Publication 2° : une réforme indispensable dans la lutte contre le changement climatique

Un groupe de travail du G20, pr&eacute;sid&eacute; par Michael Bloomberg, a recommand&eacute; d&eacute;but 2017 que les grandes entreprises publient, sur une base volontaire et en m&ecirc;me temps que leurs comptes annuels, un rapport d&eacute;taillant leur strat&eacute;gie et les moyens mis en œuvre pour lutter contre le changement climatique et &eacute;valuant ceux-ci par rapport &agrave; l'objectif des 2 &deg;C fix&eacute; par l'accord de Paris. Le Groupe d&rsquo;experts de haut niveau sur la finance durable, cr&eacute;&eacute; par la Commission europ&eacute;enne, vient de publier son rapport final o&ugrave; il recommande notamment d&rsquo;appliquer en Europe les recommandations du rapport Bloomberg, en tirant les le&ccedil;ons de l&rsquo;application de la loi fran&ccedil;aise. Le rapport sugg&egrave;re une r&eacute;vision de la directive sur le reporting non-financier, ainsi que le lancement de travaux analytiques par la Commission et le secteur priv&eacute; pour obtenir des publications de qualit&eacute;. L'exemple fran&ccedil;ais En France, l'article 173 de la loi de transition &eacute;nerg&eacute;tique fran&ccedil;aise de d&eacute;cembre 2015 demande aux grands investisseurs institutionnels fran&ccedil;ais, compagnies d'assurance et gestionnaires d'actifs, de publier un rapport sur leur strat&eacute;gie et les moyens mis en œuvre pour lutter contre le changement climatique. Cette publication &eacute;tait exig&eacute;e pour la premi&egrave;re fois au 1er juillet 2017 (cette exigence n&rsquo;est pas absolue : selon le principe &laquo; appliquer ou expliquer &raquo;, l&rsquo;entreprise qui ne publie pas doit expliquer pourquoi). Tel est le contexte de ce qu'on peut appeler la &laquo; publication 2 &deg;C &raquo;. G&eacute;n&eacute;ralis&eacute;e &agrave; l'ensemble des grandes entreprises financi&egrave;res europ&eacute;ennes, une obligation de &laquo; publication 2 &deg;C &raquo; constituerait incontestablement un grand progr&egrave;s dans la lutte contre le changement climatique. L'analyse des premi&egrave;res publications fran&ccedil;aises, m&ecirc;me si beaucoup d'entre elles sont insuffisantes, confirme l'int&eacute;r&ecirc;t de cette r&eacute;forme. Une obligation de publication 2 &deg;C Cette obligation aurait plusieurs effets positifs : un effet de transparence : sur un sujet aussi important, on ne peut se contenter de d&eacute;clarations solennelles ou de quelques exemples bien choisis destin&eacute;s &agrave; embellir l'image d'une entreprise. II faut mettre en lumi&egrave;re l'ensemble de la strat&eacute;gie, des actions et des r&eacute;sultats d&eacute;j&agrave; atteints et anticip&eacute;s. Ainsi, les actionnaires, les salari&eacute;s, tous les partenaires (financiers, entreprises non financi&egrave;res, collectivit&eacute;s publiques, ONG&hellip;), les m&eacute;dias et enfin les clients (d&eacute;posants dans les banques, &eacute;pargnants individuels, assur&eacute;s&hellip;) pourront savoir comment l'entreprise se comporte et &eacute;ventuellement r&eacute;agir ; un effet d'incitation : la transparence et son impact potentiel sur l'image de marque, ainsi que les r&eacute;actions possibles des actionnaires, des partenaires et des clients, pousseront &agrave; &eacute;laborer une strat&eacute;gie pour l'ensemble de l'entreprise et &agrave; atteindre des r&eacute;sultats concrets. M&ecirc;me les chefs d'entreprise qui n'ont pas encore fait de la transition &eacute;nerg&eacute;tique une priorit&eacute; seront contraints de le faire et de s'impliquer. Les entreprises non financi&egrave;res dans lesquelles les entreprises financi&egrave;res investissent ou &agrave; qui elles pr&ecirc;tent devront, comme dans la loi fran&ccedil;aise, donner aux entreprises financi&egrave;res les &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;information n&eacute;cessaires et seront donc soumises, elles aussi, &agrave; plus de transparence ; un effet de comparaison, d'apprentissage collectif et de diffusion des bonnes pratiques : il ne faut pas sous-estimer la difficult&eacute; de l'&eacute;laboration de la strat&eacute;gie 2 &deg;C, qui suppose des hypoth&egrave;ses (prix du carbone, risques de d&eacute;valorisation de certains actifs), une mod&eacute;lisation plus ou moins sophistiqu&eacute;e, des paris et des t&acirc;tonnements en mati&egrave;re d'innovation. La comparaison des &laquo; publications 2 &deg;C &raquo; permettra un raffinement des hypoth&egrave;ses et des mod&egrave;les et une diffusion des bonnes pratiques. Quant au choix entre obligation et publication volontaire, l'avantage de l'obligation est la pression exerc&eacute;e sur les moins bons &eacute;l&egrave;ves. La loi fran&ccedil;aise, qui oblige les entreprises &agrave; publier ou &agrave; expliquer pourquoi elles ne le font pas, est probablement une solution &agrave; mi-chemin utile &agrave; ce stade. Les enseignements des publications 2 &deg;C des investisseurs institutionnels fran&ccedil;ais Les publications requises des investisseurs institutionnels fran&ccedil;ais au 1er juillet 2017 ont fait l'objet de plusieurs analyses synth&eacute;tiques par des centres d'expertise ou des ONG : INDEFI (soci&eacute;t&eacute; de conseil) : &laquo; Art. 173 et institutionnels : un bilan nuanc&eacute; pour le 1 exercice &raquo; ; WWF France : &laquo; Art 173(vi) : des &eacute;pargnants lost in translation &raquo; ; The Shift Project (think tank) : &laquo; Rapports 173, ann&eacute;e z&eacute;ro : l&rsquo;assurance vie collectivement en marche vers une meilleure prise en compte du risque climat &raquo; ; Novethic (filiale sp&eacute;cialis&eacute;e de la CDC) : &laquo; 173 nuances de reporting &raquo;. La lecture de ces analyses et de quelques autres publications nous permet de dresser un bilan de la situation. Une minorit&eacute; importante des soci&eacute;t&eacute;s vis&eacute;es n&rsquo;a rien publi&eacute; (31 des 100 plus importants investisseurs analys&eacute;s par Novethic). Les publications sont souvent de qualit&eacute; insuffisante, comme le montrent les quelques exemples suivants : le groupe assurances du Cr&eacute;dit Mutuel a publi&eacute; un rapport&hellip; d&rsquo;une seule page ; beaucoup de ces rapports ont &eacute;t&eacute; d&eacute;l&eacute;gu&eacute;s &agrave; des organismes sp&eacute;cialis&eacute;s et n&rsquo;ont donc pas &eacute;t&eacute; repris &agrave; leur compte par les entreprises ; dans 74 % des rapports analys&eacute;s par Novethic, on trouve la mention d&rsquo;une mesure d&rsquo;une empreinte carbone des portefeuilles, mais elle porte le plus souvent sur les scopes 1 (&eacute;missions directes) et 2 (&eacute;missions li&eacute;es aux approvisionnements en &eacute;nergie), mais pas sur le scope 3 (&eacute;missions indirectes) ; l&rsquo;analyse des risques climatiques, demand&eacute;e par l&rsquo;art 173 (qui pr&eacute;cise &laquo; risques physiques &raquo; et &laquo; risques de transition &raquo;) n&rsquo;est faite que par 28 rapports sur les 69 analys&eacute;s par Novethic ; 4 autres analysent les seuls risques physiques et 4 aussi les seuls risques de transition ; 33 ne contiennent aucune analyse de risque ; l'analyse des politiques de gestion des risques climatiques est &eacute;galement insuffisante dans de nombreux cas (28 cas de d&eacute;sinvestissements dans l&rsquo;&eacute;chantillon Novethic) et peu document&eacute;e quant aux investissements verts (45 d&eacute;clarent investir, mais souvent sans aucun montant d&rsquo;encours) ; seul un quart des 51 publications analys&eacute;es par INDEFI incluent une trajectoire 2 &deg;C, comme le demande la loi ; certains rapports sont erron&eacute;s sur les actifs verts, comme ce rapport cit&eacute; par Novethic : &laquo; notre contribution positive s&rsquo;illustre &eacute;galement par le financement de projets d&rsquo;infrastructures&hellip; dont 52 M&euro; dans une autoroute en France&hellip; &raquo; ; le Shift Project rel&egrave;ve que la question des ressources p&eacute;troli&egrave;res n&rsquo;est quasiment jamais &eacute;t&eacute; abord&eacute;e dans les rapports des 12 plus grandes compagnies vie ; WWF France rel&egrave;ve aussi qu&rsquo;aucun assureur n&rsquo;a produit un rapport lisible par l&rsquo;&eacute;pargnant, alors que l&rsquo;&eacute;pargne des Fran&ccedil;ais est concentr&eacute;e dans l&rsquo;assurance vie. &Agrave; noter toutefois que la r&egrave;gle fix&eacute;e par la loi est &laquo; appliquer ou expliquer &raquo; ; il serait int&eacute;ressant de savoir combien de publications expliquent certaines absences de contenu et comment elles le font. Trois initiatives int&eacute;ressantes Il y a heureusement des informations int&eacute;ressantes et quelques bons rapports, qui devraient servir de mod&egrave;les pour l&rsquo;exercice suivant. WWF France cite trois &laquo; initiatives int&eacute;ressantes &raquo; : AG2R La Mondiale est le seul &agrave; utiliser un indicateur tr&egrave;s lisible (temp&eacute;ratures en termes de 2 &agrave; 4 &deg;C) pour mesurer l&rsquo;alignement de son portefeuille par rapport &agrave; un sc&eacute;nario 2 &deg;C ; il analyse aussi la part &laquo; verte &raquo; et la part &laquo; brune &raquo; de son portefeuille ; AXA France &laquo; montre une r&eacute;flexion tr&egrave;s mature sur les m&eacute;thodes d&rsquo;analyse et a anticip&eacute; les exigences de la TFCD [1] &raquo; (le Shift project appr&eacute;cie lui aussi qu&rsquo;AXA ait int&eacute;gr&eacute; son rapport 173 sous forme de chapitre dans son rapport annuel et cite ses documents &laquo; de qualit&eacute; &raquo; sur l&rsquo;&eacute;valuation de l&rsquo;intensit&eacute; de son portefeuille global 2015 et sur ses analyses m&eacute;thodologiques en mati&egrave;re de risque climat) ; CNP Assurances a d&eacute;velopp&eacute; son propre sc&eacute;nario, qu&rsquo;il d&eacute;cline par classe d&rsquo;actifs ; il a aussi pr&eacute;par&eacute; &ndash; mais peu distribu&eacute; &ndash; une brochure pour les &eacute;pargnants. Novethic rel&egrave;ve que les montants d&rsquo;actifs verts dans les rapports qui les pr&eacute;cisent (29) repr&eacute;sentent 15,1 milliards d'euros, soit en moyenne 1 % des actifs de ces acteurs. Seuls les b&acirc;timents &agrave; &eacute;nergie positive sont inclus comme actifs verts. INDEFI mentionne que les actions et les obligations d&rsquo;entreprises g&eacute;r&eacute;es en direct ou via des v&eacute;hicules d&eacute;di&eacute;s sont, pour la plupart, couvertes par des analyses climat (et ESG), parfois aussi les obligations souveraines et les actifs r&eacute;els, mais de mani&egrave;re moins d&eacute;taill&eacute;e et sans donn&eacute;es chiffr&eacute;es. Les v&eacute;hicules collectifs (fonds de private equity) sont en g&eacute;n&eacute;ral exclus. Des perspectives encourageantes Au total, la premi&egrave;re s&eacute;rie de publications est encore loin de la qualit&eacute; requise, m&ecirc;me si certaines sont int&eacute;ressantes. Il est probable que plusieurs &ndash; voire la plupart &ndash; de ces entreprises compareront leurs publications &agrave; celles de leurs concurrents et chercheront &agrave; les am&eacute;liorer. Sur les questions m&eacute;thodologiques les plus complexes (sc&eacute;narios, valorisations), l'analyse collective des meilleurs rapports devrait aussi pouvoir permettre de progresser. Il est donc raisonnable d&rsquo;esp&eacute;rer que les prochaines publications seront de meilleure qualit&eacute;, surtout s'il y a &eacute;galement une pression des partenaires de l'entreprise. Il s&rsquo;agit en tout cas d&rsquo;un premier exercice qui apporte beaucoup d&rsquo;eau au moulin d&rsquo;une obligation g&eacute;n&eacute;rale au niveau europ&eacute;en, en ligne avec les recommandations du Groupe d&rsquo;experts de haut niveau. 1 Task force on Climate-related Financial Disclosures.

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