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Supervision européenne

« Une part du cadre réglementaire sera émise directement au niveau européen »

Créé le

17.05.2011

-

Mis à jour le

06.10.2011

L’Italien Andrea Enria, 50 ans, a pris le 1er mars dernier ses fonctions de premier président de l’Autorité bancaire européenne (EBA, en anglais), l’une des quatre entités du nouveau système de surveillance de la sphère financière. Il explique ce qui va changer.

Quelles sont les principales missions de l’Autorité bancaire européenne ?

Suivant les recommandations du rapport de Larosière, l’EBA a été créée pour favoriser la mise en place d’un cadre réglementaire unique pour les banques européennes. L’Autorité va également beaucoup travailler à l’évaluation des risques, en développant ses propres outils d’analyse. Nos travaux viendront alimenter la réflexion du Conseil européen du risque systémique (ESRB, en anglais). Ils permettront également de définir les priorités du travail de supervision au quotidien. L’une de nos missions est d’ailleurs de diffuser de bonnes pratiques en matière de supervision. Enfin, la protection du consommateur est également un objectif majeur assigné à l’EBA.

L’EBA a été dotée de pouvoirs que n'avait pas son prédécesseur, le CEBS [1] . Quels sont-ils ?

Nous avons, tout d’abord, le pouvoir de concevoir des règles, alors qu'auparavant, elles étaient prises individuellement par les États à partir des directives votées au niveau européen. Une banque transfrontière devait donc respecter plusieurs cadres réglementaires nationaux. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de publier directement des standards réglementaires, avalisés par la Commission, qui seront les mêmes pour tous. Les banques auront demain une part significative de leur cadre réglementaire émise directement au niveau européen. C’est une responsabilité majeure pour l’EBA.

Comment se traduisent ces pouvoirs renforcés dans vos relations avec les superviseurs nationaux ?

L’EBA a le pouvoir d’enquêter lorsqu’elle suspecte que la loi européenne n’est pas respectée dans un pays. Si l'infraction se confirme, elle peut émettre une recommandation à l’autorité de supervision nationale. Enfin, si malgré cela le superviseur persiste, un mécanisme nous permet, à la demande de la Commission, de le contourner et d’appliquer les règlements directement aux établissements bancaires nationaux. Selon moi, ce pouvoir est une force de dissuasion considérable et ne serait utilisé qu’en dernier recours. Nous disposons de ce même pouvoir pour régler un différend entre deux superviseurs nationaux sur le cas d’une banque transfrontière.

Pendant la crise, nous avons, en effet, constaté notre incapacité à réagir au niveau européen. L’EBA dispose donc de pouvoirs spécifiques en situation d’urgence, celle-ci étant déclarée par le Conseil européen sur proposition des autorités de supervision européennes ou de l’ESRB. Ces décisions s’appliquent alors aux autorités nationales. En temps normal, l’EBA a la possibilité de restreindre voire d’interdire pour un laps de temps certains produits ou activités financières. C’est un pouvoir important qui a été assez peu mis en valeur dans les débats parlementaires. Nous allons réfléchir aux cas dans lesquels il serait judicieux de l’utiliser, mais ce sera certainement en lien avec la protection du consommateur.

Un système d’appel est-il prévu ?

Oui, bien sûr. Toutes nos décisions peuvent être portées devant un conseil spécifique, qui est en train d’être mis en place et qui est commun aux trois autorités de supervision européennes [2] . Ce conseil est composé de six professionnels très compétents et expérimentés.

Quel est le rôle du Conseil des superviseurs vis-à-vis de l’ensemble de ces missions ?

C’est le principal organe décisionnel de l’Autorité. Il est composé des responsables des superviseurs nationaux à qui il est clairement demandé, lorsqu’ils sont à la table de l’EBA, d’être guidés par l’intérêt européen. Ce n’était pas toujours le cas du temps du CEBS. Par ailleurs, les décisions étaient prises par consensus, ce qui nécessitait beaucoup de négociations et de compromis. Aujourd’hui, elles sont prises à la majorité, avec pour principe un membre égale un vote. Mais pour un certain nombre de sujets – l’émission de règles et de standards techniques, la mise en place de restrictions, les questions budgétaires –, nous appliquons la majorité qualifiée, avec des pondérations des pays conformes au traité de Lisbonne.

Les membres ont-ils un droit de veto sur les décisions ?

Non. Il existe toutefois une clause de sauvegarde budgétaire : si un pays pense qu’une décision de l’EBA a un impact sur son budget, il peut se retourner vers le Conseil européen. Si ce dernier tranche en faveur de l’EBA, le pays devra se conformer. Sinon, nous serons poussés à revoir notre décision.

Pour certains groupes transfrontières, les superviseurs nationaux qui les suivent ont été réunis en « collèges ». Quels objectifs fixez-vous à ces groupes de travail ?

Il existe aujourd’hui 44 collèges de superviseurs, mais ce chiffre va être amené à croître tout au long de l’année. Leur mise en place est en effet rendue obligatoire par la CRD2. À terme, ils devraient être une centaine. Jusqu’à présent, ces collèges étaient surtout utilisés pour échanger de l’information sur un même établissement entre superviseurs nationaux. Il faut désormais que leur travail soit beaucoup plus collaboratif : ils doivent évaluer ensemble les risques d’un établissement et prendre conjointement les décisions, comme le prévoit la CRD 2. Des experts de l’EBA participeront aux réunions de ces collèges, pour garantir une application harmonisée des règles et promouvoir les bonnes pratiques entre collèges.

Qui compose le Stakeholder Group [3] ? Quelles sont ses missions ?

À la différence du panel consultatif du CEBS, qui était dominé par la profession bancaire, le Stakeholder Group de l’EBA est plus équilibré dans sa composition. Outre des banquiers, il comprend des représentants des consommateurs de produits financiers, des entreprises, des universitaires et des salariés des banques. Chaque catégorie ne peut pas occuper plus d’un tiers des sièges de ce groupe.

Il a pour vocation de faciliter la consultation des parties prenantes par l’EBA, en particulier dans son activité de régulation. Mais il peut aussi nous donner son point de vue sur les évolutions du marché ou soulever un sujet qui semble important à aborder. Il peut attirer l’attention de l’EBA sur des cas de mauvaise application de la loi européenne au niveau d’un pays.

Au moment de valider votre nomination et celles des présidents de l’ESMA et de l’EIOPA, les députés européens ont fait part de leurs inquiétudes concernant le budget alloué aux nouvelles autorités. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Notre croissance doit être progressive : le CEBS ne comptait qu’une vingtaine de personnes et il n’est pas souhaitable de passer brutalement à un niveau plus élevé. Depuis mon arrivée, je constate néanmoins une forte pression sur nos ressources, humaines mais aussi informatiques, du fait de l’étendue de nos tâches. D’un point de vue administratif, l’Autorité a également plus d’obligations que l’ancien CEBS.

Nous prévoyons donc une croissance assez substantielle de nos effectifs dans les années à venir : nous étions environ 30 début 2011, nous serons 60 à la fin de l’année et environ 120 dans trois ans, y compris les experts des autorités nationales qui viendront en support.

Quels profils recherchez-vous ?

Nous recrutons de manière significative dans trois domaines : la régulation, la surveillance et les fonctions support. Le recrutement est bouclé pour 2011 sur la partie supervision, mais des postes sont toujours à pourvoir pour les deux autres domaines. Alors que le CEBS avait l’habitude de travailler avec de jeunes spécialistes issus des autorités nationales qui ne restaient que deux ou trois ans, l’EBA vise des profils plus diversifiés : outre ces jeunes experts, elle recherche des personnes plus seniors. Des postes de direction dans les branches régulation et fonctions support vont être bientôt ouverts. Nous sommes également intéressés par des candidatures ne provenant pas des autorités de supervision bancaire, mais aussi de l’industrie, du monde académique ou d’autres organismes de régulation.

Outre les stress tests dont les résultats doivent être publiés fin juin, quelles sont vos principales échéances pour l’année à venir ?

L’une de nos principales tâches sera de produire des règles, en particulier sur les thèmes liés à Bâle III. En l’état actuel, le projet de texte de la CRD4 pensé par la Commission comprend une quarantaine de points sur lesquels l’EBA devra émettre des standards techniques. Le paquet législatif sur la résolution des crises bancaires sera aussi une échéance importante pour l’EBA.

Outre le sujet des collèges que j’ai déjà mentionné, nous avons un vaste travail d’harmonisation de reporting de supervision à mener. D’une manière générale, je pense qu’il reste un important travail à faire au niveau mondial sur la convergence entre superviseurs. Beaucoup a été fait, depuis la crise, en termes de régulation financière, avec un net durcissement des règles. Mais je ne crois pas que nous soyons allés assez loin en termes de refonte de la supervision. Des efforts ont été faits en Europe pour la convergence vers les bonnes pratiques mais il reste du chemin à parcourir. En cela, le mécanisme de revue par les pairs prévu par la loi sera très utile.

Lors de sa visite inaugurale à l’EBA le 1er avril, le commissaire Michel Barnier a demandé à l’Autorité de faire preuve de « courage » et de « prendre des décisions justes et bonnes pour l’Europe, même si elles ne sont pas toujours populaires ». Avez-vous le sentiment que l’EBA a les pouvoirs pour le faire ?

Oui, je le pense. La crise a mis en évidence le décalage entre des institutions financières actives au niveau européen voire global, et des infrastructures de régulation et de supervision essentiellement nationales. Ces autorités se sont révélées parfois trop conciliantes avec leurs champions nationaux pour leur offrir un cadre plus favorable. Nous devons aujourd’hui apporter la preuve que nous pouvons travailler de manière concertée et trouver des solutions véritablement européennes. Je pense que la loi nous a donné les outils pour cela.

1 Committee of European Banking Supervisors, auquel l’EBA a succédé le 1er janvier 2011. 2 L'EBA, l’ESMA pour les marchés et l’EIOPA pour les assurances. 3 Sur les 30 membres de « groupe des parties prenantes », 4 sont français : Christian Lajoie (BNP Paribas) pour l’industrie, Michel Barbet-Massin (Mazars) et Sylvie Bourguignon (Deloitte) pour les utilisateurs de services bancaires, et Ute Meyenberg pour les syndicats de salariés.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº737
Notes :
1 Committee of European Banking Supervisors, auquel l’EBA a succédé le 1er janvier 2011.
2 L'EBA, l’ESMA pour les marchés et l’EIOPA pour les assurances.
3 Sur les 30 membres de « groupe des parties prenantes », 4 sont français : Christian Lajoie (BNP Paribas) pour l’industrie, Michel Barbet-Massin (Mazars) et Sylvie Bourguignon (Deloitte) pour les utilisateurs de services bancaires, et Ute Meyenberg pour les syndicats de salariés.