Une banque n’est incitée à vendre une créance que lorsque le prix de cession est proche de la valeur nette
Distorsion inédite
Les initiatives relatives au provisionnement prudentiel impliquent une distorsion inédite entre les valeurs nettes comptable et prudentielle des créances douteuses (montant comptable des créances douteuses diminué, respectivement, des provisions comptables ou prudentielles). Si le provisionnement comptable est inférieur aux attentes de la BCE ou aux futures exigences de la CRR, la banque devra le compléter par un surcroît de provisionnement prudentiel qu’elle déduira de ses fonds propres réglementaires. Les deux types de provisions exerceront un effet cumulatif négatif sur le ratio de solvabilité mais seules les provisions comptables continueront d’affecter le coût du risque et le résultat. La valeur nette comptable reflète la véritable valeur économique que la banque attribue à sa créance (les flux de revenus futurs actualisés). La valeur nette prudentielle correspond, quant à elle, à la valeur économique de la créance (la valeur nette comptable) diminuée d’une sorte de coût de portage réglementaire (la perte de capital réglementaire). Pour limiter ce dernier, les banques seront incitées à céder leurs créances douteuses à un prix inférieur à leur valeur nette comptable (ou valeur économique) mais égal ou supérieur à leur valeur nette prudentielle, ce qui entraînera un transfert de richesse au profit d’entités non bancaires sur le marché secondaire.
Considérons une banque qui provisionne comptablement ses créances douteuses à 50 %, conformément à son taux de perte anticipé. Si les « attentes » du superviseur et/ou les exigences du régulateur sont supérieures, la banque aura deux options : soit subir la baisse de son ratio de solvabilité, soit limiter cette dernière en cédant sa créance préventivement à un prix inférieur à sa valeur nette comptable mais supérieur à sa valeur nette prudentielle future.
Frein à l'octroi de crédits
Deux critères détermineront la stratégie à adopter. Les banques qui présentent une marge de sécurité confortable en matière de solvabilité et/ou une proportion contenue de créances douteuses (i. e. pour lesquelles l’impact du provisionnement prudentiel sur le ratio de solvabilité sera modéré) conserveront vraisemblablement leurs créances douteuses. Elles se résoudront à subir une baisse de leur ratio de solvabilité qui ne sera que temporaire puisque, à l’échéance, les flux cumulés actualisés associés aux créances douteuses seront supérieurs à la valeur nette prudentielle. À l’inverse, les banques qui présentent un ratio de solvabilité proche des exigences minimales (ou de leur niveau cible) et/ou une proportion de créances douteuses élevée (impact important du provisionnement prudentiel sur le ratio de solvabilité) seront encouragées à céder massivement leurs créances douteuses afin de limiter la baisse de leur ratio de solvabilité qui découlerait du provisionnement prudentiel. Dans les deux cas, la baisse des ratios de solvabilité, supérieure à celle qui aurait prévalu en l’absence de provisionnement prudentiel, sera de nature à freiner la croissance des actifs pondérés et donc l’octroi de crédits nouveaux. Une conséquence pour le moins paradoxale alors que l’objectif est précisément de désengorger le canal du crédit.