Square

Décryptage

Proportionnalité : nouveau mot magique ?

Créé le

20.11.2017

-

Mis à jour le

04.12.2017

Renforcer le principe de proportionnalité est l’un des objectifs poursuivis par le législateur européen dans sa révision du CRR et de la CRD 4. Que propose la Commission ? Que répondent les parlementaires européens, en particulier allemands ? Décryptage.

Un nouveau mot magique relatif à la réglementation prudentielle circule au travers de l’Europe, particulièrement outre Rhin : la proportionnalité. Mais ce concept est perçu par d’autres experts comme une source de discorde car il pourrait mettre en danger le fameux Single Rule Book, si durement acquis, voire les grands équilibres sur l’Union bancaire C’est donc une notion à manier avec grande précaution et nous faisons ci-dessous le point sur cette proportionnalité qui pourrait bénéficier à 60 % des 1 600 banques allemandes.

Un principe déjà présent dans la réglementation…

Le principe de proportionnalité existe déjà dans les textes actuels. On peut le trouver dans le règlement CRR [1] au travers des dérogations concernant les petits portefeuilles commerciaux [2] et des rapports sur les exigences de fonds propres et des informations financières [3] , ainsi que dans la CRD 4, avec les exigences Pilier 2 [4] , les modalités de gouvernance [5] et la rémunération [6] .

La réglementation en vigueur assure une certaine application proportionnée des règles mais à une dose jugée trop homéopathique par les petites et moyennes banques.

…que l’Europe cherche à renforcer

Le projet de la Commission européenne en date du 23 novembre 2016, appelé CRR 2 / CRD 5 ou « Mesures de réduction des risques », est proactif sur ce principe. Il vise à renforcer le degré de proportionnalité et à réduire les coûts de conformité pour les banques concernées.

La Commission dit avoir injecté de la proportionnalité partout où cela lui a paru possible [7] .

Exigences simplifiées du Pilier 1

Des règles spécifiques sont proposées pour calculer les risques de contrepartie et les risques de marché : instauration de critères d’admissibilité à l’approche SA-CCR [8] simplifiée pour le calcul normalisé du risque de crédit de contrepartie [9] et précisions sur les critères d’admissibilité de l’approche standard de risque de marché simplifiée [10] . Sur le trading book, lorsqu’aucune intention de trading n’existe et que les dérivés sont uniquement destinés à des fins de couverture, ces opérations hors bilan devraient même pouvoir intégrer le banking book. Pour les banques petites et moyennes, il pourrait donc y avoir au final trois mesures d’appréhension du risque possibles : le seul banking book intégrant ces dérivés, la méthode de risque de marché simplifiée [11] et la méthodologie dite FRTB (revue fondamentale du trading book).

Exigences de Pilier 2

Il est proposé que la CRD soit modifiée [12] pour réduire le fardeau administratif et fournir une approche pilier 2 plus proportionnée.

Exigences du Pilier 3

En matière de communication financière, le CRR 2 [13] introduit une proportionnalité accrue suivant la taille des institutions. Les banques sont classées en trois catégories – grande taille, petite taille et autres – selon des critères [14] comme le fait d’être coté ou la valeur de l’actif. La fréquence et le contenu de la communication financière sont calibrés sur cette base.

Pour les reportings

Contrairement aux aspects communication financière (disclosures) qui relèvent de la directive (niveau 1), les exigences en matière de reporting sont définies par l’Autorité bancaire européenne (EBA). Or les banques se plaignent que les niveaux 2 (RTS/ITS) et 3 (guidelines) prennent trop peu en compte la proportionnalité. La Commission souhaite donc donner un cadre clair à l’EBA : un objectif de diminution des reportings de 10 % pourrait être formalisé. L’EBA va devoir évaluer les avantages et les inconvénients (en particulier en termes de coûts) des reportings de supervision [15] , notamment quant à leur granularité.

Modalités de rémunération

Pour les modalités de rémunération, la CRD 5 [16] introduit une disposition possible sur décision des autorités de supervision. Celle-ci concerne une dérogation sur les éléments variables de la rémunération pour toutes les institutions, quelle que soit leur structure d’actionnariat et y compris les filiales des entreprises grandes ou systémiques, dont la valeur de l’actif total est égale ou inférieure à 10 milliards d'euros. Il y a également une mesure d’exception visant les salariés dont la rémunération variable globale est inférieure à 100K€ et la rémunération variable inférieure à 50 % de la rémunération totale.

 

Au-delà de ces propositions de la Commission, il est mis en avant par les partisans de la proportionnalité que les banques petites et moyennes jouent un rôle important dans le financement de l’économie des pays membres de l’Union. La proportionnalité serait dès lors une question de survie. L’Allemand Peter Simon, rapporteur de la réforme CRR 2 au Parlement européen, dit ainsi connaître de nombreux cas en Allemagne où des banques ont dû récemment fusionner du fait de la surcharge bureaucratique liée à la réglementation.

Les discussions en cours tournent désormais autour de deux grandes questions : qui doit profiter de cette notion de proportionnalité et quelle est l’ampleur des bénéfices pouvant être tirés de ce statut ?

L’épineuse question du périmètre…

Pour Peter Simon, il s'agit visiblement de viser un seuil élevé de sorte à intégrer le maximum de banques allemandes et autrichiennes. Selon lui, le critère de total de bilan de 1,5 milliard d'euros proposé par la Commission est insuffisant : pour Malte qui a un produit national brut (PNB) de 10 milliards d’euros, une banque avec un bilan de 1,5 milliard d’euros n’est à l’évidence pas une petite banque alors qu’elle l’est clairement pour l’Allemagne où le PNB est supérieur au total des 21 plus petits PNB de l’Union. Il faut donc différencier le critère de seuil de bilan suivant les pays et leurs économies.

Des variantes sont apparues. Une première proposition allemande fixait le seuil à 5 milliards d’euros, un niveau irréaliste représentant par exemple pour Malte 50 % de son PNB. Une seconde était de retenir toutes les banques considérées comme non systémiques à leur niveau national mais cela comprenait alors quasiment toutes les banques allemandes, sauf 16 d’entre elles. Enfin, une troisième proposition était de fixer le seuil à 1 % du PNB du pays mais là encore, pour l’Allemagne, cela représenterait un niveau de 30 milliards d’euros bien trop élevé.

D’où la proposition que devrait pousser prochainement Peter Simon lui-même : combiner le « facteur absolu » de la Commission, soit 1,5 milliard d’euros, et d’ajouter un montant correspondant à 0,1 % du PNB du pays. Pour l’Allemagne, cela ferait alors 4,8 milliards d’euros, « ce qui laisserait hors champ certaines banques allemandes qui sont systémiques » selon Peter Simon qui dit avoir obtenu un retour positif généralisé à sa proposition. Au-delà du seuil de bilan que l’on peut estimer élevé, il ne précise pas qui décidera d’accorder ou non la part variable : le superviseur ou l’État membre de la banque ?

…traitée de manière partiale

Les partisans de la proportionnalité soulignent que la qualification comme « petit » ne doit pas seulement dépendre de la taille du bilan mais aussi de critères qualitatifs. « Small does not mean risk free automatically ! », répètent-ils. Les critères proposés visent ainsi les banques avec un modèle économique simple et aucune intention de trading (un niveau de trading faible, avec une double limite de 5 % du total du bilan et de 50 milliards d’euros de montant maximum et dérivés de trading inférieurs à 2 % du bilan est avancé).

S’y ajoutent des critères discriminants a priori non pertinents mais qui visent vraisemblablement à cibler uniquement les banques souhaitées : pour être éligibles, les établissements ne devraient pas pouvoir faire l’objet d’une résolution (on peut pourtant penser qu’in fine, s’il y a des faillites en chaîne de Landesbanken allemandes, les autorités du pays les renfloueront) ni utiliser des modèles internes (ce qui est hors sujet et surtout une prime à la paresse).

Inclure le NSFR

Quant aux bénéfices, ils devraient, pour les partisans de la proportionnalité, être étendus au-delà des propositions de la Commission et inclure d’autres domaines, notamment le NSFR : une méthodologie pour les petites et moyennes banques pourrait ainsi être proposée par le Parlement pour établir un NSFR simplifié, utilisant seulement 10 % des données du NSFR bâlois et avec une calibration plus stricte.

Enfin, certains parlementaires voudraient faire également jouer la proportionnalité dans l’autre sens, en l’occurrence en alourdissant encore plus les contraintes des banques systémiques. Deux propositions phares ont ainsi été énoncées récemment par Peter Simon : un ratio de levier supérieur à 5 % et l’introduction d’un ratio supplémentaire sur les rémunérations, à publier une fois par an, et qui rapporterait la rémunération du Board à celle moyenne de l’ensemble du personnel.

Un Single Rule Book à protéger

Il y a beaucoup de non-dits et faux-semblants dans cette discussion très « politique ». Au départ, l’intérêt de la proportionnalité peut apparaître à tous justifié : une toute petite banque n’a pas toujours les moyens d’investir pour gérer toutes les exigences prudentielles qui lui incombent. Il n’est cependant pas facile de voir si les mesures réglementaires existantes et, surtout, leur application effective par leurs superviseurs sont à ce point pénalisantes pour ces banques.

La notion a été étendue au fil du temps à des banques moyennes et l’on parle maintenant de trois niveaux de banques : petites, intermédiaires et grandes. Cette décomposition conduirait de nombreuses banques moyennes à s’exonérer partiellement ou totalement des exigences du Single Rule Book !

La notion de proportionnalité ne doit donc valoir que pour les allègements administratifs. Les débats actuels font enfin ressortir un dilemme non tranché du mécanisme de supervision européen, qui hésite entre une vision consolidée et un contrôle individuel entité par entité. Ce qui laisse aux banques l’impression de faire systématiquement les frais des deux.

Achevé le 16 novembre 2017.

 

1 Règlement qui a transposé en droit européen une partie des recommandations de Bâle III, en complément de la directive CRD 4.
2 Article 94 du CRR 2.
3 Article 99 du CRR 2.
4 Article 73 pour ICAAP et article 97 pour SREP du CRR.
5 Article 74 du CRR 2.
6 Article 95 du CRR 2.
7 D’après la synthèse du groupe de travail dédié de la Fédération bancaire française.
8 Standardised Approach - Counterparty Credit Risk.
9 Article 273 bis du CRR 2.
10 Article 325 bis du CRR 2.
11 En cours de finalisation au Comité de Bâle, suite à une consultation publiée le 29 juin 2017.
12 Article 104(1) de la CRD 5.
13 Article 433 a/b/c.
14 Article 430 bis du CRR 2.
15 Article 99 (7) du CRR 2.
16 Article 94 (3).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº814
Notes :
11 En cours de finalisation au Comité de Bâle, suite à une consultation publiée le 29 juin 2017.
12 Article 104(1) de la CRD 5.
13 Article 433 a/b/c.
14 Article 430 bis du CRR 2.
15 Article 99 (7) du CRR 2.
16 Article 94 (3).
1 Règlement qui a transposé en droit européen une partie des recommandations de Bâle III, en complément de la directive CRD 4.
2 Article 94 du CRR 2.
3 Article 99 du CRR 2.
4 Article 73 pour ICAAP et article 97 pour SREP du CRR.
5 Article 74 du CRR 2.
6 Article 95 du CRR 2.
7 D’après la synthèse du groupe de travail dédié de la Fédération bancaire française.
8 Standardised Approach - Counterparty Credit Risk.
9 Article 273 bis du CRR 2.
10 Article 325 bis du CRR 2.