Une obligation sécurisée et controversée

Commerzbank a lanc&eacute; en f&eacute;vrier 2013 une &eacute;mission remarqu&eacute;e de 500 millions d'euros d'obligations s&eacute;curis&eacute;es ( covered bonds ) bas&eacute;e sur un portefeuille de cr&eacute;dit aux PME. Cette &laquo; premi&egrave;re &raquo; a &eacute;t&eacute; r&eacute;compens&eacute;e par le prix de l'innovation 2013 du magazine sp&eacute;cialis&eacute; The Cover Bond Report dans un contexte pour le moins tr&egrave;s controvers&eacute;. En effet, c'est la premi&egrave;re fois que sur un march&eacute; majeur (l'Allemagne en l'occurrence) le terme d'obligation s&eacute;curis&eacute;e (OS) est reconnu pour des financements de PME. La controverse est d'autant plus forte que cette &eacute;mission a re&ccedil;u le soutien de la BCE, celle-ci ayant d&eacute;cid&eacute; de l'assimiler aux autres OS et non &agrave; une titrisation g&eacute;n&eacute;ralement commune d'actifs ( Asset Back Security &ndash; ABS), ce qui r&eacute;duit la d&eacute;cote de 11 &agrave; 5% en cas de pr&eacute;sentation de ces titres en collat&eacute;ral d'une fourniture de liquidit&eacute;. Les investisseurs traditionnels d'OS et notamment ceux qui investissent dans les titres allemands traditionnels comme les Pfandbriefe [1] ont fait conna&icirc;tre leur ferme opposition &agrave; ce que le label OS soit ainsi octroy&eacute; &agrave; une op&eacute;ration qui ne pr&eacute;sente pas les m&ecirc;mes caract&eacute;ristiques de s&eacute;curit&eacute; et de protection contre le risque que le reste de ce compartiment. Les titres cr&eacute;es par l'op&eacute;ration de Commerzbank sont &agrave; 5 ans ; par la suite, le programme qui porte sur un total de 5 milliards d'euros pourra inclure des titres de long terme mais rechargeables avec des cr&eacute;dits dont la maturit&eacute; moyenne est de l'ordre de 5 ans, ce qui induit une rotation plus &eacute;lev&eacute;e que celle, par exemple, d'une OS fond&eacute;e sur des cr&eacute;dits immobiliers. En g&eacute;n&eacute;ral, les OS sont des op&eacute;rations de tr&egrave;s long terme (20-30 ans), offrant une transparence &eacute;lev&eacute;e sur les actifs sous-jacents qui pr&eacute;sentent des risques faibles ; elles devraient b&eacute;n&eacute;ficier d'un statut tr&egrave;s prot&eacute;g&eacute; en cas de faillite de l'&eacute;metteur, avec a priori une protection en cas de bail-in , comme le pr&eacute;voit la directive en pr&eacute;paration sur le redressement et la r&eacute;solution des banques. Les investisseurs ont en outre protest&eacute; contre l'&eacute;ventuelle inclusion de cette &eacute;mission dans les indices de r&eacute;f&eacute;rence, ce qu'a fait une des banques actives dans le placement des titres, mais au grand soulagement des g&eacute;rants d'actifs, ce que Markit (indices IBoxx) n'a pas fait. Il n'en reste pas moins que l'opinion g&eacute;n&eacute;rale des investisseurs europ&eacute;ens semble &ecirc;tre oppos&eacute;e &agrave; l'utilisation du label &laquo; Obligation s&eacute;curis&eacute;e &raquo; pour ce type d'op&eacute;ration associ&eacute;e &agrave; des cr&eacute;dits PME. Une op&eacute;ration soutenue artificiellement De ce fait, l'analyse du placement de l'&eacute;mission de Commerzbank fait appara&icirc;tre une part &eacute;lev&eacute;e des investisseurs allemands (44 %) et, si l'on retient le crit&egrave;re de type d'investisseurs, une part inhabituellement &eacute;lev&eacute;e de banques centrales et institutions &eacute;tatiques (34 %). Les d&eacute;tracteurs de cette op&eacute;ration soulignent donc que le soutien de la Bundesbank et celui de KfW [2] ont probablement &eacute;t&eacute; d&eacute;terminants dans son succ&egrave;s. Les agences de notation ont-elles aussi soutenu cette op&eacute;ration en lui accordant une note AA ; pourtant, elles ont int&eacute;gr&eacute; &agrave; leurs mod&egrave;les des hypoth&egrave;ses assez s&eacute;v&egrave;res sur les taux de r&eacute;cup&eacute;ration des cr&eacute;ances en cas de probl&egrave;me (de l'ordre de 25 %). Il n'en reste pas moins que cette op&eacute;ration, qui s'est faite dans des conditions de spreads (47 bp) interm&eacute;diaires entre une &eacute;mission de Pfandbriefe (5 &agrave; 10 bp) et une &eacute;mission d'ABS (80 &agrave; 100 bp), ouvre une voie nouvelle dans le recours &agrave; la titrisation. Comme le remarque le dernier rapport [3] du Parlement europ&eacute;en sur le financement des PME, il existe deux modes possibles de titrisation des cr&eacute;dits PME : une cr&eacute;ation de titres qui peuvent &ecirc;tre c&eacute;d&eacute;s &agrave; des investisseurs ou servir de garantie pour des refinancements ; une &eacute;mission de dette bancaire garantie par des cr&eacute;dits PME. L'op&eacute;ration lanc&eacute;e par Commerzbank appartient au deuxi&egrave;me mode, qui n'est pas courant, contrairement au premier qui correspond &agrave; la titrisation classique telle qu'elle se pratique aujourd'hui en Europe. Celle-ci concerne un peu moins de 10 % des cr&eacute;dits PME (environ 150 milliards d'euros), mais son impact &eacute;conomique est en r&eacute;alit&eacute; tr&egrave;s inf&eacute;rieur, car plus de la moiti&eacute; de l'encours provient d'Espagne et d'Italie et n'est pas plac&eacute;e sur le march&eacute;, mais correspond &agrave; un mode de financement des banques aupr&egrave;s de la BCE. Dans ce cadre, les titrisations sont d&eacute;coup&eacute;es en tranches plus ou moins expos&eacute;es aux risques, avec une tranche de &laquo; premi&egrave;res pertes &raquo; qui est en principe conserv&eacute;e par la banque pour rehausser la note des titres. En effet, les cr&eacute;dits PME se trouvent en moyenne dans la cat&eacute;gorie B et il est n&eacute;cessaire de donner des garanties additionnelles aux investisseurs pour que ceux-ci acceptent des titres pr&eacute;sentant un risque attendu assez &eacute;lev&eacute; et une volatilit&eacute; importante des rendements, notamment en cas de crise. Comme le montre par exemple l'analyse par notation interne du portefeuille de cr&eacute;dit entreprises de BNP Paribas (soit la cat&eacute;gorie d'exposition corporate dans le syst&egrave;me des ratios de B&acirc;le, soit les grandes entreprises et les PME, mais pas les TPE qui figurent en cat&eacute;gorie retail ), seuls 14 % du portefeuille sont en cat&eacute;gorie de note &eacute;quivalente &agrave; la cat&eacute;gorie A des agences de notation La d&eacute;licate titrisation des cr&eacute;dits PME Le d&eacute;veloppement de la titrisation des cr&eacute;dits PME est fondamentalement complexe et on peut d'ailleurs noter que cette cat&eacute;gorie sp&eacute;cifique n'existe pas directement sur le march&eacute; am&eacute;ricain qui est certainement le plus d&eacute;velopp&eacute; en la mati&egrave;re. Les financements de grands clients ou de grands projets devraient continuer &agrave; se d&eacute;velopper (march&eacute; des CLO [4] ), mais l'application aux portefeuilles de cr&eacute;dit PME du &laquo; nouveau &raquo; mod&egrave;le des BFI europ&eacute;ennes ( Originate to Distribute &ndash; OTD) semble encore marginale, m&ecirc;me si l'appui des pouvoirs publics peut lui donner une certaine impulsion. &Agrave; terme, Commerzbank esp&egrave;re financer 5 milliards d'euros de cr&eacute;dits PME de cette mani&egrave;re et avec des op&eacute;rations comme celle de f&eacute;vrier dernier ; pour la banque, il s'agit de diversifier ses sources de financement tout en &eacute;tant capable de faire cro&icirc;tre l'activit&eacute; dirig&eacute;e vers les PME ( Mittelstandbank , voir Tableau 2). Cette activit&eacute; est essentielle pour l'&eacute;tablissement, elle contribue au tiers du chiffre d'affaires et &agrave; plus de la moiti&eacute; des r&eacute;sultats courants (sur le p&eacute;rim&egrave;tre dit core, c'est-&agrave;-dire en ne tenant pas compte des actifs et activit&eacute;s &agrave; c&eacute;der ou arr&ecirc;ter). C'est une des positions fortes de Commerzbank qui est pr&eacute;sente chez plus de 30 % des PME allemandes et souhaite continuer &agrave; maintenir ou am&eacute;liorer sa position tout en restant rentable. Le plan 2016 pour l'activit&eacute; de la division PME repose sur une croissance des revenus de 4 % par an (plus de produits et plus de clients), de mani&egrave;re &agrave; s&eacute;curiser une rentabilit&eacute; des fonds propres de plus de 20 % (rendement avant imp&ocirc;ts) et un coefficient d'exploitation inf&eacute;rieur &agrave; 45 % avec un co&ucirc;t du risque [5] ma&icirc;tris&eacute;. Mais du point de vue de l'&eacute;conomie allemande, une op&eacute;ration comme l'OS de Commerzbank est-elle bien utile ? Si le r&ocirc;le des banques dans le financement de l'&eacute;conomie en Europe est essentiel, et la relance du cr&eacute;dit aux PME d&eacute;sirable a priori [6] , ce ne semble pas &ecirc;tre une priorit&eacute; pour l'Allemagne ou pour les pays &laquo; cœur &raquo; de la zone. En effet, les enqu&ecirc;tes de la BCE sur les taux d'acceptation des cr&eacute;dits indiquent des taux sup&eacute;rieurs &agrave; 90 % en Allemagne et voisin de 80 % en France. Le probl&egrave;me de la zone euro semble en effet plus se concentrer sur l'Europe du Sud o&ugrave; les financements sont objectivement plus difficiles et plus chers. De mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, comme le recommande le rapport du Parlement europ&eacute;en, l'intervention publique (par exemple de la BCE) ne se justifie que pour r&eacute;soudre des probl&egrave;mes g&eacute;n&eacute;raux d'asym&eacute;trie d'information (l'opacit&eacute; peut entra&icirc;ner des demandes accrues de garanties ou collat&eacute;raux) ou des probl&egrave;mes particuliers d'aversion au risque pendant les phases de r&eacute;cession. 1 Les Pfandbriefen sont des titres de droit allemand, &eacute;mis avec la garantie des cash-flows d&rsquo;actifs s&ucirc;rs d&eacute;finis de mani&egrave;re stricte (cr&eacute;dit habitat, cr&eacute;dits aux collectivit&eacute;s locales&hellip;) qui restent au bilan des banques &eacute;mettrices. 2 KfW est une banque publique qui soutient les entreprises (cr&eacute;dits export, cr&eacute;dit PME) et les grands projets publics en mati&egrave;re d&rsquo;infrastructure et de logement. C&rsquo;est une institution que l&rsquo;on compare souvent &agrave; la CDC en France. 3 &laquo; Banking System Soudness is the Key to more SME Financing &raquo;, Zsolt Darvas, juillet 2013. Ce rapport a &eacute;t&eacute; pr&eacute;par&eacute; pour le Parlement par Bruegel. 4 Collateralized Loan Obligations 5 La hausse du co&ucirc;t du risque au premier semestre 2013 est due &agrave; un nombre limit&eacute; de dossiers &agrave; provisionner. 6 Sous r&eacute;serve de ne pas financer des entreprises non viables.

RECHERCHEZ UN ARTICLE, UNE CHRONIQUE, PARMI L'ENSEMBLE DES PUBLICATIONS

RECHERCHEZ UN AUTEUR

Archive

Financement bancaire

Une obligation sécurisée et controversée

En février 2013, Commerzbank a émis une obligation sécurisée adossée à un portefeuille de crédit aux PME. Cette opération originale, soutenue par la BCE, a choqué la communauté des investisseurs. L'occasion d'analyser les perspectives de la titrisation des crédits PME.

À retrouver dans la revue

Paiements

Chahuté, Worldline se bouge

Macro-économie

Dette et déficit publics : comment éviter le précipice

Paiements

DeluPay, une appli alternative aux cartes de paiement

Services financiers spécialisés

Le leasing, notre meilleur atout pour une mobilité décarbonée

Archive

Panorama réglementaire des actifs numériques

Archive

Sberbank : une valeur anéantie à zéro en fonds de portefeuille

Archive

La transformation repose sur des directions responsables et des équipes pluridisciplinaires

Suivez-nous