Les tests « grandeur nature » constitués des crises financière de 2008 et des dettes souveraines de 2011 mettent en évidence la nécessité d’un partage des risques plus efficace pour permettre à la zone euro de faire face à d’éventuels chocs
Les propositions pour l’Europe du nouvel exécutif français font suite à plusieurs publications des institutions européennes en faveur d’un renforcement de l’intégration.
« Document de réflexion » de la Commission et « rapport des cinq présidents »
Le « document de réflexion sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire » a été publié le 31 mai 2017, date qui coïncidait avec la fin théorique de la première étape de l’objectif d’achèvement de l’UEM souligné dans le précédent « rapport des cinq présidents » (présidents de la Commission européenne, du Conseil, de l’Eurogroupe, de la BCE, du Parlement européen), publié en 2015 sous l’égide de la Commission. Ce dernier appelait à la mise en œuvre de quatre « unions » :
- une véritable Union économique impliquant une adaptation des caractéristiques structurelles (convergence des économies) de chaque pays, afin de lui permettre de « prospérer » dans l’UEM ;
- une Union financière : renforcer la stabilité financière par un partage transfrontalier des
risques avec le secteur privé afin de garantir l’intégrité de la monnaie ;[2] - une Union budgétaire (soutenabilité des finances publiques et stabilisation budgétaire) ;
- une Union politique, qui offrirait une légitimité démocratique aux trois unions précitées.
Les ambitions européennes contrariées du nouvel exécutif français
Le président de la République française a précisé ses ambitions européennes dans le cadre d’un discours donné à la Sorbonne le 26 septembre dernier. Outre plusieurs propositions relevant de champs aussi variés que ceux des idées, de la culture, ou la défense, d’autres intéressent les domaines économique et institutionnel. Ainsi, celle d’un « budget qui financera des investissements communs et assurera la stabilisation des économies face aux chocs économiques ». Surtout, une telle ambition concerne la seule zone euro et non l’ensemble de l’Union européenne. L’objectif de doter la zone euro des mécanismes d’ajustement qui lui font défaut est louable. En revanche, l’idée de renforcer l’intégration de la partie la plus intégrée de l’Union européenne (la zone euro et l’Union bancaire, laquelle se superpose peu ou prou à la première) et de ne pas réaliser d’avancée aussi significative dans les autres pays constitue un point de désaccord important avec le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Les positions semblent difficilement conciliables à court terme mais elles se rejoignent dans l’esprit de certains tenants d’une Union resserrée, qui estiment que cette dernière exercerait une force centripète sur les autres pays membres de l’Union élargie.
Pour autant, l’approfondissement de la zone euro pourrait être contrarié par l’avènement d’une nouvelle donne politique en Allemagne, depuis les élections du 24 septembre 2017. La chancelière devra élargir sa quatrième coalition, en phase de constitution, aux libéraux du FPD revenus dans l’hémicycle et toujours farouchement opposés à l’idée d’un budget de la zone euro, de peur de voir les transferts budgétaires de l’Allemagne vers les pays impécunieux devenir permanents.
Toutefois, il n’est pas à exclure que la dynamique qu’Emmanuel Macron cherche à insuffler en faveur d’un budget européen conduise indirectement les pays rétifs à cette idée à concéder certaines avancées dans d’autres chantiers européens en cours (Garantie paneuropéenne des dépôts, Union des marchés de capitaux…) qui, à terme, réduiraient l’effort à accomplir en matière d’intégration budgétaire.
Les pistes d’intégration et le système bancaire
Le chemin parcouru par la zone euro en matière d’intégration doit être d’autant moins mésestimé que les différents instruments de réduction et de partage des risques présentent un certain degré de substituabilité. Ainsi, à l’instar des outils existants, ceux inscrits à l’agenda de la Commission (garantie des dépôts, Union des marchés de capitaux) pourraient encore contribuer à réduire le degré d’intégration budgétaire nécessaire et, ce faisant, accroître l’acceptabilité politique de cette dernière.
De la substituabilité des instruments de partage des risques dans la zone euro
La littérature économique souligne la substituabilité des instruments de partage des risques au sein d’une zone monétaire. Selon de récents calculs de la
La garantie paneuropéenne des dépôts
Le système européen de garantie des dépôts (SEGD) demeure le pilier inachevé de l’Union bancaire. Les dépôts bancaires font déjà l’objet d’une garantie harmonisée à 100 000 euros par déposant depuis le 1er décembre 2010 dans l’Union européenne. Les fonds de garantie nationaux bénéficient, a minima, d’une garantie implicite de l’État. Or, en cas de crise sévère, les marges de manœuvre budgétaires peuvent être jugées trop étroites pour constituer une garantie crédible vis-à-vis des déposants, ce qui peut entraîner des ruées vers les dépôts (bank runs), contribuant à fragiliser le système bancaire et les États. Dès lors, le maintien des fonds et des garanties publiques dans un périmètre strictement national est d’autant moins souhaitable que la mise en œuvre du mécanisme de surveillance unique des banques rend désormais plus légitime la mise en place d’un fonds européen de garantie. Dans un discours devant le Parlement, le 13 septembre dernier, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a réitéré la nécessité d’avancer sur la proposition législative présentée par la Commission en novembre 2015. Elle prévoit notamment la création d’un fonds européen de garantie des dépôts distinct du fonds de résolution qui interviendrait d’abord en dernier ressort (« réassurance »), puis en complément des fonds nationaux (« coassurance ») à partir de 2020, avant de s’y substituer totalement en 2024 (« assurance complète »). Le SEGD serait abondé par les contributions des banques commerciales mais, en vertu du principe défendu par la Commission, le coût supporté par ces dernières ne devrait pas augmenter au regard des obligations découlant de la directive de 2014 qui rend obligatoires les fonds nationaux de garantie. Les premières négociations s’étaient, dès 2015, heurtées aux réticences de l’Allemagne qui en
L’Union des marchés de capitaux
La thèse est parfois avancée, selon laquelle des marchés financiers suffisamment intégrés constitueraient un mécanisme d’absorption des chocs asymétriques potentiellement plus efficace qu’un budget
Vers une consolidation endogène du système bancaire
Certains systèmes bancaires présentent encore d’importantes surcapacités (l’Italie par exemple) et pâtissent d’une rentabilité insuffisante, de nature à accroître la procyclicité du crédit bancaire (i. e. sa propension à amplifier le cycle économique). Leur salut passe le plus souvent par des opérations de rapprochement nationales qui permettent d’adapter la base de coûts et de restaurer les marges. Le processus gagne toutefois à ne pas se cantonner aux frontières nationales, alors que la meilleure solidité des banques diversifiées à l’échelle de l’Union européenne au regard des banques exclusivement domestiques est
Et si la zone euro pouvait se dispenser d’un budget commun ?
Citons en conclusion Jean Monnet, père fondateur de la construction européenne, qui observait dans ses mémoires : « Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Hormis une telle éventualité, qui n’est évidemment pas à souhaiter et dont on peut même se réjouir qu’elle devienne moins probable et moins coûteuse à la faveur des dispositifs préventifs et curatifs mis en place depuis 2009, un nouveau pas politique aussi important que celui qui a autorisé la mise en place de l’Union bancaire, et qui aboutirait à l’émergence d’un véritable fédéralisme budgétaire dans la zone euro, apparaît assez peu vraisemblable à moyen terme. La stratégie fondée sur une succession d’initiatives moins ambitieuses lorsqu’elles sont considérées isolément mais qui, mises bout à bout, sont susceptibles d’offrir un résultat économique équivalent (du fait de la substituabilité des mécanismes d’ajustement), apparaissant plus à même de surmonter les réticences politiques de certains États membres, pourrait, dès lors, se révéler plus pertinente.