Secteur bancaire : les priorités pour 2020

Quel &eacute;tat des lieux faites-vous de l&rsquo;ann&eacute;e r&eacute;glementaire 2019 et des perspectives 2020 dans ce domaine ? L&rsquo;agenda r&eacute;glementaire devient moins charg&eacute;. N&eacute;anmoins, il reste que la finalisation du dispositif B&acirc;le III (commun&eacute;ment d&eacute;nomm&eacute; B&acirc;le IV) va donner lieu &agrave; des discussions intenses. Le dispositif B&acirc;le IV vise &agrave; r&eacute;duire l&rsquo;avantage prudentiel r&eacute;sultant de l&rsquo;utilisation des mod&egrave;les internes par rapport &agrave; la m&eacute;thode dite &laquo; standard &raquo;, notamment avec la mise en place d&rsquo;un seuil plancher ( output floor ). L&rsquo;entr&eacute;e en vigueur du dispositif &agrave; partir de 2022 aura un impact significatif ; par exemple certaines banques n&eacute;erlandaises estiment que leurs risques pond&eacute;r&eacute;s (RWAs) pourraient s&rsquo;accro&icirc;tre de quelque 30 %. En France, on s&rsquo;attend &agrave; un impact plus limit&eacute; plus proche de 20 %, avec cependant des variations significatives entre banques. Pour sa part la BCE poursuit son examen, entrepris en 2017, de la qualit&eacute; des mod&egrave;les internes des banques qu&rsquo;elle supervise directement (TRIM ou &laquo; Targeted review of internal models &raquo;). Ce travail a pu conduire la BCE &agrave; imposer des changements de mod&eacute;lisation, des &laquo; marges de prudence &raquo; dans le calcul de certains param&egrave;tres qui peuvent aboutir &agrave; un accroissement des RWAs et donc des fonds propres prudentiels. Les exigences de la BCE en mati&egrave;re de mod&egrave;les anticipent dans une certaine mesure, le dispositif B&acirc;le IV. La BCE devrait achever son programme TRIM prochainement. La transposition de &laquo; B&acirc;le IV &raquo; en droit europ&eacute;en, dont les travaux se poursuivent, suscite toujours de nombreuses discussions. Les banques europ&eacute;ennes souhaitent que les sp&eacute;cificit&eacute;s du &laquo; mod&egrave;le europ&eacute;en &raquo; soient prises en compte, notamment la pr&eacute;dominance des financements bancaires compar&eacute;e &agrave; celle des financements par les march&eacute;s aux &Eacute;tats-Unis. En r&eacute;sum&eacute;, elles estiment que le texte b&acirc;lois ne doit pas &ecirc;tre transpos&eacute; &laquo; tel quel &raquo; d&rsquo;autant que la transposition aboutirait &agrave; une augmentation des exigences de fonds propres, ce qui contredirait l&rsquo;engagement du Comit&eacute; de B&acirc;le. &Agrave; cet &eacute;gard, l&rsquo;&eacute;tude d&rsquo;impact publi&eacute;e par l&rsquo;EBA en d&eacute;cembre 2019 fait ressortir, en effet, une augmentation de 23,6 % des exigences de &laquo; Tier1 &raquo;. On peut donc s&rsquo;attendre &agrave; d&rsquo;&acirc;pres discussions entre les partisans de la transposition &laquo; loyale &raquo; pr&eacute;conis&eacute;e par l&rsquo;EBA et les autres parties prenantes (gouvernements, Parlement europ&eacute;en, Commission). On peut n&eacute;anmoins anticiper que certaines dispositions, par exemple les modalit&eacute;s de calcul du floor pourraient permettre d&rsquo;att&eacute;nuer l&rsquo;impact prudentiel de la r&eacute;forme sans formellement d&eacute;roger au texte b&acirc;lois (l&rsquo;EBA estime que le floor est &agrave; l&rsquo;origine de plus du tiers de l&rsquo;impact sur les exigences de Tier1). Autre enjeu r&eacute;glementaire, la r&eacute;vision de la directive BRRD 2 sur le r&eacute;tablissement et la r&eacute;solution bancaire, le texte r&eacute;cemment r&eacute;vis&eacute; (2019) ayant laiss&eacute; de c&ocirc;t&eacute; certains sujets comme la hi&eacute;rarchie des dettes (pr&eacute;f&eacute;rence pour les d&eacute;p&ocirc;ts), la recapitalisation pr&eacute;cautionnelle, etc. Le sujet des &laquo; aides publiques au secteur bancaire &raquo; devra &eacute;galement &ecirc;tre discut&eacute;, le cadre actuel, d&eacute;fini en ao&ucirc;t 2013, ne prenant en compte le nouveau dispositif de r&eacute;solution (BRRD2). Le cadre R&eacute;solution des groupes transfrontaliers refl&egrave;te un certain manque de confiance entre les pays &laquo; home &raquo; et &laquo; host &raquo; qui a abouti &agrave; la fixation d&rsquo;un niveau &eacute;lev&eacute; de MREL interne, ce qui pourrait donner lieu &agrave; des amendements si des progr&egrave;s sont obtenus au sujet du m&eacute;canisme europ&eacute;en d&rsquo;assurance des d&eacute;p&ocirc;ts (EDIS) qui ne fait toujours pas l&rsquo;unanimit&eacute;. Si le Comit&eacute; de B&acirc;le a achev&eacute; ses travaux portant sur le cadre B&acirc;le III/B&acirc;le IV, la question de la prise en compte des dettes souveraines dans le calcul des risques des banques demeure en suspens (actuellement ces expositions sont consid&eacute;r&eacute;es, sauf exception, comme &eacute;tant &laquo; sans risque &raquo; et donc pond&eacute;r&eacute;es &agrave; 0 %). Il sera difficile pour les membres du comit&eacute; de B&acirc;le de parvenir &agrave; un accord sur ce sujet sensible compte tenu de l&rsquo;importance des dettes publiques dans le bilan des banques de certains pays. Cette question qui fait d&eacute;bat au sein m&ecirc;me de l&rsquo;Union Europ&eacute;enne est susceptible d&rsquo;entraver les progr&egrave;s en ce qui concerne EDIS. Quelles sont les perspectives des banques en termes de business model et de rentabilit&eacute; ? Les banques am&eacute;ricaines sont aujourd&rsquo;hui plus rentables que leurs homologues europ&eacute;ennes : leur ROA est de 1,3 % contre 0.4 % en Europe. Le ratio cost/income des banques am&eacute;ricaines a baiss&eacute; de 7 % entre 2014 et 2018, contre une hausse de 2 % pour les banques europ&eacute;ennes sur la m&ecirc;me p&eacute;riode. Ces diff&eacute;rences s&rsquo;expliquent par de nombreux facteurs : des diff&eacute;rences de croissance en premier lieu, des taux bas moins &eacute;lev&eacute;s en Europe qu&rsquo;aux &Eacute;tats-Unis ; un assainissement des bilans plus rapide outre Atlantique alors que l&rsquo;Europe doit continuer &agrave; porter un stock toujours &eacute;lev&eacute; de cr&eacute;ances douteuses ; un march&eacute; bancaire beaucoup plus fragment&eacute; en Europe ce qui ne facilite pas la consolidation des acteurs. En Europe, nous pensons que les banques auront de plus en plus de mal &agrave; compenser la baisse de leurs revenus et de leurs marges. Accro&icirc;tre le volume de cr&eacute;dits n&rsquo;est pas forc&eacute;ment possible ni souhaitable. On peut rappeler &agrave; cet &eacute;gard les pr&eacute;occupations et les orientations du Haut Conseil de Stabilit&eacute; financi&egrave;re en ce qui concerne les conditions d&rsquo;octroi des cr&eacute;dits immobiliers ; la baisse du co&ucirc;t du risque intervenue ces derni&egrave;res ann&eacute;es est en train de s&rsquo;achever et on s&rsquo;attend au contraire &agrave; une inversion de tendance ; la baisse des co&ucirc;ts op&eacute;rationnels s&rsquo;av&egrave;re difficile dans un contexte o&ugrave; la digitalisation des activit&eacute;s oblige les banques &agrave; des investissements significatifs, sans compter ceux &agrave; consacrer &agrave; la cybers&eacute;curit&eacute;. Par ailleurs la consolidation des acteurs est une solution difficile &agrave; mettre en œuvre en Europe. D&rsquo;une part, en raison de l&rsquo;absence d&rsquo;une v&eacute;ritable Union bancaire les fusions/acquisitions transfrontali&egrave;res ne sont pas encourag&eacute;es. Mais plus fondamentalement la fragmentation des secteurs bancaires des pays de l&rsquo;Union europ&eacute;enne, qui traduit une diff&eacute;rence dans leur d&eacute;veloppement et leur maturit&eacute;, est facteur d&rsquo;inefficience notamment dans un contexte o&ugrave; les transformations technologiques imposent des investissements massifs que seuls les grands acteurs peuvent supporter. &Agrave; cet &eacute;gard on peut noter le mouvement de consolidation domestique du secteur bancaire italien, notamment de son secteur coop&eacute;ratif sous l&rsquo;&eacute;gide d&rsquo;une loi qui le conduit &agrave; acc&eacute;l&eacute;rer sa restructuration. O&ugrave; en est aujourd&rsquo;hui le mouvement de digitalisation des paiements et son impact sur le secteur bancaire ? Les &laquo; paiements &raquo; sont un autre domaine dans lequel on observe une fragmentation du march&eacute; europ&eacute;en. En France, les banques sont les acteurs principaux dans le domaine des paiements, ce qui n&rsquo;est pas toujours le cas dans les autres pays europ&eacute;ens. Dans le domaine des cartes de paiement, au Royaume-Uni ou en Espagne, les banques sous-traitent un certain nombre de fonctions dont &laquo; l&rsquo;acquisition &raquo; aupr&egrave;s d&rsquo;op&eacute;rateurs externes comme Worldline. Les banques fran&ccedil;aises entendent continuer &agrave; investir dans cette activit&eacute; consid&eacute;r&eacute;e comme strat&eacute;gique : l&rsquo;enjeu est de taille puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit de pr&eacute;server la relation client, d&rsquo;avoir acc&egrave;s aux donn&eacute;es de paiements, qui comportent de multiples informations sur le comportement des clients. Il y va de la pr&eacute;servation et du d&eacute;veloppement des activit&eacute;s bancaires futures dans un monde digitalis&eacute;. En outre les revenus issus des paiements restent significatifs. En France, les revenus de paiements sont largement issus de la commercialisation de cartes de paiement, qui est le moyen de paiement le plus utilis&eacute; et dont l&rsquo;usage continue &agrave; se r&eacute;pandre. La rentabilit&eacute; de ces op&eacute;rations est aujourd&rsquo;hui menac&eacute;e : la concurrence des nouveaux &laquo; acteurs digitaux &raquo; met sous pression les facturations aux commer&ccedil;ants et aux porteurs de carte. Les commissions d&rsquo;interchange ont d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; plafonn&eacute;es par la r&eacute;glementation europ&eacute;enne et la r&eacute;vision en cours de cette derni&egrave;re de DSP2 fait craindre une baisse suppl&eacute;mentaire de ces commissions. Par ailleurs le nouveau dispositif r&eacute;glementaire impose des suj&eacute;tions fortes en mati&egrave;re d&rsquo;authentification des clients. Dans le m&ecirc;me ordre d&rsquo;id&eacute;es, le co&ucirc;t de l&rsquo;innovation pour rester comp&eacute;titif, rendre les paiements les plus ergonomiques possible (t&eacute;l&eacute;phone portable, &laquo; sans contact &raquo;) est &eacute;lev&eacute;. Dans ce domaine, les GAFA sont susceptibles de modifier le paysage concurrentiel. Ces entreprises d&eacute;tiennent une base de clients et de donn&eacute;es consid&eacute;rables qui peuvent &ecirc;tre exploit&eacute;es dans la sph&egrave;re financi&egrave;re. Aux &Eacute;tats-Unis, des GAFA se sont ainsi associ&eacute;s &agrave; des banques, par exemple Google qui a conclu un partenariat avec Citi qui proposera en 2020 des comptes courants int&eacute;gr&eacute;s &agrave; Google Pay. Autre enjeu important dans les paiements, le futur des paiements instantan&eacute;s, qui b&eacute;n&eacute;ficie de l&rsquo;infrastructure mise en place par la BCE. L&rsquo;utilisation massive aux points de vente est un enjeu strat&eacute;gique pour l&rsquo;Europe pour s&rsquo;imposer vis-&agrave;-vis des g&eacute;ants am&eacute;ricains Visa et Mastercard. Que pensez-vous de la prise en compte de la dimension ESG dans les nouveaux risques auxquels font face les banques ? Le risque climatique est d&eacute;sormais consid&eacute;r&eacute; comme ayant une dimension syst&eacute;mique susceptible d&rsquo;affecter la stabilit&eacute; financi&egrave;re. Les banques europ&eacute;ennes ont pour la plupart annonc&eacute; des strat&eacute;gies dans le domaine environnemental qui r&eacute;pondent aux attentes du march&eacute; i. e. des investisseurs. La prise en compte du risque climatique par le superviseur n&rsquo;est pas encore pleinement int&eacute;gr&eacute;e dans l&rsquo;appr&eacute;ciation des risques. Il est question d&rsquo;int&eacute;grer dans les mod&egrave;les de risques un facteur vert ( green factor ), mais ce sujet fait d&eacute;bat. Mais pour l&rsquo;heure la communaut&eacute; des superviseurs bancaires est r&eacute;tive &agrave; l&rsquo;id&eacute;e que le mod&egrave;le b&acirc;lois soit &laquo; pollu&eacute; &raquo; par d&rsquo;autres consid&eacute;rations que le risque de d&eacute;faut et les pertes en cas de d&eacute;faut. Cette position n&rsquo;exclut pas que le risque environnemental soit appr&eacute;hend&eacute; dans le contexte de stress-test , du pilier 2 (Solvabilit&eacute; 2, CRR) mais ce qui requiert une doctrine que les autorit&eacute;s prudentielles europ&eacute;ennes, EBA, EIOPA, sont charg&eacute;es d&rsquo;entreprendre dans leurs domaines de comp&eacute;tences.

RECHERCHEZ UN ARTICLE, UNE CHRONIQUE, PARMI L'ENSEMBLE DES PUBLICATIONS

RECHERCHEZ UN AUTEUR

Archive

Secteur bancaire : les priorités pour 2020

Entre réglementation, rentabilité, digitalisation et finance verte, Alain Laurin revient sur quelques-uns des grands dossiers auxquels est confronté le secteur bancaire européen en général, et français en particulier.

À retrouver dans la revue

Dette et déficit publics : comment éviter le précipice

Capital-investissement

« Plus de 35 milliards d’euros seront investis dans les fonds labellisés non cotés »

Politique monétaire

Les banques centrales commencent leur pivot monétaire

Blockchain/Cryptoactifs

Ne parlons plus de security token !

Archive

Panorama réglementaire des actifs numériques

Archive

Sberbank : une valeur anéantie à zéro en fonds de portefeuille

Archive

La transformation repose sur des directions responsables et des équipes pluridisciplinaires

Suivez-nous