Une « taxe Pigou » aux objectifs flous

Dans un article publi&eacute; r&eacute;cemment [1] , vous pointez les faiblesses du projet europ&eacute;en de taxe sur les transactions financi&egrave;res (TTF). Quelles critiques peuvent &ecirc;tre adress&eacute;es &agrave; cette taxe, dans sa version fran&ccedil;aise ? Les objectifs de la taxe fran&ccedil;aise sur les transactions financi&egrave;res ne sont pas clairs : s&rsquo;agit-il de &laquo; punir &raquo; les sp&eacute;culateurs, de faire supporter aux banques une partie des co&ucirc;ts de la crise, ou encore de r&eacute;duire la volatilit&eacute; des march&eacute;s ? En affichant des objectifs multiples, on dilue l&rsquo;ambition initiale du projet, voire sa l&eacute;gitimit&eacute;. L&rsquo;un des arguments indiscutables de la mise en place d&rsquo;une taxe e&ucirc;t &eacute;t&eacute; d&rsquo;affirmer que certaines activit&eacute;s bancaires produisent des externalit&eacute;s n&eacute;gatives, c&rsquo;est-&agrave;-dire des co&ucirc;ts collectifs non support&eacute;s par ceux qui en sont &agrave; l&rsquo;origine, &agrave; l&rsquo;image de la pollution dans le domaine industriel. La taxe serait alors apparue comme le moyen de faire supporter aux banques une partie de l&rsquo;&eacute;cart entre le co&ucirc;t social et le co&ucirc;t priv&eacute; de leur activit&eacute;. Une telle taxe a &eacute;t&eacute; imagin&eacute;e dans son principe par l&rsquo;&eacute;conomiste Pigou, et n&rsquo;a rien &agrave; voir avec la taxe Tobin, dont l&rsquo;objectif &eacute;tait de limiter la volatilit&eacute; du cours des devises pour conserver l&rsquo;autonomie de la politique mon&eacute;taire. Je suis donc favorable &agrave; une taxe Pigou, mais pas une taxe Tobin, appliqu&eacute;e &agrave; une assiette regroupant les activit&eacute;s bancaires dont les co&ucirc;ts collectifs ne sont pas internalis&eacute;s. Pr&eacute;cis&eacute;ment, selon vous, quelle serait la bonne assiette d&rsquo;une TTF ? J&rsquo;ai beaucoup de mal &agrave; comprendre pourquoi les actions, auxquelles s&rsquo;ajoutent les obligations dans le projet europ&eacute;en, sont dans l&rsquo;assiette de la taxe. Pour moi, c&rsquo;est une grave erreur. Je ne vois pas en quoi les actions et les obligations, instruments du financement &agrave; long terme de l&rsquo;&eacute;conomie, participent de la production d&rsquo;externalit&eacute;s n&eacute;gatives. En revanche, le portefeuille de trading des banques valoris&eacute; &laquo; &agrave; la juste valeur &raquo; sur la base d&rsquo;un &laquo; prix de mod&egrave;le &agrave; param&egrave;tres non observables &raquo;, ce que les op&eacute;rateurs de march&eacute; appellent entre eux le &laquo; mark to myself &raquo;, est un candidat l&eacute;gitime &agrave; l&rsquo;entr&eacute;e dans l&rsquo;assiette de la taxe. L&rsquo;al&eacute;a entourant la valorisation peut conduire &agrave; des &eacute;carts tr&egrave;s importants, dont les cons&eacute;quences sont potentiellement syst&eacute;miques. Ce portefeuille, essentiellement compos&eacute; de produits structur&eacute;s de cr&eacute;dit, repr&eacute;sentait par exemple en mars 2012 15 milliards de dollars chez Goldman Sachs, une marge d&rsquo;erreur de 10 % repr&eacute;sentant &agrave; peu pr&egrave;s le r&eacute;sultat trimestriel. La taxation des fonds &laquo; long only &raquo; sur mati&egrave;res premi&egrave;res agricoles r&eacute;pondrait aussi &agrave; l&rsquo;objectif que je d&eacute;fends. On peut l&eacute;gitimement consid&eacute;rer que ces portefeuilles cr&eacute;ent une pression structurelle &agrave; la hausse des prix, dont le niveau serait plus faible sans leur pr&eacute;sence. Cet &eacute;cart de prix d&eacute;t&eacute;riore les conditions d&rsquo;acc&egrave;s d&rsquo;une partie de la population &agrave; l&rsquo;alimentation, ce qui est clairement assimilable &agrave; une externalit&eacute; n&eacute;gative. Enfin, les achats de CDS &laquo; nus &raquo;, aussi bien sur titres priv&eacute;s que titres souverains, devraient entrer dans l&rsquo;assiette de la taxe. Non pas n&eacute;cessairement parce que la sp&eacute;culation sur le d&eacute;faut d&rsquo;un &eacute;metteur serait une faute morale, mais parce que les vendeurs de CDS, contreparties des acheteurs et expos&eacute;s au risque de d&eacute;faut, se couvrent en vendant les obligations sous-jacentes, dont la cons&eacute;quence est la baisse du cours des titres sur le march&eacute; et&hellip; la hausse des taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t. La hausse des taux associ&eacute;e &agrave; la couverture des ventes de CDS est une externalit&eacute; n&eacute;gative qui doit donner lieu &agrave; taxation des achats de CDS &laquo; nus &raquo;, quel que soit l&rsquo;&eacute;metteur. L&rsquo;Europe a interdit les achats sur titres souverains, mais n&rsquo;a pas trait&eacute; la question des CDS &laquo; nus &raquo; sur titres priv&eacute;s. Les derni&egrave;res d&eacute;clarations du ministre allemand des Finances, qui ne souhaite pas que la TTF se mette en place en Europe avant 2016, ne viennent-elles pas fragiliser encore davantage l&rsquo;initiative fran&ccedil;aise ? Je comprends les d&eacute;clarations du ministre Scha&uuml;ble. Taxer les achats d&rsquo;actions et d&rsquo;obligations dans seulement onze pays de la zone euro entra&icirc;nera in&eacute;vitablement des distorsions de comp&eacute;titivit&eacute; entre les &eacute;tablissements bancaires europ&eacute;ens et un transfert de flux d&rsquo;ordre. Est ici pos&eacute; le difficile probl&egrave;me du p&eacute;rim&egrave;tre g&eacute;ographique d&rsquo;application de la taxe. De plus, concentrer la taxe sur les instruments de financement &agrave; long terme de l&rsquo;&eacute;conomie n&rsquo;est pas dans la culture de nos voisins allemands. Si l&rsquo;Europe acceptait votre proposition et inscrivait les portefeuilles de trading valoris&eacute;s au prix de mod&egrave;le dans l&rsquo;assiette de la taxe sur les transactions financi&egrave;res, quel serait le produit attendu de cette mesure ? Il est toujours difficile d&rsquo;&eacute;tablir des statistiques sur des donn&eacute;es relatives &agrave; des transactions de gr&eacute; &agrave; gr&eacute;. Mais les donn&eacute;es communiqu&eacute;es par les banques europ&eacute;ennes dans leur rapport annuel laissent penser que le portefeuille de trading valoris&eacute; au niveau 3 (prix de mod&egrave;le &agrave; param&egrave;tres non observables) repr&eacute;sente environ 100 milliards d&rsquo;euros, et celui valoris&eacute; au prix de mod&egrave;le niveau 2 (prix de mod&egrave;le &agrave; param&egrave;tres observables) quelques billions d&rsquo;euros. Une taxe de 0,5 % sur le portefeuille L2 et 1 % sur le portefeuille L3 pourrait rapporter &agrave; l&rsquo;Europe plusieurs milliards d&rsquo;euros. Consid&eacute;rez-vous que si elle devait s&rsquo;appliquer en Europe, la TTF &laquo; &agrave; la fran&ccedil;aise &raquo; devrait &ecirc;tre abrog&eacute;e ? C&rsquo;est in&eacute;vitable. Mais Nicolas Sarkozy aura &eacute;t&eacute; le premier &agrave; ouvrir le d&eacute;bat au niveau europ&eacute;en. Dommage que le projet fran&ccedil;ais ait &eacute;t&eacute; conduit dans une relative pr&eacute;cipitation, occultant une phase de r&eacute;flexion approfondie sur la d&eacute;finition de l&rsquo;assiette. Je crois que c&rsquo;e&ucirc;t &eacute;t&eacute; l&rsquo;occasion de rappeler que la crise financi&egrave;re 2007-2008 et avant tout le produit de comportements d&rsquo;al&eacute;a moral sur les march&eacute;s financiers, al&eacute;a moral d&eacute;fini par Adam Smith &agrave; la fin du XIX e si&egrave;cle comme &laquo; la maximisation de l&rsquo;utilit&eacute; individuelle sans prise en compte des cons&eacute;quences de ses d&eacute;cisions sur l&rsquo;utilit&eacute; collective &raquo;. C&rsquo;est &agrave; cet objectif de r&eacute;duction de l&rsquo;al&eacute;a moral, d&eacute;j&agrave; affirm&eacute; lors du G20 de Pittsburgh, que devrait r&eacute;pondre le futur projet europ&eacute;en de TTF, assise sur une assiette compos&eacute;e des activit&eacute;s financi&egrave;res productrices d&rsquo;externalit&eacute;s n&eacute;gatives&hellip; et en aucune mani&egrave;re sur le portefeuille d&rsquo;actions ou d&rsquo;obligations. 1 &laquo; Remettre l'int&eacute;r&ecirc;t g&eacute;n&eacute;ral au cœur de l'activit&eacute; &eacute;conomique &raquo;, tribune parue dans Le Monde du 5 novembre 2012.

RECHERCHEZ UN ARTICLE, UNE CHRONIQUE, PARMI L'ENSEMBLE DES PUBLICATIONS

RECHERCHEZ UN AUTEUR

Archive

TTF

Une « taxe Pigou » aux objectifs flous

La taxe sur les transactions financières, dans sa version européenne comme dans sa déclinaison nationale, présente l'inconvénient de taxer des instruments de financement à long terme de l'économie.

À retrouver dans la revue

Paiements

Chahuté, Worldline se bouge

Macro-économie

Dette et déficit publics : comment éviter le précipice

Paiements

DeluPay, une appli alternative aux cartes de paiement

Services financiers spécialisés

Le leasing, notre meilleur atout pour une mobilité décarbonée

Archive

Panorama réglementaire des actifs numériques

Archive

Sberbank : une valeur anéantie à zéro en fonds de portefeuille

Archive

La transformation repose sur des directions responsables et des équipes pluridisciplinaires

Suivez-nous