliards.

Si l'exécutif peut, depuis 2001, puiser chaque année jusqu'à 4 % dans le fonds – soit le rendement moyen attendu – pour équilibrer le budget, le gouvernement de droite a suggéré le 16 février dernier de ramener ce plafond à 3 %. Pour être adoptée, cette proposition doit être examinée par le Parlement, où le gouvernement est minoritaire. Il est également proposé d'augmenter sensiblement les investissements en actions, plus rentables mais plus risqués, pour les porter à 70 %.

La situation du fonds souverain norvégien n’est pas un cas isolé. Si l’on cherche à définir ce que sont les fonds souverains, sans prendre en compte les véhicules juridiques sous lesquels ils apparaissent (ou se dissimulent), on peut dire que les fonds souverains sont des émanations plus ou moins directes d’États disposant d’importants excédents commerciaux, des structures créées dans le but placer ces excédents à l’étranger.

Une gestion de réserves de change excédentaires

Les principaux fonds souverains ont des caractéristiques communes. On les désigne comme « souverains », car ils sont contrôlés par le pouvoir politique, le parti au pouvoir ou la famille régnante. La plupart des fonds à investir proviennent de la production de gaz ou de pétrole. C’est le cas de la Norvège. Et nombre d’entreprises européennes ont une part de leur capital détenue par les fonds souverains des pays du Moyen-Orient : le KIA – Koweit Investment Authority – a été créé en 1953 et gère 450 milliards de dollars ; l’ADIA – Abu Dhabi Investment Authority – date de 1976 et gère environ 800 milliards de dollars.

Le cas de l’Arabie Saoudite est particulier : le SAMA, Saoudi Arabia Monetary Agency Foreign Holdings, gère 750 milliards de dollars, et n’a été créé qu’en juin 2014. Avec l'envolée des cours du pétrole, l’Arabie Saoudite avait accumulé des excédents budgétaires évalués à 700 milliards de dollars. Les surplus financiers tirés du pétrole étaient précédemment gérés par la banque centrale. La création d'un fonds souverain, le premier du genre dans le Royaume, a permis une diversification des placements. Ceux-ci s'effectuaient auparavant pour l'essentiel aux États-Unis et en bons du Trésor. Le montant de ce fonds souverain l’a positionné d'emblée au niveau des plus importants – tel le fonds d'Abou Dhabi – et loin devant ceux de la Chine, du Koweït ou de Singapour.

Quelques États dégagent des excédents commerciaux, qui ne proviennent pas de matières premières fossiles : c’est le cas des deux fonds chinois ou du fonds singapourien. Le China Investment Corporation, un des principaux fonds souverains chinois, a été créé le 29 septembre 2007. Son modèle est basé sur celui du fonds singapourien Temasek en ce qui concerne la gouvernance et la transparence. Il gère environ 200 milliards de dollars de la réserve de change chinoise, évaluée à plus de 1 200 milliards de dollars. Ces capitaux proviennent des excédents commerciaux de la Chine avec le reste du monde.

Les fonds souverains se sont développés dans des pays où les réserves de change excèdent très largement les niveaux généralement considérés comme nécessaires : ceux qui permettent de couvrir trois mois d’importation et de faire face à un éventuel non-renouvellement des prêts internationaux à court terme. L’accumulation de réserves excédentaires pose en elle-même question. Elle peut en effet être le symptôme d’un désajustement du taux de change. Lorsqu’un pays comme la Chine possède 1 200 milliards de dollars de réserves de change, essentiellement placées en bons du Trésor américain ou autres titres liquides, le coût d’opportunité de ces réserves faiblement rémunérées devient exorbitant, ainsi que le risque de perte en cas de dépréciation du dollar. La diversification à long terme de ces actifs étrangers via un fonds souverain permet d’espérer une rémunération moyenne bien supérieure et éventuellement de diminuer le risque de change.

Des investisseurs de long terme…

Très clairement, les fonds souverains ont pour but de pérenniser un revenu provenant de ressources non durables, telles que les énergies fossiles ou les recettes liées au commerce international. Aussi, ils agissent à la manière des fonds de pension, en recherchant des investissements à très long terme, et surtout sécurisés. C’est la raison pour laquelle ils n’interviennent pas, sauf exception ou nécessité économique, sur leurs marchés intérieurs, souvent jugés trop étroits pour offrir un risque raisonnable. Les allocations de capitaux en actifs immobiliers et en infrastructures demeurent pourtant minoritaires dans la composition des portefeuilles. À l’inverse, les actions cotées occupent une place prépondérante.

Autre caractéristique forte : les fonds souverains revendiquent tous un caractère d’intérêt public et sont régis par la loi de leur État. À ce titre, ils s’imposent souvent des contraintes ou des interdictions d’ordre politique, éthique ou religieux, telles que celles liées à l’interdiction du prêt à intérêt par la charia, dans les pays islamiques. Mais, pragmatiques, ils se conforment – nécessairement – aux lois des États dans lesquels sont réalisés les investissements.

aux contours peu transparents

Le montant global des actifs gérés par les fonds souverains est estimé en général à environ 3 600 milliards de dollars ; le Sovereign Wealth Fund Institute annonce un montant de 7 400 milliards. Les encours sont en effet difficiles à évaluer avec précision pour plusieurs raisons. Tout d’abord, malgré des progrès notables dans la diffusion de leurs informations, un certain nombre de fonds souverains restent encore relativement secrets. De plus, les actifs comptabilisés sous gestion de fonds souverains varient de façon importante selon les sources : le fonds stratégique d’investissement français est ainsi comptabilisé comme un fonds souverain par le SWF Institute, alors qu’il n’entre pas dans la définition des fonds souverains retenue par le FMI, puisqu’il n’investit actuellement que dans des entreprises françaises. Cette incertitude autour de la taille globale des fonds souverains est révélatrice du flou concernant leur périmètre, malgré les efforts de clarification du FMI.

Diversification et sécurité

Les fonds souverains poursuivent un objectif de diversification de leurs investissements, raison même de leur création. Depuis longtemps, les ressources pétrolières ont été perçues comme non pérennes par les pays producteurs eux-mêmes. Au moment du choc pétrolier de 1973, les estimations des géologues et des économistes attribuaient à ces pays des réserves de trente à cinquante ans. Et, même si ces chiffres ont été revus à la hausse en raison de la découverte de nouveaux gisements ou de technologies qui ont rendu accessibles des ressources connues mais précédemment inexploitées, la transition énergétique reste, aujourd’hui, un enjeu bien plus prégnant pour les pays producteurs que pour les pays consommateurs.

Les fonds souverains recherchent une grande sécurité, face aux cycles économiques et aux événements régionaux : s’inscrivant dans le très long terme, ils privilégient le couple rendement-sécurité par rapport aux investissements à risque, qu’ils ne maîtrisent pas forcément. Ils se positionnent sur des produits financiers qu’ils espèrent insensibles aux cycles économiques et boursiers. D’où un réel engouement au cours des années 200 pour les fonds de hedge funds multistratégies.

Les fonds souverains favorisent également la diversification géographique. Compte tenu des encours gérés, ils se limitent néanmoins aux marchés qui offrent une bonne profondeur et de la liquidité. Le cours international du pétrole est fondé sur le dollar. Or, ces dernières années, les fonds souverains du Moyen-Orient ont largement privilégié l’Europe au détriment de la zone dollar.

La position des fonds souverains en tant qu’investisseurs semble parfois ambiguë : lorsqu’ils entrent au capital de sociétés commerciales, ils refusent souvent de participer activement à la gestion des entreprises et préfèrent s’associer avec des partenaires compétents. Ainsi, en matière immobilière, ils sont acheteurs structurels, plus facilement gestionnaires que développeurs. Ils nouent des partenariats ou joint-ventures avec des acteurs locaux, dans le cas de projets de développement ambitieux ou complexes.

De nombreuses craintes ont été exprimées, notamment autour de l’idée que les prises de participation des fonds souverains pourraient favoriser des transferts de technologie ou la constitution de monopoles et, à terme, alimenter les excédents commerciaux de leurs pays d’origine. Ces prises de participation ont surtout illustré de façon frappante le passage d’un monde économique dominé depuis des décennies par les États-Unis et les pays de l’OCDE, à un monde multipolaire, où des pays émergents accèdent au rang de puissances économiques de premier plan.

Des fonds souverains qui deviennent également émetteurs

Signe des temps, les fonds souverains, investisseurs structurels de long terme, émettent aussi de la dette. Une dizaine de fonds souverains ont émis de la dette pour un montant de 180 milliards de dollars. Le Hong Kong Exchange Fund en a émis 97 milliards à lui seul, soit plus de 50 % du total des émissions. Cette dette représente une part infime des capitaux gérés, seulement 2,4 % des fonds souverains, sur la base des 7 400 milliards du Sovereign Wealth Fund Institute. Le poids de la dette rapporté aux actifs est très variable : de 1,5 %, pour ICD à Dubaï ; 5 % à 6 % pour Temasek, à Singapour, et Mubadala, à Abu Dhabi ; jusqu'à 25 % à 30 % pour Ipic, le fonds des Émirats Arabes Unis, le Hong Kong Exchange Fund ou Khazanah, en Malaisie.

Le second fonds souverain malaisien, 1MDB, est quant à lui endetté à hauteur de 81,7 %, avec une dette de 11,7 milliards de dollars. Néanmoins, depuis l’été 2016, 1MDB – pour 1 Malaysia Development Berhad – fait l’objet d’une enquête du FBI sur des soupçons de blanchiment et de corruption, portant sur 12 détournements de fonds de près de 4 milliards de dollars US.

Sur les 23 fonds souverains, douze ont une réglementation qui les autorise à s'endetter. Ce phénomène est récent. Seuls 4 d'entre eux avaient émis de la dette avant 2005, en particulier le Hong Kong Exchange Fund et Khazanah. La crise de 2008 a changé la donne. Un tiers des fonds emprunteurs sont des fonds pétroliers, tel le Petroleum Fund du Timor oriental. Les fonds pétroliers ‒ Koweït, Norvège, Qatar… ‒ sont autorisés à émettre de la dette, sous des conditions très strictes, uniquement pour le financement d’actifs immobiliers ou de projets d’infrastructures.

Contribuer à l’émergence de marchés obligataires locaux

Le recours à la dette permet aux fonds souverains de diversifier leurs sources de financement, quand les dotations de l’État actionnaire ne sont pas stables dans le temps. En outre, les fonds souverains contribuent ainsi au développement de leur marché obligataire local. Le fonds malaisien Khazanah et le Hong Kong Exchange Fund sont très actifs sur ce plan, considérant qu’il s’agit pour eux d’une mission d’intérêt général à l’égard de leur pays. Ainsi, les fonds souverains de pays dont le marché de la dette est peu développé sont plus nombreux que les autres à s'endetter par émission d’emprunts obligataires. En règle générale, un fonds souverain utilisera d'autant moins l'endettement qu'il gère un portefeuille d'actifs diversifié et liquide. En revanche, s'il est investi sur des actifs peu liquides, comme l’immobilier ou des participations dans des entreprises non cotées, il doit assurer une diversification de ses sources de financement pour soutenir les sociétés dont il est actionnaire, quand la conjoncture se détériore.

Central Huijin, la filiale de CIC, fonds souverain chinois, chargée d'investir en Chine, s'est retrouvée en manque de capitaux en 2010 : elle a émis des obligations pour renflouer certains groupes chinois et leur permettre de poursuivre leur développement. Le rendement de l’émission était comparable à celui de la Chine. Le fonds souverain devient alors en quelque sorte prêteur en dernier ressort vis-à-vis des sociétés dans lesquelles il a une participation significative. Finalement, l’émission obligataire vient sécuriser la pérennité des investissements en actions sous-jacents.

Quatre fonds – CIC en Chine, Hong Kong Exchange Fund et les deux fonds malaisiens Khazanah et 1MDB – bénéficient de la garantie explicite de leur État. Dans la pratique, les agences de notation considèrent que celle-ci est implicite dans tous les cas, et ne croient pas qu’un pays puisse laisser son fonds souverain faire défaut. C'est donc le rating du pays qui influence la notation de ses fonds souverains, plutôt que l'inverse. Indépendamment de l’État hôte, la dépréciation du portefeuille d’actifs gérés peut conduire à une dégradation de la note du fonds souverain. Fin 2009, les difficultés de Dubaï World – groupe immobilier surendetté – avaient entraîné, par contagion, la dégradation des notes des fonds souverains d'Abu Dhabi.

Sécuriser et fluidifier les politiques de développement

En conclusion, les fonds souverains poursuivent un objectif de développement : ils cherchent à diriger l’épargne nationale vers des projets de long terme, à l’étranger par souci de diversification, mais aussi d’importance stratégique pour l’économie locale. Dans un cadre où les marchés financiers locaux sont peu développés et l’épargne nationale privée tend à fuir à l’étranger, l’instauration de fonds publics de développement chargés de gérer une partie de la richesse nationale permet de pallier les défaillances du marché et de financer l’investissement local. En ce sens, les fonds souverains sont des leviers pour les États pour participer au développement de l’économie, faciliter le déploiement d’infrastructures, aider les entreprises locales de technologie ou à valeur ajoutée, pour contribuer à la création de richesses du pays.

De fait, les fonds souverains constituent un double levier pour les États qu’ils représentent. D’une part, en investissant hors de leurs frontières, ils diversifient les sources de revenus des pays qu’ils représentent, et les rendent moins dépendants à une ressource unique (souvent hydrocarbures ou matières premières). En se positionnant principalement aux États-Unis et Europe, les fonds souverains privilégient les secteurs qui pourront contribuer au déploiement de leur économie nationale. On pense aux secteurs technologiques, mais c’est vrai également dans la santé, l’agroalimentaire ou les infrastructures. Les investissements du fonds souverains chinois dans les ports du Pirée ou de Djibouti, dans l’aéroport de Toulouse ou dans les plates-formes de transformation de Rungis relèvent de cette logique. Car le second levier des fonds souverains est de favoriser le développement de leur économie nationale, en soutenant leurs entreprises en situation de crise, mais surtout en facilitant des partenariats internationaux qui contribueront à la diversification des secteurs économiques de leur pays et à la modernisation des structures existantes.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº809bis
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