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Bail-in

« Renforcer la discipline de marché sans tomber dans le piège du fondamentalisme »

Créé le

21.03.2017

-

Mis à jour le

08.04.2019

Le bail-in contribue à couper le lien entre les banques et les États et instaure une discipline de marché. Les efforts reposent sur les investisseurs mais aussi sur les banques elles-mêmes.

Avec BRRD, un effort nouveau est demandé aux investisseurs. Quels sont les efforts demandés aux banques elles-mêmes ?

Il y a potentiellement un impact financier, sous la forme d’un accès au capital plus difficile pour les banques. Toutefois, pour les banques correctement capitalisées, ce différentiel de coût n’est pas évident, car les investisseurs perçoivent les bénéfices que procure un bon cadre de résolution en termes de stabilité financière. Les banques américaines ont toujours été sous la menace du bail-in (faillite de Lehman Brothers ou encore de Washington Mutual en 2008), mais ceci ne semble pas leur avoir créé des difficultés d’accès au capital, comparées aux banques européennes qui avaient une promesse implicite de bail-out, car le système américain est considéré comme relativement prévisible avec une probabilité de défaut raisonnablement basse et une supervision raisonnablement efficace.

Les banques européennes ont-elles vu leurs coûts de financement augmenter depuis l’entrée en vigueur de BRRD [1] ?

Il est difficile de distinguer ce qui relève de BRRD et d’autres déterminants du coût de financement des banques. Dans tous les cas, c’est un problème de transition. Toutes les banques doivent être correctement capitalisées. La mise à niveau des banques européennes dans ce domaine demeure inachevée – je pense par exemple à HSH Nordbank en Allemagne, ou à plusieurs banques italiennes. Mais la BCE y travaille ! Quant aux banques bien capitalisées, il ne me semble pas que l’entrée en vigueur de BRRD ait négativement affecté leurs coûts de financement.

Les ratios MREL et TLAC constituent-ils eux aussi un effort demandé aux banques ?

Bien sûr, c’est une obligation réglementaire à laquelle elles doivent se conformer. Cette obligation me paraît dans l’ensemble justifiée par l’expérience de la crise financière depuis 2007.

Quand les ratios TLAC et MREL seront respectés, le bail-in des actifs entrant dans ces ratios suffira-t-il à atteindre le seuil des 8 % du bilan à partir duquel une intervention du FRU devient possible ?

Non, cela n’est pas certain. Tout dépend de la nature des pertes et des mesures comptables. Les 8 % s’appliquent à un total qui peut changer dans le courant d’une crise. Il y aura toujours des imperfections dans les outils de mesure. Seule l’expérience concrète des crises bancaires futures permettra de répondre à cette question.

Peut-on considérer que le fait de demander aux banques de concevoir des plans de rétablissement ou de redressement constitue pour elles un effort ?

Cet effort est nécessaire dès lors que le cadre de référence des politiques publiques intègre l’idée que les banques peuvent faire faillite. Avant 2007, le risque de faillite bancaire n’était pas explicité ; dans des pays comme la France la doctrine officielle suggérait que les banques ne font jamais faillite. La crise a démontré que toute banque peut devenir fragile, et que si on ne s’y prépare pas à l’avance, la seule solution est le renflouement intégral aux frais du gouvernement.

Le sort de l’équipe dirigeante de la banque est-il plus sévère en cas de résolution ou en cas de bail-out ?

Il n’y a pas à mon avis de réponse générale à cette question, mais seulement des cas particuliers. Quand les États européens sont venus à la rescousse de banques en détresse en 2007-2008, les dirigeants ont bien souvent été remerciés et remplacés. Mais où commence la notion de bail-out ? Par exemple, en cas d’aide d’État, il n’y a pas forcément de conditions posées sur le management. Selon la gravité de la situation de la banque, et la part de responsabilité du management, celui-ci est remplacé ou pas. Dans de rares cas, les dirigeants sont restés en place même après un renflouement public de banques insolvables, comme en Grèce en 2012 où la Troïka a souhaité conserver le management, estimant que toute la responsabilité incombait à l’État grec. Mais ce jugement a été révisé dans les étapes plus récentes de la saga grecque.

Comment analysez-vous le traitement de la banque Monte dei Paschi di Sienna (MPS) en Italie ?

Il semble qu’un bail-in va être réalisé sur une partie de la dette subordonnée de MPS, mais nous n’avons pas encore tous les détails du plan [2] . D’après les informations distillées par les médias, le diagnostic de la BCE semble établir que MPS n’est pas « failing or likely to fail », notion qui constitue le critère pour déclencher la résolution (ce qui impliquerait un bail-in sur la dette senior). Toujours selon les médias, le Conseil de résolution unique (single resolution board) partagerait cette analyse de la BCE.

Si ce jugement est confirmé, il est probable qu’il y aura une recapitalisation de précaution, en conformité avec BRRD, avec des conditions imposées par la Commission européenne puisque cette recapitalisation constituera une aide d’État. La seule chose acquise pour le moment est le fonds de 20 milliards d’euros créé par le gouvernement italien pour faire face à cette éventuelle recapitalisation.

Jean Peyrelevade a pris la parole dans la presse [3] pour critiquer l’idée même de bail-in. Il estime que les banques ne sont pas des entreprises comme les autres. Qu’en pensez-vous ?

C’est aussi ce que disent certains Italiens. Ce débat est également sous-jacent en Allemagne où existe un système complexe et peu transparent de garanties mutuelles des banques au travers de systèmes de protection institutionnels (institutional protection schemes). La discipline de marché induite par le bail-in est difficile à accepter, surtout pour ceux qui sont susceptibles d’encourir des pertes. Jean Peyrelevade a l’expérience du bail-out, dont la justification est de prendre de court le risque d’instabilité financière. Mais le bail-out crée également des incitations perverses pour les banques, et de l’aléa moral [4] pour le système dans son ensemble.

Le mécanisme de l’aléa moral a-t-il été démontré ?

Il y a toujours beaucoup de débats sur cette question, mais il y a également une réalité qui est que les contribuables ne veulent plus payer pour les erreurs des banquiers. Un système dans lequel les risques bancaires sont explicitement et intégralement garantis par l’argent public n’est pas soutenable.

Les sauvetages de banques par de l’argent public ne sont-ils pas, parfois, de bonnes affaires pour l’État ?

Parfois, oui. C’est pourquoi le principe de primauté du bail-in ne doit pas s’appliquer aveuglément et en toutes circonstances. Quand une crise est très systémique, le bail-in maximaliste n’est pas forcément la meilleure réponse, comme l’a illustré à mon avis l’expérience chypriote. Mais l’idée qu’il faut toujours recourir à l’argent public et rembourser intégralement tous les créanciers y compris les plus subordonnés me semble indéfendable, même si je soutiens qu’il faut une capacité d’action financière pour la puissance publique. Les meilleures options, à mon avis, se trouvent entre ces deux postures extrêmes. Par exemple, en Italie, le bail-in pratiqué sur les banques en difficulté a été jusqu’à présent très modéré : seules les obligations subordonnées ont été touchées et les épargnants qui ont été victimes de ventes abusives sont remboursés. L’approche actuelle des autorités européennes, consistant à renforcer la discipline de marché sans tomber dans le piège du fondamentalisme, me semble raisonnable.

L’injection très rapide d’argent public n’est-elle pas le moyen le plus efficace pour redresser une banque ?

La rapidité de l’intervention est toujours essentielle au succès d’un sauvetage mais c’est une question différente de celle de la nature des fonds. Un bail-in peut aller très vite, il n’est pas synonyme de délais. On a aussi vu des cas où la recapitalisation a été financée intégralement par l’État mais est arrivée beaucoup trop tard. L’État a toujours du mal à admettre qu’il fait face à une crise bancaire. Les bail-out ne sont pas synonymes de rapidité.

Les banques moins bien capitalisées, se financeraient plus facilement dans un système où règne le bail-out

Si c’est le cas, c’est très pervers car ces banques restent mal capitalisées, ce qui augmente le risque de crises bancaires !

Dans quelles circonstances est-il justifié de procéder à l’injection d’argent public ?

La législation européenne actuellement applicable, y compris BRRD, me semble suffisamment flexible pour que les autorités soient à même de trouver le bon équilibre. Mais dans la logique de l’union bancaire, à l’intérieur de la zone euro l’argent public en question devrait être européen et non national. Les conditions actuellement en vigueur pour l’intervention du Mécanisme européen de stabilité (MES) en recapitalisation directe des banques sont beaucoup trop drastiques. Le MES devrait être autorisé à intervenir dans des cas de recapitalisation de précaution, comme ce qui se dessine pour MPS, plutôt que l’État italien. Cela éviterait aussi la politisation de la banque après son passage sous contrôle public, et permettrait d’obtenir une meilleure gestion des actifs correspondants. L’objectif de l’Union bancaire est, rappelons-le, de couper les liens financiers entre banques et États membres. Malheureusement, une telle mutualisation financière ne fait pas encore consensus entre les États membres.

De l’argent public peut également être injecté à partir des lignes de crédit dont bénéficie le Fonds de résolution unique (FRU)…

Contrairement à ce que son nom indique, le FRU n’est pas « unique » en réalité : il comporte des compartiments nationaux et un compartiment mutualisé. Des lignes de crédit ont été ouvertes par les États, sur les compartiments nationaux. La mutualisation est envisagée à l’horizon 2024, mais dans l’intervalle le FRU perpétue le couplage financier entre banques et États.

 

1 La mise en place progressive du régime de la Résolution s’est achevée le 1er janvier 2016.
2 Propos recueillis le 13 mars.
3 Chronique dans Les Échos du 5 décembre 2016 ;  dans ce même dossier, interview de Jean Peyrelevade « L’injection d’argent public dans une banque en difficulté est justifiée ».
4 Principe selon lequel les acteurs économiques prennent plus de risques lorsque ces risques font l’objet d’une assurance.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº807
Notes :
1 La mise en place progressive du régime de la Résolution s’est achevée le 1er janvier 2016.
2 Propos recueillis le 13 mars.
3 Chronique dans Les Échos du 5 décembre 2016 ;  dans ce même dossier, interview de Jean Peyrelevade « L’injection d’argent public dans une banque en difficulté est justifiée ».
4 Principe selon lequel les acteurs économiques prennent plus de risques lorsque ces risques font l’objet d’une assurance.