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Chronique : Garanties

Aval d’un effet de commerce irrégulier – Nullité de l’effet de commerce – Nullité de l’aval – Absence de requalification en promesse de porte-fort

Créé le

13.07.2016

Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14208, P+B+I.

 

L’aval d’un effet de commerce irrégulier en raison d’un vice de forme est lui-même nul et ne vaut pas promesse de porte-fort.

Après des années d’une relative hostilité au portefort d’exécution, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé, en 2013, de lui réserver une place au sein du droit français des sûretés personnelles 1. Le message a été reçu par les praticiens et les juridictions du fond, qui vont tenter régulièrement d’y recourir en lieu et place d’un cautionnement devenu bien trop fragile. Comment articuler ces deux garanties, et réguler la vive concurrence qui ne manquera pas de s’instaurer entre elles ? La question risque bien de devenir récurrente 2. Elle fut en tout cas posée à la Haute juridiction le 8 septembre 2015 3.

Une société bénéficiait, auprès d’une banque, d’une facilité de caisse par découvert en compte courant et d’une ligne de trésorerie permanente, qualifiée de crédit de campagne. Ce crédit prenait la forme d’un effet de commerce à échéance à un mois, à chaque fois renouvelé. Ces effets de commerce étaient systématiquement avalisés par Mme X., dirigeante de la société. La situation de sa débitrice s’étant dégradée, la banque clôtura le compte de la société, et assigna la dirigeante-avaliste pour obtenir paiement du dernier effet émis par la société.

Malheureusement pour l’établissement de crédit, cet effet était atteint d’un vice considérable. Alors que la plupart des 47 titres cambiaires précédents avaient été signés en bonne et due forme, le dernier en date était seulement revêtu du cachet de la société. Il résulte des articles L. 512-1 et L. 512-2 du Code de commerce qu’un titre dépourvu de signature « ne vaut pas comme billet à ordre ». Il arrive qu’un effet de commerce irrégulier échappe à la nullité, mais dégénère en un simple acte juridique de droit civil. Ainsi un billet à ordre ne contenant pas le nom du bénéficiaire peut-il être disqualifié en une reconnaissance de dette. Dès lors, si le billet avait été avalisé, l’aval perd lui aussi sa nature cambiaire par contrecoup : une jurisprudence classique décide qu’il devient un cautionnement 4. Mais cette mutation ne va pas sans susciter divers inconvénients.

Un premier obstacle à cette requalification de la sûreté est constitué par les règles de forme qui gouvernent le cautionnement. L’aval est généralement donné par la simple apposition, sur l’effet qu’on souhaite garantir, de la formule « bon pour aval » 5. Or, avant la loi Dutreil, les cautionnements étaient soumis aux exigences de l’article 1326 du Code civil, qu’une telle formule ne satisfait pas 6. Cette difficulté pouvait toutefois être surmontée : l’article 1326 n’ayant qu’une valeur probatoire, l’acte valait alors commencement de preuve par écrit, susceptible d’être complété par des éléments extrinsèques. Il a déjà été jugé que la qualité de dirigeant social de la caution pouvait constituer, à elle seule, un tel élément extrinsèque 7. La sûreté pouvait ainsi être facilement sauvée. Depuis la loi Dutreil, en revanche, on sait que les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation exigent, à peine de nullité, que soient recopiées des mentions manuscrites très précises. Puisque ces mentions visent à décrire le fonctionnement du cautionnement, il est par hypothèse impossible qu’une personne croyant souscrire un aval les aient fait figurer sur l’acte. Aujourd’hui, par conséquent, lorsque l’effet de commerce dégénère en acte civil, la requalification de l’aval en cautionnement a toujours lieu… mais ce cautionnement est systématiquement nul 8.

À ce premier obstacle lié à la forme, dont on a vu qu’il était à lui seul insurmontable, s’ajoutait en l’espèce un second obstacle, tenant au fond. L’effet de commerce auquel manque une mention d’une importance secondaire peut certes se muer en une reconnaissance de dette. Mais lorsqu’il manque comme ici rien de moins que la signature, la métamorphose n’est pas possible. L’effet reste infecté. On ne peut se contenter de lui reconnaître une moindre puissance. Sa valeur est nulle. À supposer, dès lors, qu’on envisage la requalification de l’aval qui l’accompagne en un cautionnement, ce cautionnement ne peut exister, faute d’un contrat principal valable, apte à lui servir de support.

Règles de fond et de forme convergeaient donc, en l’espèce, pour anéantir la sûreté. Voici comment l’on pouvait résumer la situation catastrophique de la banque, privée tout à la fois de son action contre la société et contre sa dirigeante. Il est vrai que le droit cambiaire ne prête son puissant concours qu’à qui est prêt à réaliser un examen minimal : celui de la validité formelle de l’acte qui lui est présenté. L’établissement de crédit avait fait preuve, sur ce point, d’une véritable légèreté. Il reste que la punition s’annonçait rude.

Mais c’était sans compter sur l’agacement des juges du fond, face à une dirigeante sociale sur le point de se tirer d’affaire à trop bon compte. Les magistrats de la cour d’appel de Paris estimèrent que : « […] la mention manuscrite d’aval accompagnée de sa signature a été apposée par Madame X., qui est la gérante de la société Ital Fruit France, pour obtenir le renouvellement du crédit de campagne de 100 000 euros accordée (sic) à sa société par le Crédit du Nord, chaque mois depuis 46 mois […] ; qu’elle constitue un engagement personnel de sa part, par lequel elle promet au Crédit du Nord que la société, qu’elle dirige, payera sa dette à l’échéance convenue […] ; qu’elle s’est ainsi portée fort de l’engagement pris par la société Ital Fruit France et s’est engagée accessoirement à satisfaire l’engagement principal, si la société n’y satisfait pas conformément aux dispositions de l’article 1120 du Code civil ; que cet engagement pris par le dirigeant de l’entreprise, qui sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait, n’est soumis à aucun formalisme particulier […] » 9.

En décrivant un dirigeant social « qui sait ce qu’il fait et pourquoi il le fait », la cour d’appel de Paris met à distance la technique juridique, l’espace d’un instant, et revient à des considérations fondamentales : un dirigeant social, qui a l’expérience des affaires, qui donne un consentement éclairé, qui signe une promesse de payer si le débiteur principal ne le fait pas, devrait avoir l’obligation de tenir parole. Ce résultat très simple, le droit des sûretés personnelles, l’homme malade du droit privé, échoue souvent à le fournir. Mais la technique ne peut être tenue à distance bien longtemps, et il faut aux magistrats parisiens présenter les voies par lesquelles ils entendent sauver cet aval qu’on croyait condamné. Qu’à cela ne tienne : ils acceptent l’argumentation développée par les conseils de la banque, et le qualifient de porte-fort d’exécution.

L’article 1120 du Code civil est connu depuis longtemps de la pratique, notamment notariale. Il permet à une personne de passer un contrat au nom d’autrui sans en avoir le pouvoir, mais en jurant que le pseudo-représenté viendra plus tard ratifier, consolider la convention conclue pour lui. On parle alors de porte-fort de ratification. Depuis son arrêt précité de juin 2013, la Chambre commerciale de la Cour de cassation admet également un autre usage du porte-fort. Il s’agit ici de promettre qu’un contrat déjà formé par ailleurs sera parfaitement exécuté. En cas de défaillance du débiteur principal, le promettant n’est pas substitué à lui comme une caution : il engage sa responsabilité civile contractuelle, ce qui mobilise un régime juridique supposé très différent.

Que cette sûreté fonctionne différemment du cautionnement, on peut le concevoir. Mais faut-il qu’elle soit robuste pour qu’en l’espèce, l’aval dégénère en un portefort efficace, là où un cautionnement s’effondrait sous l’assaut conjugué de règles de forme et de fond !

Envisageons d’abord les règles de forme applicables au porte-fort. Il est certain que les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation n’en font pas partie : leur champ d’application est expressément limité au cautionnement. L’un des très multiples reproches que l’on peut adresser à la loi Dutreil est d’avoir entièrement perdu de vue la possibilité de stipuler des sûretés personnelles alternatives. Peut-on valablement contourner cette législation d’ordre public ? La question avait animé la doctrine il y a quelques années à propos des garanties autonomes : la voici de retour. La réponse est malaisée. Le droit des entreprises en difficulté a intelligemment réagi, qui fait référence aux garants personnels de manière générale 10. Le droit civil et le droit de la consommation accusent un important retard en la matière. Admettons que le portefort d’exécution puisse échapper au droit consumériste des mentions manuscrites. Faut-il au moins qu’il se soumette à l’article 1326 du Code civil ? Non ! La Chambre commerciale a clairement jugé en 2013 : « Vu les articles 1120 et 1326 du Code civil ; Attendu qu’il résulte du premier de ces textes, que l’engagement de porte-fort constitue un engagement de faire, de sorte que le second ne lui est pas applicable […] » 11. Le portefort, nous dit-on, est tenu d’une obligation de faire. De faire quoi ? De rapporter, selon les cas, la ratification ou l’exécution qu’il a promise. Il doit faire en sorte qu’elle advienne. Puisqu’il ne s’engage pas à payer, il échappe à la formalité du « bon pour ». C’est ainsi que les juges du fond ont estimé que l’engagement du porte-fort d’exécution « n’est soumis à aucun formalisme particulier ». Mais c’est une chose de ne pas exiger l’utilisation de termes sacramentels – notamment l’utilisation des mots « se porter fort » – pour donner naissance à cette garantie. C’en est une autre de découvrir cette sûreté dans n’importe quelle formule – ici, « bon pour aval ». Le risque est de voir des porte-fort partout.

Envisageons ensuite les règles de fond applicables au porte-fort. Le contrat de base, ici l’effet de commerce, était nul. Le caractère accessoire du cautionnement l’empêche, en toute hypothèse, de survivre au contrat principal. Le porte-fort présenterait-il un degré d’indépendance supérieur ? Devrait-on y voir une manière de garantie autonome ? La réponse à cette dernière question est clairement négative. Une garantie autonome à première demande est une somme abstraitement fixée, qui doit être versée par le garant – qui est en pratique toujours une banque – sur un simple claquement de doigts du bénéficiaire. Le porte-fort d’exécution a pour effet d’indemniser le bénéficiaire en cas de défaillance du débiteur principal : pour cela, il faut qu’il puisse justifier d’un préjudice et le chiffrer. Le fonctionnement des deux sûretés diffère du tout au tout. S’agissant de la réaction de la garantie à la nullité du contrat de base, le raisonnement habituellement mené par les juristes français, s’agissant du porte-fort d’exécution est même le suivant. Le porte-fort promet qu’un certain contrat sera exécuté ; si ce contrat de base est nul, il disparaît rétroactivement ; l’obligation du porte-fort se retrouve privée d’objet ab initio ; elle est donc elle-même nulle. Le doyen Simler va jusqu’à demander : « Qui pourrait douter un seul instant que l’obligation du porte-fort survivrait à une extinction de la dette par prescription, compensation, confusion ou même par novation, toutes exceptions sans incidence sur une garantie autonome ? » 12. L’indépendance de cette sûreté, dans la conception française, est donc très limitée. En l’espèce, muer l’aval en porte-fort ne permettait donc pas de le sauver.

Si l’on résume ce qui précède, rien n’indiquait que les parties avaient entendu conclure un porte-fort, et il semble au contraire évident que cette qualification avait été mobilisée pour de purs motifs d’opportunité. On espérait sauver ainsi la garantie. Mais même si l’on accepte l’artifice de qualification, le régime juridique n’est pas celui qui était espéré. Il n’est donc pas surprenant que la Cour de cassation condamne l’ensemble de l’opération de sauvetage initiée par les magistrats parisiens, d’une sobre formule : « […] l’aval d’un effet de commerce irrégulier en raison d’un vice de forme est lui-même nul et ne vaut pas promesse de porte-fort […] ».

Incompatible avec la vision française du porte-fort, le raisonnement de la cour d’appel de Paris n’était pourtant pas absurde. Il correspond seulement à une conception suisse du mécanisme. Sous la plume d’un éminent auteur helvète, on lit ainsi : « […] le porte-fort est en principe indépendant de la prestation promise et ne suppose donc pas, notamment, un contrat valable entre le stipulant et le tiers. Il subsiste ainsi lorsque l’engagement du tiers est entaché de nullité pour vice de forme ou de la volonté, incapacité ou simulation » 13. Un réflexe paresseux, pour le juriste français, consisterait à hausser les sourcils et à imputer cette solution à des particularités du droit suisse des obligations ou du cautionnement, qui ne se retrouveraient pas dans notre pays. L’explication n’est pourtant pas là.

Dans une précédente chronique 14, nous avions présenté les théories d’un auteur non pas suisse mais français, Jean Boulanger, qui révèle admirablement la véritable nature du porte-fort. Dire que le porte-fort « promet » une ratification ou une exécution par une tierce personne est un abus de langage. Le tiers est autonome, et fait ce qu’il veut. De fait, le porte-fort peut essayer d’exercer une influence sur lui, mais s’il n’en a pas les moyens, s’il ne le veut pas, ou s’il échoue, cela ne change rien : seul compte le résultat, qui peut fort bien échapper totalement à sa volonté. Le porte-fort pourrait ne même pas connaître le débiteur principal, la validité de la sûreté ne serait en rien altérée. Dès lors, l’analyse la plus rigoureuse, relève Jean Boulanger, consiste à dire que le porte-fort assume un risque : le risque que l’opération ne se dénoue pas de la manière qui était espérée 15. La suite du raisonnement, pour être vertigineuse, n’en est pas moins limpide. Le porte-fort n’est qu’un cousin civiliste, et appliqué à une opération isolée, du contrat d’assurance. Je peux me porter fort que la maison de Paul ne brûlera pas : si elle brûle, dire que j’ai manqué à ma parole, violé ma promesse, est absurde. Dire que le risque s’est réalisé et que je dois exécuter une prestation est cohérent. Imaginons alors que je me porte fort que Pierre repeindra entièrement la façade de la maison de Paul. Quelles raisons ai-je de penser que cet événement va se produire ? Il n’est pas nécessaire de le dire. Peut-être sais-je que Pierre a l’intention de réaliser cette prestation de manière bénévole. Il est alors possible de garantir Paul contre un changement d’avis de son bienfaiteur. Peut-être sais-je qu’ils vont conclure un contrat d’entreprise. Si le contrat n’est pas conclu, le risque se réalise. S’il est conclu mais qu’il est nul, le risque se réalise. S’il est valable mais qu’il n’est pas exécuté, le risque se réalise. Dans tous ces cas, en effet, Pierre ne repeint pas la façade de Paul.

Dans la conception assurantielle du porte-fort, dit autrement, il est tout à fait envisageable de s’engager sans considération aucune pour la présence ou la validité d’obligations juridiques entre les parties. C’est sans doute ce que voulaient dire les magistrats parisiens : pour eux, la dirigeante sociale s’était engagée à un pur résultat. Mais qui peut le plus peut le moins : dans la conception suisse du porte-fort, il est loisible au promettant de réduire la voilure, et de couvrir uniquement le risque d’inexécution d’une obligation valable. On comprend alors pourquoi un auteur suisse écrivait, dès la fin du XIXe siècle : « Le cautionnement est une espèce de promesse de porte-fort, celle par laquelle une personne garantit l’exécution de l’obligation d’un tiers […] » 16. Parmi l’ensemble très vaste des risques susceptibles d’être couverts, il existe un sous-ensemble beaucoup plus étroit constitué par les risques de crédit. La figure générale – le porte-fort – entre alors directement en conflit avec la figure spéciale – le cautionnement. Ce conflit n’a pas été identifié en France, et encore moins résolu, car le législateur de 1804 ne connaissait que l’assurance maritime, absolument pas le concept général de couverture de risque, et encore moins son application au risque de crédit. Il ne pouvait donc s’inquiéter de rien, au moment où il mettait en place le cautionnement 17. On ne saurait résoudre la difficulté en cantonnant le porte-fort à la garantie des obligations de faire ou de ne pas faire, tandis que le cautionnement aurait le monopole des obligations en argent, ainsi qu’il est parfois suggéré 18. Rien n’interdit de se porter fort du paiement d’une somme d’argent, ni de cautionner une obligation de faire 19.

Pour se débarrasser d’un cautionnement qui n’en finit plus de décevoir, les magistrats parisiens ne seront pas les derniers à invoquer la puissance supposée du portefort. La doctrine, la Cour de cassation s’interrogent sur la manière d’organiser une coexistence pacifique entre les deux garanties, de donner à chacune son juste territoire. Cet objectif est un mirage. Cautionnement et portefort sont deux réponses techniques différentes à la même question, celle de la couverture du risque de crédit. Ce sont deux faces de la même pièce. La cohabitation n’a aucun sens. Éliminer une des figures au profit de l’autre ou bien les fusionner ; tout remettre à plat : c’est l’unique issue. À quand la réforme des sûretés personnelles ?

Après des années d’une relative hostilité au portefort d’exécution, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé, en 2013, de lui réserver une place au sein du droit français des sûretés personnelles[1] . Le message a été reçu par les praticiens et les juridictions du fond, qui vont tenter régulièrement d’y recourir en lieu et place d’un cautionnement devenu bien trop fragile. Comment articuler ces deux garanties, et réguler la vive concurrence qui ne ...

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº164