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Les robo-advisors ou l’automatisation du conseil financier

Vers un nouveau cadre juridique en France et en Europe ?

Créé le

04.04.2017

-

Mis à jour le

04.12.2017

La notion de conseil financier automatisé commence à faire l’objet d’un encadrement réglementaire ad hoc, tant par les autorités européennes de surveillance qu’au niveau national, par l’ACPR et l’AMF.

La digitalisation et l’automatisation croissante du conseil financier ont conduit les autorités de tutelle européennes et nationales à s’intéresser aux robo-advisors (ou « robots-conseillers »). Ces nouveaux modes de conseil permettent aux consommateurs d’utiliser directement des outils automatisés pour recevoir des conseils et des services via des applications digitales ou des sites Internet sans intervention humaine (ou avec une intervention très limitée).

Ce phénomène aurait un réel impact économique puisqu’il a été estimé que l’actif global sous gestion de services de conseils automatisés pourrait passer de 20 milliards de dollars à fin 2015 à plus 450 milliards de dollars en 2020 [1] .

Avec l’émergence récente d’offres entièrement digitales recourant à des outils automatisés (algorithmiques ou arbres de décision), nous dresserons un état des lieux européen et français de l’automatisation du conseil dans les secteurs assurantiels, bancaires et financiers.

L’automatisation du conseil au plan européen

Après une consultation de place fondée sur un document de discussion [2] et menée entre décembre 2015 et mars 2016, le Comité mixte des ESA [3] a rendu le 16 décembre 2016 son rapport définitif sur l’automatisation du conseil financier [4] (ci-après le « Rapport »). Celui-ci constate que la notion de conseil a bien été définie par différentes directives sectorielles [5] , en omettant néanmoins d’appréhender son automatisation dans certains cas. Il met néanmoins en évidence trois caractéristiques propres et spécifiques aux outils d’automatisation du conseil financier :

  • un outil automatisé directement utilisé par le consommateur sans intervention humaine (ou avec une intervention très limitée) ;
  • un algorithme ou un arbre de décision utilisant les informations fournies par le consommateur en vue de générer un conseil personnalisé ;
  • le conseil personnalisé ainsi généré est bel et bien un conseil financier (ou est perçu comme tel par le consommateur).
Le Rapport rappelle, en outre, qu’il existe aujourd’hui sur le marché deux principaux types de robo-advisors :

  • les outils « entièrement automatisés » recourant uniquement à des algorithmes ou des arbres de décision sans intervention humaine dans la fourniture de conseils, principalement utilisés dans le secteur financier ;
  • les outils « hybrides » alliant outils automatisés et intervention humaine dans la fourniture de conseils. L’intervention humaine peut intervenir au cours de leur utilisation, dans la délivrance du conseil ou encore durant son suivi. Ces outils « hybrides » sont majoritairement utilisés dans les secteurs assurantiels et bancaires.

Les avantages des robo-advisors

Les outils automatisés de conseil financier présentent des avantages aussi bien pour les consommateurs finaux que pour les institutions financières.

L’automatisation du conseil financier permet tout d’abord aux consommateurs de bénéficier d’une amélioration de la qualité du service fourni. Les algorithmes sont généralement plus précis que l’intervention humaine en matière de prédictions ou dans l’exécution de processus complexes et répétitifs. Ils peuvent aussi traiter très rapidement de grands volumes de données complexes de marchés ou encore évaluer/réévaluer régulièrement leurs recommandations, en fonction des données passées et celles nouvellement traitées.

En procédant à l’enregistrement de chacune de leurs opérations, ces mêmes outils favoriseront un accès en ligne rapide et détaillé de toutes les transactions réalisées.

Les consommateurs pourront, en outre, bénéficier de conseils à moindre coût. En touchant des personnes qui ne pouvaient jusqu’alors s’offrir les services de conseil humains, l’automatisation permettrait donc a priori une démocratisation du conseil.

Du fait de leur généralisation, les institutions financières pourront ainsi offrir à une plus large clientèle un accès facilité à davantage de produits et services.

En vertu des différentes réponses reçues au cours de la consultation, les ESA estiment néanmoins que certains des avantages précités peuvent être exagérés et nécessiteront vraisemblablement, pour éviter toute dérive future, la mise en place de garde-fous additionnels.

Les risques liés aux robo-advisors

Les risques potentiels liés à l’automatisation du conseil peuvent être regroupés sous les trois principales catégories suivantes :

  • les risques liés au fait que les conseils générés par les outils ne sont pas toujours adaptés aux besoins des consommateurs. Les utilisateurs ont, parfois, un accès limité à l’information ou dans certains cas une capacité limitée à traiter ou comprendre ces informations ;
  • les risques liés aux dysfonctionnements des outils automatisés, particulièrement pour les outils totalement automatisés sans plus aucune intervention et contrôle humain ;
  • les risques systémiques liés à une utilisation généralisée des outils automatisés de conseils financiers. La généralisation de ces outils pourrait aboutir à une plus grande volatilité du marché puisqu’un nombre important de consommateurs réaliserait les mêmes opérations financières sur les mêmes instruments financiers.

Les spécificités du marché français

En droit français, les conseils assurantiels, bancaires ou financiers ne peuvent être fournis que par des personnes détenant un statut réglementé précis. D’ailleurs, une grande majorité des acteurs du marché actuel recourant déjà aux outils automatisés de conseil financier possèdent notamment les statuts obligatoires de COA et/ou CIF [6] pour réaliser respectivement des conseils en assurance vie et/ou des conseils en investissements financiers via leur interface de conseils par Internet.

La formalisation ainsi que la motivation des conseils assurantiels, bancaires ou financiers restent ensuite fondamentales, que ce soit en matière de conseils automatisés ou de conseils délivrés par intervention humaine.

La fourniture de conseils sur des contrats d’assurance au moyen d’Internet ou tout autre moyen de communication issue de la Directive sur l’intermédiation en assurance devra vraisemblablement continuer de respecter les anciennes obligations des intermédiaires en assurance. Avant la conclusion de tout contrat, les COA ont, en effet, l’obligation de préciser les exigences et les besoins de leurs clients ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé [7] . Avant la conclusion des contrats d’assurance vie, les COA doivent en plus s’enquérir aussi de leurs connaissances et de leur expérience en matière financière [8] . L’utilisation de formules standardisées sans aucune personnalisation est d’ailleurs à proscrire, comme l’a justement rappelé récemment la Commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) à l’encontre d’un intermédiaire en assurance distribuant des contrats d’assurance santé et prévoyance, contrats d’assurance obsèques et d’assurance santé animale principalement à distance par l’intermédiaire de comparateurs [9] .

S’agissant de la recommandation personnalisée de conseils bancaires réalisée par un COBSP [10] , celle-ci doit s’appuyer notamment sur la situation personnelle et financière du client concerné, sur ses préférences et ses objectifs ainsi que les informations nécessaires permettant de lui recommander des contrats appropriés. Elle est, en outre, fondée nécessairement sur des informations actualisées et sur des hypothèses raisonnables quant aux risques encourus par le client concerné pendant la durée du contrat proposé [11] .

Les CIF enfin devront, à compter du 3 janvier 2018, avant la formulation de tout conseil financier, se procurer auprès de leurs clients ou de leurs clients potentiels des informations concernant leur connaissance et leur expérience en matière d’investissement en rapport avec les instruments financiers, opérations ou services d’investissements conseillés ainsi que leur capacité à subir des pertes et leur tolérance au risque [12] . La nouveauté à venir sera notamment la nécessaire prise en compte de la tolérance au risque, la capacité à subir des pertes des clients. Les conseils financiers devront enfin être formalisés dans des déclarations d’adéquation écrite (anciennement rapport écrit) justifiant leurs différentes propositions, leurs avantages et les risques qu’elles comportent en fonction de leur expérience en matière d’investissement, leur situation financière et leurs objectifs d’investissements [13] .

Les premières actions des régulateurs nationaux

Le 14 novembre 2016, parallèlement aux consultations sectorielles européennes, l’ACPR a procédé à la mise à jour de sa Recommandation ACPR 2013-R-01 concernant le recueil des informations relatives à la connaissance du client dans le cadre du devoir de conseil en assurance vie [14] en y intégrant une annexe spécifique concernant le recueil via des interfaces numériques [15] .

L’ACPR a précisé ses attentes en matière de collecte d’informations et la nécessité d’un tel recueil adapté en matière d’interfaces numériques et de processus de vente se déroulant de façon automatique grâce à des algorithmes ou des arbres de décision.

Le régulateur assurantiel et bancaire rappelle notamment que « les principes de fonctionnement et l’ergonomie des interfaces numériques doivent permettre d’offrir au client des éléments d’assistance et d’explication adaptés et comparables à ceux dont il peut bénéficier dans un entretien en face-à-face. Les formulations utilisées doivent être claires afin d’éviter toute interprétation et les informations, notamment explicatives ou d'avertissements, doivent être présentées dans une police lisible et être facilement accessibles ». Il a enfin suggéré différents éléments de déclinaison opérationnelle pour la commercialisation de contrats d’assurance utilisant une interface numérique (via notamment des applications numériques ou sites Internet) et de bonnes pratiques à destination des professionnels assurantiels et bancaires.

Le 24 novembre 2016, ce fut au tour de l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’ouvrir une consultation sur la mise à disposition des investisseurs de simulateurs de performances futures [16] , qui s’est achevée le 20 janvier 2017. L’objectif du régulateur financier est d’éviter toute distorsion réglementaire et potentielle asymétrie de traitement à venir entre les acteurs financiers diffusant des simulateurs de performances (qu’ils soient notamment prestataires de services d’investissements, y compris sociétés de gestion de portefeuilles ou conseillers en investissements financiers). L’AMF propose, en effet, une extension des exigences d’une information claire, exacte et non trompeuse des PSI [17] à tous et particulièrement aux CIF [18] . Ces derniers étant soumis au principe précité uniquement par l’intermédiaire des codes de bonne conduite de quatre associations professionnelles de CIF [19] , et non en vertu de dispositions spécifiques du règlement général de l’AMF.

L’AMF recommande au travers d’un futur document de doctrine ad hoc sur les simulateurs de performances futures, la nécessité de faire apparaître sous toute illustration graphique un message proformaté imposé dans un encadré en gras et en taille visible ainsi que la prise en compte d’une série de bonnes et mauvaises pratiques. Cet affichage visera à éviter que « les professionnels communiquent uniquement sur des scénarios très favorables, pour lequel un placement constitué d’actifs monétaires serait illustré par une performance annuelle manifestement disproportionnée, ou encore le recours par d’autres à des taux d’actualisation à court terme non adaptés ». Les simulateurs de performances futures devront utiliser notamment des hypothèses de marché réalistes, des simulations tenant compte de l’horizon de placement et fondées sur des hypothèses raisonnables de marchés ou encore en utilisant des hypothèses économiques à long terme avec des simulations de performances à court terme [20] .

En conclusion, le bilan des robo-advisors reste contrasté. La démocratisation de l’acte de conseil est devenue une réalité grâce aux outils automatisés et l’encadrement réglementaire a été anticipé par les autorités de tutelle. Néanmoins, le big-bang des FinTechs françaises reste encore attendu, notamment en termes de collectes auprès des épargnants français et internationaux.

 

 

 

 

1 Selon l’étude indépendante publiée en 2015 par MyPrivateBanking, intitulée « Robo-Advisors 2.0 – How Automated Investing is Infiltrating the Wealth Management Industry ».
2 JC 2015 080, 4 décembre 2015, Joint Committee Discussion Paper on automation in financial advice.
3 Joint Committee of European Supervisory Authorities (ESA’s), respectively European Insurance and Occupational Pensions Authority (EIOPA), European Banking Authority (EBA) and European Securities and Markets Authority (ESMA).
4 16 décembre 2016, Joint Committee Report on automation in Financial Advice.
5 Article 2(15) de la Directive (UE) 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances ; Article 4(21) de la Directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n°1093/2010 ; Article 4 1. 4) de la Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE.
6 Courtier d’assurance ou de ré-assurance ; conseiller en investissement financier.
7 Article L.520-1 II 2° du Code des assurances.
8 Article L.520-1 III du Codes assurances renvoyant notamment aux dispositions de l’article L.132-27-1 du Code des assurances.
9 Commission des sanctions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution du 22 décembre 2016 à l’encontre de Santiane.fr.
10 Courtier en opérations de banque et en services de paiement.
11 Article R.519-22-1 du Code monétaire et financier.
12 Article L. 541-8-1 4° du Code monétaire et financier dans sa version à venir au 3 janvier 2018.
13 Article L. 541-8-1 9° du Code monétaire et financier dans sa version à venir au 3 janvier 2018.
14 Recommandation 2013-R-01 du 8 janvier 2013 sur le recueil des informations relatives à la connaissance du client dans le cadre du devoir de conseil en assurance-vie.
15 Annexe du 14 novembre 2016 à la Recommandation ACPR 2013-R-01 concernant le recueil via des interfaces numériques.
16 Consultation publique de l’AMF du 24 novembre 2016 relative à la mise à disposition des investisseurs de simulations de performances futures.
17 Article L.533-12 du Code monétaire et financier qui prévoit que « toutes les informations, y compris les communications à caractère promotionnel, adressées par un prestataire de services d’investissement à des clients, notamment des clients potentiels, présentent un contenu exact, clair et non trompeur ».
18 Le principe d’information claire, exacte et non trompeuse n’a pas été étendu aux CIF par le règlement général de l’AMF mais s’appliquent à eux par l’intermédiaire des codes de bonne conduite des associations de CIF
19 Pour mémoire, par ordre décroissant de nombre d’adhérents, l’Association Nationale des Conseils Financiers-CIF (ANACOFI-CIF), la Chambre Nationale des Conseillers en Gestion de Patrimoine (CNCGP), la Chambre Nationale des Conseillers en Investissements Financiers (CNCIF) et la Compagnie des Conseils en Gestion de Patrimoine Indépendants (Compagnie des CGPI).
20 A titre d’exemple une simulation fondée sur des hypothèses économiques à long terme de taux d’intérêt se doit d’être cohérente avec les simulations de performances futures, un rendement à 5 ans peut être simulé uniquement sur la base de taux d’intérêt à 5 ans, et non sur la base de taux avec une maturité plus courte ou plus longue.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº808
Notes :
11 Article R.519-22-1 du Code monétaire et financier.
12 Article L. 541-8-1 4° du Code monétaire et financier dans sa version à venir au 3 janvier 2018.
13 Article L. 541-8-1 9° du Code monétaire et financier dans sa version à venir au 3 janvier 2018.
14 Recommandation 2013-R-01 du 8 janvier 2013 sur le recueil des informations relatives à la connaissance du client dans le cadre du devoir de conseil en assurance-vie.
15 Annexe du 14 novembre 2016 à la Recommandation ACPR 2013-R-01 concernant le recueil via des interfaces numériques.
16 Consultation publique de l’AMF du 24 novembre 2016 relative à la mise à disposition des investisseurs de simulations de performances futures.
17 Article L.533-12 du Code monétaire et financier qui prévoit que « toutes les informations, y compris les communications à caractère promotionnel, adressées par un prestataire de services d’investissement à des clients, notamment des clients potentiels, présentent un contenu exact, clair et non trompeur ».
18 Le principe d’information claire, exacte et non trompeuse n’a pas été étendu aux CIF par le règlement général de l’AMF mais s’appliquent à eux par l’intermédiaire des codes de bonne conduite des associations de CIF
19 Pour mémoire, par ordre décroissant de nombre d’adhérents, l’Association Nationale des Conseils Financiers-CIF (ANACOFI-CIF), la Chambre Nationale des Conseillers en Gestion de Patrimoine (CNCGP), la Chambre Nationale des Conseillers en Investissements Financiers (CNCIF) et la Compagnie des Conseils en Gestion de Patrimoine Indépendants (Compagnie des CGPI).
1 Selon l’étude indépendante publiée en 2015 par MyPrivateBanking, intitulée « Robo-Advisors 2.0 – How Automated Investing is Infiltrating the Wealth Management Industry ».
2 JC 2015 080, 4 décembre 2015, Joint Committee Discussion Paper on automation in financial advice.
3 Joint Committee of European Supervisory Authorities (ESA’s), respectively European Insurance and Occupational Pensions Authority (EIOPA), European Banking Authority (EBA) and European Securities and Markets Authority (ESMA).
4 16 décembre 2016, Joint Committee Report on automation in Financial Advice.
5 Article 2(15) de la Directive (UE) 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances ; Article 4(21) de la Directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n°1093/2010 ; Article 4 1. 4) de la Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE.
6 Courtier d’assurance ou de ré-assurance ; conseiller en investissement financier.
7 Article L.520-1 II 2° du Code des assurances.
8 Article L.520-1 III du Codes assurances renvoyant notamment aux dispositions de l’article L.132-27-1 du Code des assurances.
9 Commission des sanctions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution du 22 décembre 2016 à l’encontre de Santiane.fr.
20 A titre d’exemple une simulation fondée sur des hypothèses économiques à long terme de Taux d'intérêt se doit d’être cohérente avec les simulations de performances futures, un rendement à 5 ans peut être simulé uniquement sur la base de Taux d'intérêt à 5 ans, et non sur la base de taux avec une maturité plus courte ou plus longue.
10 Courtier en opérations de banque et en services de paiement.