Faute d’accord politique, l’achèvement de l’Union économique et monétaire (UEM) piétine. Un point d’étape s’impose sur les différents projets qui n’aboutissent pas ou sont édulcorés au moment de leur adoption. Certaines pistes permettraient de continuer d’avancer vers le renforcement de la zone euro tout en tenant compte du contexte économique et écologique.
Un Pacte vert, l’adaptation à l’ère numérique et une économie proche des personnes, telles sont les priorités de la nouvelle Commission. Sur le volet économique de ce triptyque, outre la menace actuelle de stagnation, les dirigeants européens sont confrontés à deux défis cruciaux pour la zone euro. Comment faire converger des économies qui aujourd’hui subissent une fracture inquiétante ? Par quels moyens renforcer l’efficacité de la gouvernance et la cohésion interne de la zone euro ?
Après une grande vague de réformes, entre 2010 et 2013, suivie de projets de renforcement de l’Union économique et monétaire (UEM), on assiste, depuis les avancées décisives de l’Union bancaire de 2013, à un relatif enlisement du processus de consolidation de l’euro. Des tensions se manifestent en effet entre les responsables des États membres : les uns sont crispés sur la notion de responsabilité, tandis que les autres mettent en avant la solidarité. Avec lenteur, un cadre qui combine ces deux termes se met en place.
La Commission a déposé sur la table des dirigeants, en décembre 2017 et en mai 2018, un « paquet » de propositions pour l’achèvement de l’UEM, suivi par une plate-forme franco-allemande. Ces programmes ont donné lieu à quelques progrès. Pour évaluer la situation présente et déterminer le chemin restant à parcourir pour doter l’euro d’une meilleure assise, nous envisagerons d’abord la conjoncture économique de la zone euro, très contrastée selon les pays. Il s’agira ensuite d’examiner les propositions de réforme de l’UEM. Enfin, on proposera une feuille de route pour la nouvelle équipe dirigeante visant, avec la conduite à bonne fin des dossiers en cours, à l’achèvement de l’euro selon deux axes : l’Union financière et la construction d’un Trésor. Ceci devrait s’accompagner d’une mesure choc, le triplement du Plan d’investissement, pour relancer l’économie.
I. Un état des lieux de la zone euro
1. Les économies de la zone euro restent affaiblies et divergentes, alors que la reprise s’essouffle
Il a fallu attendre 2014 pour que la zone euro rejoigne son niveau de production de 2007, avant la crise, tandis que les États-Unis franchissaient ce cap dès 2011. Désormais, entre 2015 et 2018, la production de la zone euro progresse d’environ 2 % par an mais, en 2018, elle ne dépassait que de 8 points son niveau de 2007, contre 18 points aux États-Unis [1]. Le potentiel de croissance de la zone euro a été divisé par trois après la crise (période 2009-2013), pour se relever à partir de 2015, sans rejoindre le niveau de la période 1999-2008 [2]. Il s’agit donc de la reprise fragile d’une économie affaiblie.
Des divergences nationales accentuées
Si nous considérons huit des principales économies de la zone euro en 2018, celles-ci font apparaître de fortes disparités [3]. D’un côté, les « pays du Nord » (Allemagne, Pays-Bas, Autriche) :
D’un autre côté, les quatre grands pays du Sud (Italie, Espagne, Portugal et Grèce) :
Entre ces deux groupes, la France se situe, en 2018, dans une position moyenne du point de vue de sa production (+ 9 points par rapport à 2007), mais ses autres indicateurs restent médiocres :
Des risques financiers persistants
Dix ans après la crise de 2008, les fragilités financières (incluant le secteur bancaire parallèle) restent importantes dans la zone euro [5].
Du côté des banques, l’on constate :
2. Faute d’accord politique, la réforme piétine
Rappelons qu’un intense travail législatif, opéré dans l’urgence de la crise, entre 2010 et 2013, a doté l’UEM d’une large gamme d’instruments d’intervention. Ce dispositif, toutefois, souffre de défauts importants. Dès 2012, un projet d’achèvement de l’UEM a donc été formulé [8], comprenant entre autres l’Union bancaire et ses trois piliers : la supervision et la résolution uniques, ainsi que la garantie européenne des dépôts. Ce programme a été suivi de plusieurs propositions d’ensemble [9].
En dépit de l’abondance des propositions, force est de constater que depuis la mise en place de pièces maîtresses de l’Union bancaire – le Mécanisme de supervision unique et le Mécanisme de résolution unique – en 2013, aucune avancée majeure ne s’est produite. Si le renforcement du pilier bancaire de l’UEM est bien avancé, malgré des carences notables, le pôle économique et budgétaire, sous la responsabilité des instances intergouvernementales Eurogroupe et Ecofin [10], s’avère incapable de mettre en œuvre les nouvelles procédures de gouvernance pour assurer la convergence des économies [11] et le rétablissement des comptes publics [12]. On peut donc parler d’un véritable enlisement de la réforme de l’UEM.
Solidarité contre responsabilité
Le « sur-place » des réformes provient d’une opposition entre deux conceptions des avancées souhaitables au sein de l’UEM [13]. La France et l’Italie, avec d’autres, plaident pour des mécanismes de partage des risques et un renforcement de la gouvernance. Parfois moquée et taxée de « big-bang », cette vision est contestée par l’autre partie. Pour l’Allemagne et les Pays-Bas, en effet, les problèmes de la zone euro viennent de politiques nationales inadéquates. Par conséquent, de ce point de vue, une meilleure discipline budgétaire et des réformes structurelles nationales constituent le préalable à des avancées dans l’architecture de la zone euro.
Le Brexit clôt l’hypothèse d’une Europe à deux vitesses
Le départ annoncé du Royaume-Uni modifiera les équilibres internes de l’Union : plus des trois-quarts de la population de l’UE et 86 % de sa production (contre respectivement les deux tiers et les trois-quarts auparavant) appartiendront alors à la zone euro [14]. Après le Brexit, s’il se réalise, tous les pays hors zone euro (au nombre de huit) resteront plus ou moins étroitement liés à la monnaie unique [15]. Le Brexit referme ainsi la porte d’une Europe à deux étages ; la zone euro et l’UE ont désormais vocation à faire coïncider leurs institutions.
L'architecture de la zone euro et ses déséquilibres internes
D’un côté, le pôle économique est certes réformé, mais se montre, de par sa faiblesse décisionnelle, inapte à créer une dynamique de redressement et de convergence. Si cette question n’est pas résolue, les probabilités d’éclatement ne sont que trop réelles. D’un autre côté, le pôle monétaire et financier est solide, mais incomplet. La santé du système financier doit être rétablie et l’intégration des marchés bancaires et financiers du continent reste largement à réaliser. Dans cet environnement, les responsables économiques tendent à se décharger sur la BCE, qui porte un fardeau trop lourd. Celle-ci est en effet conduite à pallier leurs insuffisances par des mesures non conventionnelles massives, sans doute jamais enregistrées dans l’histoire. Ces interventions recèlent de redoutables effets pervers, en termes de risques financiers. Sans expérience de la politique monétaire, non plus que son vice-Président, Christine Lagarde, à la tête de la BCE, aura besoin de toute sa sagacité pour repérer les bons conseillers et de toute sa force de persuasion pour prendre les bonnes décisions en cas de crise financière. Une telle situation, en effet, mettrait à nu l’épuisement des marges de manœuvre de la BCE, après des années de politique accommodante, et exacerberait les clivages au sein du Conseil des gouverneurs.
II. Les propositions de réforme de la zone euro
Parmi les propositions de réforme de l’Union économique et monétaire (UEM), nous retiendrons le programme global formulé en 2017 par la Commission, conformément à son rôle, ainsi que l’accord franco-allemand de Meseberg [16].
1. Le « paquet » de la Commission pour l’achèvement de l’euro
Les propositions de la Commission, faites en 2017 [17], se concentrent sur les actions à mener rapidement, sans changement des Traités, avant les élections européennes de la mi-2019, tandis qu’une phase plus lointaine (2019-2025) est évoquée, supposant, elle, certaines modifications dans les Traités.
Lors de la première phase, les actions à conduire seraient les suivantes : la transformation du MES en FME, la mise en place d’un ministre de l’Économie et des Finances et l’achèvement de l’Union bancaire.
Un Fonds monétaire européen (FME)
La transformation du Mécanisme européen de stabilité (MES) en Fonds monétaire européen (FME) se ferait en conservant les mêmes structures. Établi en 2012 par un traité intergouvernemental, le MES, arme anticrise de la zone euro, serait intégré au droit de l’Union (parallèlement au « Traité budgétaire » [18]) et transformé en FME, ce qui en assurerait un fonctionnement plus démocratique, ses décisions étant soumises au Conseil. Outre la reprise des fonctions d’origine du MES, le FME se verrait confier de nouvelles tâches [19] :
L’instauration d’un ministre de l’Économie et des Finances
Selon un schéma déjà en place pour les Affaires étrangères, une fonction de Ministre serait créée par simple fusion des fonctions de vice-président de la Commission en charge de l’euro et de Président de l’Eurogroupe [22]. Le Ministre cumulerait ainsi :
La Commission prévoit aussi, dans le cadre du budget post-2020 [23], deux instruments budgétaires pour appuyer les réformes structurelles nationales :
L’achèvement de l’Union bancaire
Enfin, l’Union bancaire, bien avancée depuis 2012, devrait être achevée avec [24] :
Une seconde phase plus ambitieuse
La deuxième phase sur l’achèvement de l’UEM (2019-2025) comprendrait trois axes [28] :
2. L’accord franco-allemand de Meseberg
Marquées par une franche opposition de style (oriflamme de la refondation de l’Europe brandie à Paris, prise de position tardive mais précise et technique à Berlin), les approches respectives des réformes à mener pour la zone euro font cependant apparaître de larges domaines d’accord, exprimés dans la déclaration commune de Meseberg, le 19 juin 2018.
Le principe d’un budget de la zone euro débutant en 2021 est arrêté. Sa fonction consisterait à promouvoir la compétitivité, la convergence et la stabilisation de la zone euro. Il pourrait financer de nouveaux investissements. Les ressources de ce budget, dont la taille resterait modeste, incluraient des fonds européens, des contributions des États et des recettes fiscales affectées. Le principe d’un fonds européen de stabilisation de l’assurance chômage serait examiné.
Le Mécanisme européen de stabilité (MES) serait révisé et intégré dans le droit de l’UE, peut-être en 2019 [31]. Il jouerait bien un rôle de filet de sécurité du FRU, et cela avant même 2024, si la réduction des risques bancaires est jugée suffisante.
Quant à l’Union bancaire, le Système européen de garantie des dépôts (SEGD) reste bloqué par le côté allemand qui pose la réduction des risques financiers comme condition préalable à toute avancée. Un accord franco-allemand, suivi d’une approbation du Conseil Ecofin a porté sur un train de mesures pour réduire les risques [32].
Un rapprochement fiscal est prévu pour contrer l’optimisation fiscale agressive de certains grands groupes transeuropéens.
On constate une convergence entre l’accord franco-allemand et les propositions de la Commission sur trois grandes questions : le budget de la zone euro, la transformation du MES et l’Union bancaire, hormis la garantie des dépôts, (SEGD). En revanche, l’intégration du Traité budgétaire au droit de l’Union et l’instauration d’un ministre de la Zone euro sont absents de la déclaration franco-allemande.
Quelques mois auparavant, huit pays du nord de l’UE [33] avaient publié une déclaration commune où, tout en souscrivant à certaines des propositions du « Paquet » de décembre 2017 de la Commission, ils avaient sèchement appelé chacun à la discipline et refusé l’idée d’un budget commun.
III. Une feuille de route pour la nouvelle législature
La nouvelle Présidente inscrit dans la structure de la prochaine Commission ses trois priorités : la protection de l’environnement, la promotion des techniques digitales et l’économie au service des personnes, chacune étant affectée à une vice-présidence « exécutive ». Dans le domaine économique, le renforcement de l’euro paraît capital.
La nouvelle Commission doit, en conséquence, d’abord approfondir les dossiers de l’UEM en cours. Il s’agit ensuite de définir à moyen terme un programme pour l’approfondissement de l’euro. Celui-ci devrait être nettement plus ambitieux que les mesures affichées dans le projet d’Ursula von der Leyen [34], et devrait s’inscrire selon deux axes, l’Union financière et la construction progressive d’un Trésor de la zone euro. Ces réformes ne peuvent être menées sans une adhésion politique reposant sur le retour d’une croissance stable. Il faut donc une mesure énergique : le triplement du Plan d’investissement européen, qui est un plan vert et digital tout à la fois.
1. Approfondir les réformes en cours
La Commission doit tout d’abord élargir la timide amorce de budget de la zone euro. En juin dernier, l’Eurogroupe est parvenu à un accord sur les grandes lignes d’un Instrument budgétaire pour la compétitivité et la convergence (IBCC), figurant dans le budget européen et principalement destiné à la zone euro [35]. Cette mesure reprend une proposition effectuée par la Commission dans le cadre du budget 2021-2027, le programme d’appui aux réformes structurelles. Face à cet outil de taille modeste [36], une large partie de l’Eurogroupe plaide déjà pour un élargissement des sources de revenus de cet instrument, au-delà du budget de l’UE [37].
Renforcer l’embryon de budget
L’IBCC laisse entièrement de côté la proposition d’un budget de stabilisation qui répondrait à un besoin essentiel de la zone euro, résultant des contraintes mêmes de la monnaie unique. Les besoins d’ajustement des pays de la zone, en effet, ne pouvant plus s’opérer par le maniement du taux de change, les États membres doivent pouvoir compter sur un budget commun pour amortir les chocs dits « asymétriques ».
La nouvelle équipe dirigeante devrait donc faire de l’outil de stabilisation proposé par la Commission en 2017-2018, la première pierre d’un véritable budget de la zone euro, selon une vision progressive où l’intervention du budget européen serait ensuite complétée par celle du MES, puis par un mécanisme d’assurance fonctionnant soit sur des ressources spécifiques (taxe écologique, assurance chômage), soit sur des contributions des États membres.
En dépit de ses limites, l’IBCC a pour mérite d’ancrer fermement la zone euro dans le budget de l’UE, ce qui signe, à l’occasion du Brexit, l’abandon de l’idée d’une Europe où la zone euro aurait disposé de ses propres institutions.
Achever la révision du Mécanisme européen de stabilité (MES)
L’accord de l’Eurogroupe de juin 2019 sur la révision du Traité instituant le MES, porte sur un élargissement de son rôle, comprenant :
À l’avenir, le rôle du MES comme filet de sécurité du Fonds de résolution unique (FRU) pourrait être, à notre avis, élargi et consolidé. D’une part, son soutien devrait, logiquement, englober le Système européen de garantie des dépôts, encore à mettre en place. D’autre part, le MES, a priori plafonné à 60 milliards d’euros dans ses interventions dans cette fonction [39], devrait à son tour être adossé à un véritable prêteur en dernier ressort. Celui-ci ne saurait être que la BCE [40], qui consentirait alors en cas de besoin une ligne d’urgence, remboursable, en faveur du MES ou d’une banque ayant fait l’objet d’une résolution sous sa responsabilité et confrontée à un problème temporaire de liquidité [41].
L’Union bancaire et le blocage sur la garantie des dépôts
L’Union bancaire a pour objectif de renforcer le système bancaire de la zone euro, notamment en brisant le cercle vicieux entre les États et leurs banques domestiques. Pour ce faire, l’Union bancaire a instauré des mécanismes de gestion des crises, fondés sur une supervision et un mécanisme de résolution communs. Le système centralisé de garantie des dépôts reste en projet. Cette architecture est complétée par un bloc transversal, le « règlement uniforme », recueil des textes qui transposent dans l’UE la réforme bancaire internationale [42].
La principale carence de cette construction concerne aujourd’hui l’absence d’un Système européen de garantie des dépôts. Celle-ci est nécessaire pour garantir une couverture d’assurance plus forte et uniforme à tous les déposants au sein de l’Union bancaire et prévenir ainsi les paniques bancaires. Les discussions sur ce sujet se déroulent dans un cadre établi par le Conseil en juin 2016, qui subordonne les progrès dans les mécanismes de partages des risques à ceux effectués dans la réduction des risques bancaires. Un accord a été conclu en mai 2018 sur la réduction des risques [43], permettant d’espérer l’adoption prochaine du SEAD selon les lignes de la proposition d’octobre 2017 de la Commission [44].
2. Quel sentier critique pour renforcer la zone euro ?
La feuille de route que nous proposons à moyen terme pour la consolidation de la zone euro retient trois orientations déjà évoquées plus haut et que nous allons développer ci-après : une Union financière pour dessiner un nouveau paysage financier adapté à l’économie verte et numérique de demain ; un budget pour stabiliser la zone euro, évoluant progressivement vers un Trésor ; une mesure immédiate pour relancer l’économie de la zone euro, menacée d’anémie, en triplant le Plan d’investissement européen.
Une Union financière pour réaménager le paysage financier
L’Union financière apparaît comme le prolongement nécessaire de l’Union bancaire. Ces deux composantes s’inscrivent dans le mouvement de reconfiguration de la sphère financière pour répondre aux nouveaux besoins des acteurs économiques.
Cette transformation est en effet aujourd’hui nécessaire dans la zone euro pour faire face aux défis des nouvelles technologies et du développement durable. Très différent de celui des États-Unis, où les marchés financiers jouent traditionnellement un rôle considérable, le système financier de la zone euro repose en majeure partie sur l’intervention des banques. Or, celles-ci sont soumises à trois puissantes contraintes : la pression réglementaire, fortement accrue depuis la crise de 2008 ; l’intervention de nouveaux concurrents, les « FinTechs » ; les nouveaux besoins liés aux révolutions verte et technologique. Les besoins financiers liés à la transition énergétique, aux grandes infrastructures et à l’innovation, exigent des fonds propres et des ressources longues plutôt que des crédits bancaires classiques. Ces ressources à long terme doivent souvent être collectées sur les marchés des capitaux ou auprès d’acteurs non bancaires, comme les assureurs, les fonds de pension ou les fonds d’investissement.
UMC : le Plan d’action
Le Plan d’action pour l’Union des marchés des capitaux de la Commission a précisément pour objet de promouvoir ces nouveaux financements. Mise en marche en 2015 [45], l’Union des marchés des capitaux a pour objectif de créer un nouvel « écosystème financier ». À ce jour, le Plan est considéré comme peu avancé [46]. Il comporte trois orientations :
Vers un grand marché obligataire continental
Le décloisonnement des marchés nationaux des obligations d’État, pour les fusionner dans un grand marché européen, apparaît comme un autre axe de réaménagement du système financier continental. Une fusion des obligations souveraines aurait pour intérêt :
Des actions à mener sur le marché de la dette souveraine
La création de titres adossés à des obligations souveraines doit être envisagée. Ces titres seraient créés à partir de portefeuilles d’obligations provenant de plusieurs États membres de la zone euro. Ces portefeuilles seraient titrisés et mis sur le marché afin de diversifier les titres souverains dans les portefeuilles bancaires. La Commission a publié une proposition pour encadrer la titrisation de tels portefeuilles par des acteurs de marché [49].
Une autre piste existe en matière de dette publique ; il s’agirait d’émettre un actif européen sans risque. Contrairement à l’outil précédent, concernant les obligations souveraines déjà émises, il s’agirait ici, dans une perspective plus lointaine, de créer, selon des modalités techniques à étudier, un instrument d’émission de dette publique commune [50].
Vers un Trésor de la zone euro
Un deuxième axe de consolidation consisterait en l’instauration progressive d’un Trésor de la zone euro [51]. Pour renforcer la gouvernance économique, trop souvent freinée par les procédures de vote ou l’absence de moyens, la nouvelle Commission devrait réintroduire la proposition de 2017 consistant à instaurer un ministre de l’Économie et des Finances de la zone euro. À terme, un Trésor serait créé, qui se chargerait :
Présidé par le ministre de l’Économie et des Finances de l’UE, ce Trésor rassemblerait des compétences aujourd’hui dispersées. Il préparerait les décisions à prendre par l’Eurogroupe et exécuterait ensuite ces décisions. Le Ministre présiderait également l’Eurogroupe et le conseil Ecofin.
Un « big push » pour redresser une zone euro anémiée [52]
Depuis plusieurs années, la Commission cherche à renforcer les synergies entre les fonds de cohésion du budget, la gouvernance économique et le Plan d’investissement. Ces trois outils ont vocation à se renforcer mutuellement. La nouvelle Commission, de son côté, met en avant l’idée d’un Pacte vert européen, comprenant entre autres une banque verte, au sein de la BEI et un montant d’investissements verts de 1 000 milliards d’euros en dix ans.
Dans ce contexte, il nous semble qu’une meilleure utilisation des outils existants, sans procéder à des restructurations hasardeuses [53], permettrait de donner une vigoureuse impulsion, à l’économie de la zone euro, menacée par l’atonie. Cette action serait largement centrée sur l’investissement vert et l’innovation.
Le Plan d’investissement européen (ou Plan Juncker) a fait ses preuves depuis 2015, avec un objectif de 500 milliards d’euros en 2020, qui sera tenu. Une nouvelle phase est en discussion, sous le nom d’InvestEU, dans le cadre du prochain budget 2021-2027 [54], qui devrait conduire à un montant d’investissements additionnel de 650 milliards d’euros, dont une proportion de 30 % à 40 % selon les secteurs, dans la transition énergétique. Ces actions du Plan pour les investissements verts s’ajouteront à celles du prochain budget de l’UE (1 080 milliards d’euros au total), dont un quart, soit environ 270 milliards d’euros, sera consacré à la transition.
Une disposition du Plan d’investissement européen, formulée dès l’origine et renouvelée dans le nouveau programme InvestEU consiste à ouvrir aux États membres la possibilité d’investir directement dans la structure InvestEU, ce qui ferait jouer l’effet multiplicateur du dispositif, très important (de 13 à 15) sur une échelle bien plus grande [55]. À ce jour, aucun État membre n’a voulu utiliser cette opportunité. Celle-ci devrait maintenant être saisie car, au lieu d’une base publique actuellement limitée à 47,5 milliards d’euros dans le cadre du projet InvestEU, conduisant à un objectif total de 650 milliards d’euros, il serait possible de porter la base publique à 150 milliards d’euros, par adjonction complémentaire d’environ 100 milliards d’euros émanant des États membres, sous forme d’investissements ou de garanties, apportés dans des conditions très favorables [56]. Ceci pourrait conduire à un relèvement de l’objectif total du Plan 2021-2027 jusqu’à 2 000 milliards d’euros, dont environ 700 milliards d’euros dans la transition énergétique. L’effet combiné du Plan et du budget pourrait ainsi atteindre, sur sept ans, un volume de 1 000 milliards d’euros dans la transition énergétique, ou 1 400 milliards d’euros sur dix ans. Une initiative franco-allemande consistant à investir conjointement de 20 à 30 milliards d’euros (10 à 15 milliards d’euros par pays), aurait sans nul doute un effet d’entraînement vis-à-vis des autres partenaires de la zone euro, permettant d’atteindre le montant de 100 milliards d’euros d’investissement direct (ou de garantie) dans InvestEU de la part des États membres.
Ce schéma a pour avantage de s’inscrire dans le dispositif déjà rodé du Plan et dans les synergies entre les outils économiques que les dirigeants européens tentent de renforcer. Il entrerait en totale adéquation avec les objectifs de croissance verte, digitale et largement diffusée sur les territoires de la nouvelle Commission.
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