Square

Propos Introductifs

Créé le

02.06.2020

La médiation est un processus de règlement amiable des litiges : confidentiel et discret, il aboutit à une transaction qui met fin au différend. Ce mode de règlement est une alternative à une procédure judiciaire, dont il évite les aléas, les coûts et les délais. Les différends entre un client et un établissement de crédit ou un établissement financier offrent à la médiation un champ d’action privilégié pour rétablir une relation de confiance, nécessaire au crédit.

 

La médiation n’est pas un phénomène de mode. Mais elle présente néanmoins une grande actualité avec la réforme de la procédure civile introduite par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, qui impose la tentative de médiation comme passage obligé avant l’introduction d’une demande en justice pour les petits litiges d’une faible valeur et les conflits de voisinage et de bornage. Elle apparaît ainsi comme la solution – ou une solution – à un litige par une voie non judiciaire, et permet sans doute d’éviter les difficultés, les encombrements, les aléas et les coûts d’une procédure judiciaire.

Il y a là de prime abord un constat négatif, celui d’un manque de confiance dans la procédure judiciaire et dans sa capacité à résoudre les litiges. Selon un sondage publié par l’IFOP au mois d’octobre 2019, seulement 53 % des Français déclarent faire confiance à la justice et 6 Français sur 10 estiment qu’elle fonctionne mal…

Il y a là également un aspect positif, celui de l’espoir d’une solution négociée qui paraît, dans tous les cas, préférable à une procédure judiciaire longue sanctionnée par une condamnation… L’accord, la transaction ou la conciliation sont des mécanismes anciens connus du droit français, mais la médiation, dans son formalisme actuel, s’appuie sur un exemple plus récent celui des modes alternatifs de règlement des litiges (Alternative Dispute Resolution) en vigueur aux États-Unis, où ils se sont développés pour les mêmes raisons : éviter aux parties des procédures judiciaires coûteuses et risquées.

Il n’en demeure pas moins qu’elle a suscité des réticences, parfois exprimées ouvertement, par exemple lors de la mise en place des conciliateurs de justice.

Il y a 30 ans, les juristes regardaient ce mode de règlement avec une certaine méfiance, en y voyant, selon l’expression du Doyen Carbonnier, une « sorte d’acharnement […] conciliatoire, réconciliatoire »[1].

Cette méfiance n’est plus de mise. Le temps a passé et les modes alternatifs de résolution des conflits se sont généralisés, en France comme en Allemagne, où une disposition du Code de procédure civile avait été modifiée en 2001 pour imposer la tentative de médiation préalable[2].

Aujourd’hui, la médiation est partout, dans tous les domaines créateurs de contentieux : la médiation proposée par le juge, la médiation familiale, la tentative de conciliation prud’homale, où le conseil des prud’hommes en son bureau de conciliation, joue le rôle d’un médiateur, en matière pénale avec la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou en matière douanière et fiscale, ainsi que dans les conflits liés aux baux commerciaux et aux contrats d’assurance… De même, la pratique a développé la médiation dans le domaine de la prévention des difficultés des entreprises, sous l’appellation de « règlement amiable » d’abord puis de « procédure de conciliation » aujourd’hui réglementée par le Livre VI du Code de commerce : un conciliateur est désigné à la demande d’un débiteur pour rechercher les bases d’un accord amiable avec ses principaux créanciers. Il en va de même dans le cadre des procédures applicables aux particuliers surendettés où la commission de surendettement a d’abord pour mission de chercher à « concilier » les parties en vue d’élaborer un plan conventionnel de redressement régi par le Code de la consommation…

La médiation est érigée comme un mode de résolution des litiges en matière commerciale au niveau international comme en témoignent deux instruments élaborés par la CNUDCI et adoptés en 2018 : la Convention des Nations Unies sur les accords de règlement internationaux issus de la médiation (Convention de Singapour sur la Médiation) et la Loi type de la CNUDCI sur la médiation commerciale internationale et les accords de règlement internationaux issus de la médiation.

On soulignera aussi que les tribunaux judiciaires ont été incités à favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges au niveau international, ainsi qu’en témoigne l’un des principes de procédure civile « ALI-Unidroit », adoptés par l’American Law Institute et l’organisme d’unification du droit « Unidroit » en 2004 en matière de procédures transnationales.

C’est désormais une obligation consacrée et généralisée par le décret du 11 décembre 2019 portant réforme de la procédure civile dans ces termes : « À peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros […][3]. »

Cette obligation trouve son fondement dans une directive européenne n° 2013/11/UE du 21 mai 2013 favorable à la résolution amiable des litiges auxquels sont exposés les consommateurs.

D’un point de vue procédural, cette formalité entraîne une suspension du droit d’agir en justice équivalant à une renonciation obligatoire (mais temporaire) à l’exercice de ce droit. Il faut aussi admettre que si un accord est trouvé la « cause » du litige disparaît de sorte que le droit d’accès au juge n’est plus menacé…

La prescription, heureusement, est suspendue pendant ce temps[4].

C’est évidemment un regard favorable que les juges jettent sur ce mode de règlement des litiges, conscients qu’ils sont des inconvénients des procédures judiciaires pour les justiciables.

Pourtant, les liens ne sont pas coupés avec la procédure civile, ou plutôt avec les principes généraux qui s’y appliquent : il s’agit ici aussi de garantir l’indépendance et l’impartialité du médiateur, l’égalité des armes et la loyauté du débat. Par contre, le processus de médiation se distingue d’une procédure judiciaire par la confidentialité de principe qui s’y attache.

Le concept aujourd’hui doit être distingué de notions voisines :

– l’arbitrage, où l’arbitre, choisi par les parties, est un juge et non un facilitateur, même si dans une procédure d’arbitrage la recherche d’un accord n’est pas absente ;

– la conciliation où le tiers désigné est investi de la mission de proposer une solution aux parties ;

– la transaction, qui est l’aboutissement de toute discussion directe entre les parties ou indirecte par l’intermédiaire d’un médiateur.

La médiation se définit ainsi comme un processus de négociation destiné à la conclusion d’un accord qui met fin à un litige sous la direction d’un tiers.

La difficulté est donc d’apporter aux parties l’assurance de la neutralité et de l’indépendance du médiateur. Relativement aisée à garantir lorsque celui-ci n’a aucun lien avec l’une ou l’autre des parties, elle est plus équivoque lorsque le médiateur a été, est encore ou peut être à l’avenir, le cadre salarié d’une des parties.

Cette question est particulièrement sensible dans le domaine de la médiation bancaire et financière, où le médiateur est proposé au client par l’établissement de crédit avec lequel il est en opposition et qu’il est payé par lui. La compétence d’un médiateur agréé par un établissement de crédit est évidemment un critère du choix opéré, le corollaire étant une trop grande proximité du médiateur avec celle-ci.

D’où l’intérêt que présente le choix opéré par le groupe BNP Paribas de transférer le service médiation à la Fédération bancaire française : sans nuire à la nécessaire compétence du médiateur, l’éloignement est ici une garantie de neutralité et d’indépendance.

Sans doute cette voie, même vertueuse, ne peut-elle jamais garantir l’indépendance du moins l’apparence d’indépendance qu’impose le principe du procès équitable consacré par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La partie dont la demande de médiation se trouve rejetée, totalement ou partiellement, considérera naturellement que les liens (structurels ou non) entre le médiateur et l’établissement de crédit n’ont pas été coupés. Ce débat est ancien ; il s’applique aussi bien au médiateur qu’au juge professionnel qui donne tort à l’une des parties ou au juge consulaire qui exerce son activité au sein d’une banque, pouvant être un des créanciers du débiteur cité devant un tribunal de commerce.

Il s’agit donc de retrouver une indépendance effective du médiateur à l’égard des parties. La médiation bancaire et financière destinée à régler à l’amiable les litiges a un avenir certain, au moment où la justice répond difficilement aux attentes des citoyens. n

 

[1] « Regards d’ensemble sur la codification de la procédure civile », in Le NCPC 20 ans après, La documentation française, éd. 1998, p. 15.

 

[2]   ZPO, § 278.

 

[3]   CPC, art. 750-1.

 

[4]   C. civ., art. 2238.

 

À retrouver dans la revue
Banque et Droit NºHS-2020-2