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Placement privé

« Les EuroPP sont de puissants outils de développement »

Créé le

03.11.2015

-

Mis à jour le

01.12.2015

Société industrielle non cotée, tête du Groupe Lebronze-alloys, Le Bronze Industriel a lancé en juin 2015 un EuroPP de 20 millions d’euros à 6 ans sous un format obligataire non listé. Michel Dumont, son président, explique ce choix de financement, les avantages importants qu’il en retire, mais aussi les contraintes rencontrées.

Pouvez-vous resituer l’activité de votre groupe ?

Nous sommes des fondeurs, des transformateurs de métaux et des composantiers, essentiellement dans le monde des alliages cuivreux, mais également dans l’aluminium, l’acier et des métaux spéciaux (titane, super alliages). Le groupe compte onze sites industriels de 10 000 à 70 000 mètres carrés, dont sept en France, deux en Allemagne, un en Chine et un en Pologne. Nous sommes donc essentiellement concentrés en Europe, car c’est une industrie ancienne : la plus « jeune » de nos usines a 40 ans et la plus « vieille » 125. Le groupe emploie 1 200 collaborateurs et réalise 220 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Nous avons 700 à 800 clients clés, qui se situent dans des secteurs très divers ; nous fournissons en effet des pièces stratégiques, petites ou grosses, pour l’équipement des avions, l’industrie nucléaire, navale ou automobile, le secteur de la défense, mais aussi les fabricants de sacs à main, de stylos à bille ou de bijouterie fantaisie. Nous avons, dans nos différents métiers, entre 10 et 30 % de part de marché mondiale. L'avantage d'avoir des clients aussi divers est que nous ne dépendons d'aucun d’entre eux en particulier ; l'inconvénient est d'être un peu moins profitable que si nous pouvions nous concentrer sur quelques centaines de références. Mais nous sommes très risk-adverse, très prudents, car nous savons que nos métiers ne sont pas faciles ; nous voyons bien les difficultés auxquelles sont confrontés certains de nos confrères et surtout nous sommes des « enfants de 2009 » : cette année-là, notre chiffre d’affaires a accusé une baisse de plus de 30 %. Enfin, nous investissons de 15 à 20 millions d’euros par an, dont la moitié pour des équipements nouveaux, l’autre partie portant sur le maintien de nos équipements, sur des investissements immatériels ou encore la R&D.

Comment s’est constitué votre groupe ?

J’ai racheté la première société, Le Bronze Industriel, en 2006 ; depuis, nous n’avons racheté que des entreprises en difficulté, au rythme d'une à deux par an, que nous avons redressées. La dernière opération en date a été réalisée cet été et nous sommes régulièrement sollicités. Notre métier, comme de nombreux métiers industriels en Europe, nécessite beaucoup de capitaux souvent difficiles à trouver et la rentabilité n’est pas toujours facile à atteindre.

Comment redresser ces sociétés industrielles qui vont mal ?

Pour y parvenir, nous essayons de retrouver la vraie valeur que les clients sont prêts à payer pour les produits fournis et faisons jouer les synergies : ainsi chaque usine travaille avec les autres au sein du groupe, ce qui lui assure d'emblée 15 à 20 % de ses débouchés de production. Notre groupe est très intégré. Le Bronze Industriel, société faîtière, est propriétaire à 100 %, directement ou indirectement, de toutes les sociétés reprises. Ainsi les structures du groupe qui se portent bien aident les plus fragiles, en leur donnant un souffle financier qui permettra de disposer des délais nécessaires, en général un ou deux ans, pour les remettre sur les rails. Les financiers qui se sont intéressés à notre dossier ont su intégrer notre capacité à nous prémunir de la cyclicité par l’effet groupe et l’effet diversification des métiers.

À quelles formes de financement avez-vous recours ?

En matière de financement, comme la plupart des sociétés industrielles, nous avons besoin de fonctionner sur quatre roues : la première est celle du BFR, notamment le compte client : nous le couvrons avec des lignes de factoring et de lignes de crédit au sein d'un pool monté à l'occasion de l'opération obligataire d’EuroPP ; la deuxième est celle des Capex bancaires [1] qui financent les équipements nouveaux ; enfin, nous avons des financements qui ne sont pas autant « causés » que les deux premiers, par exemple pour couvrir le BFR, moins identifiable que les comptes clients, mais aussi la maintenance des équipements existants, les frais de mise en fonction des nouvelles machines, la formation des salariés, la R&D. Pour cela il nous faut à la fois des fonds propres, mais aussi d'autres types de financement tels que les prêts participatifs de Bpifrance ou désormais, ceux offerts par le marché obligataire.

Pourquoi s’être lancé dans la formule EuroPP ?

Les EuroPP sont des financements dont le prix, sans être le meilleur du marché, reste raisonnable. Nous avons donc mis en place une ligne de 20 millions sous forme d’EuroPP et les banques ont consenti, en complément, des lignes pour 22 millions d'euros, dont 8 millions de lignes de crédit de fonctionnement et 14 millions de Capex.

Connaissiez-vous les EuroPP ?

Je les connaissais, en effet, car j'ai fait partie d'un groupe de travail sur le financement de l'industrie dans lequel est intervenu Thierry Giami [2] qui a, entre autres, monté le premier fonds d'EuroPP, Novo, qui a investi 10 millions dans notre groupe. Ce groupe de travail, mis en place il y a deux ans à la demande du ministre de l'Économie et piloté alors par la médiatrice nationale du crédit Jeanne-Marie Prost, a rédigé un rapport, qui indiquait déjà que l’introduction des EuroPP était une des dix mesures essentielles pour l'industrie et son financement.

En outre, la préfecture de région a organisé une communication auprès des chefs d'entreprise sur les fonds Novo lors de leur mise en place. Puis une de mes banques m'a proposé ce montage conjoint d'EuroPP et de mise en place d'un pool bancaire.

Comment se sont passées les négociations pour le montage de l’opération ?

Notre entreprise n'étant pas cotée, le processus était lourd car les investisseurs disposaient au départ de moins d'informations. Il a fallu remettre un business plan, respecter certaines conditions comme avoir une note Banque de France suffisamment bonne, un historique de résultats qui montre des progrès et des ratios de départ qui restent raisonnables : si la société affiche un ratio de dettes nettes sur fonds propres supérieur à 2, ou un ratio de dettes nettes sur EBITDA supérieur à 4, de nombreuses portes lui seront fermées.

Le business plan doit montrer que ces ratios vont s'améliorer car, telle que j'ai vécu cette expérience, la priorité des investisseurs est de vérifier que le groupe est à même, à échéance de l'EuroPP qui est une formule in fine, soit de rembourser sans problème, soit de repartir sur une nouvelle tranche de financement avec éventuellement d'autres partenaires financiers. Dès le départ l’hypothèse du renouvellement de l’opération a donc aussi été envisagée.

Une autre nouveauté pour nous a été d'apprendre à fonctionner par ratios : comme notre capital est détenu de manière directe ou indirecte par des personnes privées, nous étions plutôt habitués à raisonner en fonction d’un niveau d'EBITDA, qui doit être suffisamment positif pour pouvoir investir, sans avoir les yeux rivés sur notre montant de dettes nettes. Désormais, il faut apprendre à suivre ces dernières au moins tous les trimestres, à les analyser en détail au moins tous les semestres, et piloter l’EBITDA par anticipation. Il faut accepter de s’aligner sur la manière dont raisonnent les partenaires financiers. L’intérêt de ce type de financement est donc de bénéficier d’une large marge de manœuvre au niveau de la trésorerie, dans les choix d'investissement. Quand vous disposez d’une somme d'argent qui n'est pas liée de manière directe à une facture fournisseur, à une créance client ou à un Capex, cela vous donne la possibilité de réagir très vite. Par exemple, nous avons pu acquérir très rapidement cet été les actifs d’une entreprise en liquidation, dont l’activité avait été arrêtée début juin, et engager 45 personnes début septembre pour faire redémarrer l'usine, n’ayant pas eu à négocier de financement particulier, surtout en pleine période de vacances. Cette opération a pu se réaliser sans problème majeur. Les EuroPP sont donc des outils de développement puissants qui donnent une liberté d'action significative.

Avez-vous hésité avec d'autres possibilités de financement, par exemple aller sur les marchés publics ?

À ce stade de notre évolution, il serait compliqué d'aller sur les marchés publics. Même le financement sous forme d’EuroPP présente certaines difficultés : certes, la décision de base intervient rapidement, deux ou trois mois à partir du moment où le business plan est prêt. En revanche, le travail documentaire est extrêmement lourd et prend beaucoup de temps. Il faut avoir dans les équipes de collaborateurs capables de s’y consacrer quasiment à plein-temps pendant quelques mois, souvent des responsables clés comme le directeur financier ou le directeur du contrôle de gestion.

Cette lourdeur rend ces financements difficilement accessibles à des entreprises qui font moins de 100 millions de chiffre d'affaires et moins de 1 000 salariés ! Les opérations d'EuroPP réalisées depuis un ou deux ans, dans le monde des sociétés industrielles non cotées, se comptent ainsi plus par dizaines que par centaines. Une piste d’amélioration possible serait de trouver une manière d'alléger cette phase documentaire et de la standardiser, pour pouvoir aller vers des montants plus petits. En effet, les besoins d’une PME ou d’une petite ETI de 300 ou 400 personnes, ne dépassent souvent pas 5 millions.

La Commission européenne, notamment au travers de son projet d'UMC, veut favoriser le financement par le marché comme une autre source de financement possible notamment pour les entreprises de taille petite ou moyenne : cela vous paraît-il un bon objectif ?

À partir du moment où les institutions, pour les raisons historiques que tout le monde connaît, ont mis autant de contraintes sur les banques au travers de leurs ratios de fonds propres, il n'y a guère d'autre solution. Mais c’est la taille des entreprises qui fera la différence : pour des PME, devoir travailler à la fois avec des banques et des investisseurs reste compliqué. Fondamentalement, comme je l'évoquais précédemment, il va falloir que ces outils se simplifient. Un moyen terme reste à trouver, entre le prêt participatif de Bpifrance, pour lequel vous signez trois pages, et l'EuroPP, pour lequel, même compte tenu de la différence de montant, il faut littéralement fournir des kilos de documents.

 

1 Capital Expenditure : ligne de crédit sur laquelle une entreprise peut tirer pour réaliser des investissements.
2 Président de l’Observatoire du financement des PME et ETI par le marché et conseiller à la Direction générale de la Caisse des Dépôts.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº790bis
Notes :
1 Capital Expenditure : ligne de crédit sur laquelle une entreprise peut tirer pour réaliser des investissements.
2 Président de l’Observatoire du financement des PME et ETI par le marché et conseiller à la Direction générale de la Caisse des Dépôts.