Le crowdfunding – littéralement le « financement par la foule », mais plus communément appelé financement participatif – a été l’une des innovations technologiques et financières majeures de ces dernières années à destination des particuliers et des TPE-PME. Il a émergé dans le sillage du déploiement du Web 2.0 et des interactions croissantes entre internautes via les réseaux sociaux et autres plates-formes collaboratives. Nous nous efforçons, dans cet article, de dresser un bref point d’étape sur son développement, de récapituler son importance pour le financement de l’économie et ses tendances du moment, et de partager notre vision prospective.
Une croissance exponentielle
Principalement apparu dans sa forme moderne au lendemain de la crise économique de 2008 (Kickstarter est fondé en 2009 aux Etats-Unis, KissKissBankBank est lancé en France en 2010), le crowdfunding rassemble des centaines – voire des milliers – d’internautes pour soutenir un projet de nature entrepreneuriale, artistique, culturelle, personnelle, humanitaire, militante ou autre. Les plates-formes sur lesquelles les porteurs de projet tentent de séduire la foule sont majoritairement composées de trois formes distinctes d’intervention (voir Graphique) :
- le don (avec récompense – le backer recevant une rétribution qui varie en fonction du montant qu’il donne à la société ou à la personne – ou sans – la donation a en général une vocation principalement sociale ou humanitaire) ;
- le prêt (rémunéré ou non) ou crowdlending ;
- l’investissement (l’internaute devient actionnaire de la société ou reçoit des royalties).
Même si ces chiffres de croissance sont très encourageants et peuvent paraître impressionnants, le crowdfunding reste néanmoins à ce jour un mode de financement très minoritaire. Ainsi, en France, les prêts en crowdfunding (i. e. le crowdlending) à destination des entreprises ne représentent que
Concernant le marché de l’investissement en capital, le crowdfunding, avec ses 50,1 M€, représente l’équivalent d’environ 6,6 % du capital-risque français qui aura investi 758 M€ en
Des vents contraires outre-Atlantique
À l’instar des autres produits financiers, le financement participatif ne passe pas à côté d’aspects réglementaires particulièrement structurants pour son développement. Aux États-Unis, le Jumpstart Our Business Startups (JOBS) Act, voté en avril 2012, vise à encadrer largement le crowdfunding. Cela n’a pas empêché les démêlées récentes du secteur du crowdlending, notamment avec une enquête en cours sur Lending Club, un leader du secteur, et le départ de son CEO considéré comme emblématique
Que l’industrie du crowdlending ait à faire face à ses premiers défis importants aux Etats-Unis après une croissance très rapide durant les deux dernières années n’est pas si étonnant. Les raisons de ces secousses sont somme toute assez classiques : une pression à la croissance (en particulier dans le cas d’entreprises cotées) qui amène ces plates-formes à favoriser une politique de crédit plus offensive ; peu – ou pas – de filtres de sélection des dossiers en amont avec des plates-formes agissant comme de simples intermédiaires de mise en relation, de facto déresponsabilisés ; des intérêts économiques peu alignés entre prêteurs et plates-formes, ces dernières ayant en général un business model de commissions pouvant parfois les amener à « faire un peu plus de volume » au détriment de leur réputation (cette dernière restant pour tout utilisateur de site de crowdfunding un premier moyen de contrôler la qualité des projets qu’on y trouve).
Un marché français plus sage
Mais la France ne semble pas autant menacée. Si ,comme aux États-Unis, la réglementation et sa mise en application restent attentives à la protection des particuliers-investisseurs, les plates-formes paraissent agir dans leur ensemble de manière beaucoup plus responsable en étant bien plus actives dans la sélection en amont des
De surcroît, à l’inverse du phénomène observé depuis deux ans aux Etats-Unis, les plates-formes de crowdfunding françaises n’ont pas encore attiré en masse des prêteurs institutionnels (comme les banques) ou des tiers institutionnels qui risqueraient tout simplement de dénaturer la nature du prêt de pair à pair. En effet, bien qu’un précédent article de la Revue Banque démontre que la France se caractérise par une pléthore de rapprochements et partenariats entre les acteurs traditionnels de la finance et les
Des lignes de force pour le long terme
La croissance du crowdfunding reste portée par des tendances fortes. La première est celle du désir des particuliers de reprendre en main l’allocation de leur épargne. La défiance envers le système financier traditionnel et la désintermédiation permise par le web alimentent cette dynamique. Ensuite, la diversité des projets constitue une de ses grandes forces. En effet, de l’artisan désireux d’acheter un nouvel établi au scientifique expert désireux de lancer un nouveau projet, les besoins sont multiples. Chaque projet procède souvent d’une histoire individuelle et peut trouver un financement qui resterait parfois défaillant dans d’autres circuits de financement, notamment bancaires. Le crowdfunding étend le champ des possibles, tant du côté des emprunteurs que des
Par-delà leur fonction financière, les plates-formes peuvent de plus se révéler très utiles aux porteurs de projets et aux financeurs, en offrant aux premiers notoriété et moyens de marketing (par exemple en facilitant des préventes), et en permettant aux seconds de partager leurs analyses et d’actionner le levier de l’intelligence collective. Il est de plus intéressant de remarquer une convergence grandissante des modes de financement entre investisseurs professionnels et business angels expérimentés d’un côté, et particuliers de l’autre.
Avec une valeur ajoutée aujourd’hui reconnue, le secteur du crowdfunding devrait connaître une vague de consolidation, par le biais de fusions-acquisitions, et de faillites, des acteurs les moins compétitifs. Et ce d’autant plus que si des dizaines de plates-formes existent déjà en
Le crowdfunding uberisé par la Blockchain
Enfin il sera très intéressant de voir comment le crowdfunding s’intègre au développement des blockchains. Et il faut constater que certains grands acteurs français tels que BNP Paribas ont déjà annoncé qu’ils comptaient utiliser une blockchain afin d'enregistrer automatiquement des transactions de financement participatif (il s’agirait ici d’inscrire sur une blockchain via des « e-certificats » les titres de capital émis par
En conclusion, malgré une actualité un peu chahutée – pour le crowdlending en particulier – outre-Atlantique, nous pensons que la finance participative dispose encore d’un potentiel considérable. L’enjeu réglementaire reste encore et toujours central. En France, les pouvoirs publics ont conscience de cela, et en assouplissant la réglementation, notamment certaines limites fixées par les premiers textes sur le financement participatif (par exemple les limitations d’investissement par individu, ou le montant maximal d’une collecte), le législateur semble engagé dans la recherche d’un point d’équilibre entre protection des épargnants-investisseurs et accompagnement du secteur. Toutefois, l’enjeu normatif ne se situe déjà plus complètement dans l’hexagone, mais à l’échelon européen : les plates-formes françaises ne pourront véritablement s’internationaliser et atteindre une taille critique qu’à partir du moment où elles bénéficieront d’un cadre réglementaire unifié au sein de l’ensemble des pays de l’UE ou de la zone euro.