II. LA PROTECTION UNILATÉRALE IMPÉRATIVE, ET LOCALE, DE LA CONFIDENCE
1. Pour s’opposer à une injonction, le banquier doit pouvoir faire valoir des considérations d’intérêt public décisives. L’intérêt privé ne suffit pas à lui seul, s’il n’est pas conforté par l’intérêt public. La plupart des juridictions qui prononcent des injonctions sont soumises à des législations qui admettent que l’on peut se délier de l’injonction en avançant un motif particulièrement légitime. La confidentialité de la relation bancaire est assez généralement admise au Royaume-Uni. Il n’en va pas de même aux États-Unis, où le secret n’est reconnu qu’au profit des consommateurs personnes physiques (v. supra, n° 2). La confidentialité y demeure certes un devoir, mais qui doit être combiné avec d’autres devoirs ou avec d’autres exigences, comme le concours à la manifestation de la vérité. Dans ce souci de conciliation, les juridictions américaines utilisent souvent le test de la balance des intérêts. Plus la sanction de la violation de secret bancaire est menaçante dans l’État où doit avoir lieu la divulgation, plus la balance jouera en faveur du secret. De ce point de vue, le droit de l’État requis doit être non seulement impératif et unilatéral. Mais il doit aussi être pratiqué comme tel.
2. En droit français, on peut estimer que la protection du secret bancaire est une loi de police. Mais d’autres législations contribuent également à la protection impérative de la confidentialité bancaire, chacune avec son propre champ d’application. On doit citer ici la législation relative à la protection des données personnelles, ou encore la loi dite de « blocage ». Invoquer ces lois impératives ne suffit pourtant pas toujours à convaincre (1.). Certains juges veulent avoir des certitudes concrètes sur la manière avec laquelle elles sont appliquées en France. L’analyse risque alors de devenir statistique, ce qui est peu compatible avec le rôle du juge. Dans tous les États, l’office du juge est de résoudre les cas qui lui sont déférés, et non de quantifier un pourcentage de risque auquel il décidera le cas échéant d’exposer le justiciable (2.).
1. L’opposabilité juridique effective du secret bancaire français
3. Plusieurs législations impératives de fond peuvent concourir à protéger le secret bancaire français (a.), il ne faut pas sous-estimer le rôle des règles de procédure (b.).
a. Les législations de fond protectrices du secret
4. On songe bien entendu en premier lieu aux règles spécifiques contenues dans l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier. Ces dispositions ont toute l’apparence de la loi de police (1°). Il n’est pas inutile d’ajouter à ce propos que la violation de l’article L. 511- 33 du Code monétaire et financier peut également être sanctionnée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) (2°). D’autres dispositions ont un champ d’application différent, mais recoupent en partie le secret bancaire. Il s’agit des textes relatifs à la circulation des données personnelles. Mais ces dispositions légales ne protègent cependant que les particuliers (3°). C’est en raison de la difficulté de concevoir une législation véritablement générale que le législateur français, comme d’autres législateurs européens, a recouru à la technique radicale des lois dites de blocage (4°).
1°) L’article L. 511-33, loi de police
5. Avancer que la protection du secret bancaire est une loi de police (i) semble plus aisé que de tracer clairement le périmètre de la protection offerte (ii). La difficulté qu’il y a à délimiter matériellement le secret bancaire est ancienne, mais elle fragilise le dispositif français.
i) 6. La reconnaissance du secret bancaire comme loi de police, qui, à ce titre, oblige tous ceux qui habitent le territoire (article 3 du Code civil), est sans aucun de nature à donner doute un solide fondement juridique au cloisonnement territorial du secret à l’intérieur d’une même entité juridique. Mais une interrogation vient à l’esprit. Peut-on parler de loi de police en droit français si la loi relative au secret bancaire permet au client d’y déroger ? Une loi de police est celle qui est « cruciale » pour un pays, et la notion est plus restrictive que celle de loi à laquelle on ne peut déroger par un accord des parties (v. par ex. le 17 considérant du Règlement Rome I, et son article 9).
7. Il faut cependant admettre que la possibilité individuelle de dérogation n’empêche pas la qualification de loi de police. Si le client peut sans doute délier le banquier de son obligation au secret, le banquier ne peut absolument pas s’en délier lui-même. Et s’il s’en délie malgré tout, il risque la sanction pénale. La sanction pénale signale en effet la loi de police, non pas tant par elle-même (il y a trop de sanctions pénales en France), mais plutôt par sa territorialité incontestable, et surtout par l’obligation au secret qui s’impose quel que soit le résultat de la règle de conflit de
ii) 8. La reconnaissance de l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier comme loi de police ne règle cependant pas toutes les difficultés. Les frontières ultimes du secret bancaire protégé demeurent parfois incertaines, et cela affaiblit le dispositif
2°) Le contrôle administratif du respect du secret bancaire
9. Le risque de sanctions administratives prononcées par l’ACPR fait sans doute naître une menace plus précise et plus redoutable (car immédiate) que celle de la sanction pénale. L’ACPR a précisé son rôle, et la menace, dans ses « lignes directrices relatives aux échanges d’informations au sein d’un groupe et hors groupe », de mars 2011, l’ACPR rappelle que « cette communication n’est possible que si les conditions dans le pays autre que la France connaît des règles équivalentes » en matière du secret professionnel. On ne peut pas dire que l’équivalence se vérifie sur les deux rives de l’Atlantique. Cela conduit à une remarque plus générale : si l’on veut conserver l’existence et l’efficacité du secret bancaire français, il faut diversifier les législations spéciales, et de police.
3°) La protection des données personnelles
10. Cette protection, prévue au niveau européen avec la directive 98/46 du 24 juin 1998 modifiée, ainsi que par les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, vise à protéger la vie privée des particuliers. Cette législation européenne, ainsi que les législations nationales qui la mettent en œuvre, touche à l’évidence à des valeurs fondamentales. Elles sont « cruciales », au sens du Règlement Rome I et constituent des lois de police. Puisqu’elles ne protègent que les particuliers, ces législations ne concernent pas les secrets bancaires des entreprises. La protection des données personnelles ne fait que concourir en partie à la protection du secret bancaire en
11. Néanmoins, aujourd’hui (en 2015) les législations européennes et française relatives à la protection des données font barrage aux tentatives de violation du secret bancaire au profit des particuliers. En effet, le transfert de données d’un État européen comme la France vers un État non européen comme les États-Unis suppose que ce dernier État respecte les standards européens, et offre un degré de protection équivalent à celui que connaît l’Union
4°) Les lois de « blocage »
12. La difficulté qu’il peut y avoir à cerner le contour de la loi de police face à un juge non européen, la différence des domaines d’application entre les lois relatives au secret bancaire et celles qui sont relatives à la protection des données personnelles expliquent que certains législateurs, dont le législateur français, ont recouru à une solution radicale. On vise ici les lois dites de « blocage ». La raison historique de ces lois, votées notamment en France, en Suisse, ou en Grande-Bretagne, était déjà une méfiance certaine à l’égard de certaines injonctions judiciaires américaines. Ces lois de blocage permettent, en effet de conforter directement le secret bancaire, en l’intégrant dans un système qui le recouvre et le dépasse. La France a été un précurseur en ce domaine, avec la loi du 26 juillet 1968 modifiée le 16 juillet 1980. Cette année-là, la Suisse et la Grande Bretagne firent de même. La loi française interdit, sous réserve d’accords internationaux, la communication de « documents ou renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier, ou technique, tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères, ou dans le cadre de celles-ci ».
13. Bien plus, dès lors qu’un résident français se voit notifier une telle demande ou une telle injonction, il doit sans délai informer le Ministre compétent. Les prescriptions des articles précitées sont assorties de sanctions pénales spéciales, distinctes de celles qui garantissent le respect du secret bancaire. La saisine du Ministre, et non du juge, puis la possible sanction pénale postérieure révèlent la loi de police.
14. La loi française sanctionne effectivement et pénalement le fait de respecter une injonction émanant d’un juge américain, qui aurait pour but d’obtenir d’un banquier français la communication de toutes pièces, documents, informations. Peu importe ici que les documents ou informations soient couverts par le secret bancaire. L’incrimination est générale, absolue, d’ordre public, et pénale. Ce genre de législations doit être pris en considération par le juge américain lorsqu’il procède à la balance des intérêts. Pourtant cette loi a fait l’objet de peu d’applications
b. La réception procédurale internationale des injonctions
15. Il faut ici distinguer si l’injonction émane d’un juge britannique ou d’un juge américain.
16. Si l’injonction émane d’un juge britannique, le règlement « Bruxelles 1 bis » 1215/2012 du 12 décembre 2012 sera applicable. La procédure simplifiée prévue par ce règlement devra être suivie, mais la contrariété manifeste à l’ordre public de l’État membre requis empêche la
17. Les difficultés se rencontrent surtout à propos des injonctions américaines. Les États-Unis et la France sont signataire de la Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale. Cette convention oblige en principe les juges des États contractants, dont les États-Unis, à émettre une commission rogatoire internationale, qui doit respecter certaines conditions de forme, et qui doit être exécutable selon les formes requises dans l’État d’exécution. Une dispense d’exécution peut être justifiée par une interdiction de déposer ou de témoigner, en vigueur dans l’État requis (article 11). Les tribunaux des États-Unis manifestent une certaine réticence à respecter cette convention. La Cour Suprême a en effet décidé que le respect de cette convention par les juridictions américaines n’était pas impératif, mais simplement «
2. La non-pertinence juridique de la mesure statistique du risque
18. Si le secret bancaire français est sans doute une disposition cruciale dans l’ordre juridique national, il n’empêche que le nombre de décisions judiciaires demeure faible, et que les sanctions pénales sont rares. Finalement, le risque le plus prévisible en cas de violation est une action du client au civil, à la condition qu’il ait un réel préjudice à faire valoir. Une des raisons de la modestie de la jurisprudence tient sans aucun doute au respect que les banques françaises attachent à leur obligation au secret. On observe ainsi que la plupart des décisions sont intervenues dans des situations où le banquier refusait à bon droit de divulguer, et non dans des situations où il avait divulgué à tort. Cela n’a pas échappé à certains juges américains, qui, dans le cadre de l’établissement de la balance des intérêts en présence, ont cherché à évaluer statistiquement le risque réel de sanction pénale. Évidemment, le risque est faible en France, et la balance des intérêts risque alors de pencher vers une obligation de divulgation.
19. Cette façon d’appréhender la balance des intérêts témoigne cependant d’un glissement dangereux dans le raisonnement. Un juge doit apporter une solution dans le cas unique qui lui est soumis. Là est son office. C’est pour cela que les arguments qui sont débattus devant lui doivent correspondre au seul cas qui lui est déféré. Chaque obligation de divulgation ordonnée au mépris du secret bancaire français fait naître un risque de poursuites, pénales en particulier. Le juge qui prononce l’injonction ne peut présumer l’attitude vindicative ou pacifique de celui qui aura été victime de la violation. Le risque naît dès le prononcé de l’injonction. Et si le risque se concrétise par une action en justice, la sanction frappera à 100 % le banquier, même si, globalement, il y a peu de litiges. Cela montre le caractère pernicieux du raisonnement statistique.
20. En conclusion, la protection du secret bancaire français semble encore assurée en droit. La constance du législateur et de la jurisprudence donne un solide fondement à l’invocation du secret pour s’opposer de façon pertinente à une injonction qui aurait pour résultat d’obliger une banque à violer la confiance mise en elle par ses clients. Mais on perçoit aujourd’hui – en 2015 – de nouvelles menaces. Il ne s’agit pas seulement de l’incompréhension – feinte ou non – de certains juges d’outre Atlantique. Il s’agit aussi d’un mouvement plus général. Le secret bancaire international s’efface au profit des administrations fiscales de l’