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Réforme prudentielle de Bâle III

Préserver le modèle résilient de la bancassurance française

Créé le

17.06.2011

-

Mis à jour le

26.07.2011

Le Comité de Bâle a défini en décembre 2010 de nouvelles règles pour les participations d’assurance dans les ratios des banques. Cet article explique pourquoi le renvoi à la Directive conglomérats doit être maintenu dans la transposition de Bâle III en Europe, de manière à tenir compte de la surveillance exercée à ce niveau dans l’Union Européenne.

 

Les nouvelles normes Bâle III ne tiennent pas compte du cadre législatif renforcé qu’a apporté, dans l’Union européenne, la Directive européenne sur les conglomérats (voir Encadré 1). Cette directive permet, depuis 2002, l’évaluation de la solvabilité au regard de l’ensemble des risques pris au niveau des activités bancaires et d’assurance consolidées. Mises en œuvre, les règles de Bâle III fragiliseraient les banques ayant une activité significative dans l’assurance et pénaliseraient indûment le modèle de bancassurance largement développé en France.

10 arguments en faveur de la Directive conglomérats

Techniquement, le texte de décembre 2010 publié par le Comité de Bâle prévoit la déduction intégrale [1] du Common Equity Tier 1 (CET1) des valeurs de mise en équivalence des sociétés d’assurance. Plusieurs raisons illustrent le caractère inapproprié du traitement Bâle III.

1. Bâle III pénaliserait les compagnies d’assurance bien capitalisées

Le texte publié par le Comité de Bâle prévoit de déduire les fonds propres de l’assurance de ceux de la banque par catégorie d’instruments de Bâle III (CET1, Tier 1 additionnel, Tier 2). Plus la compagnie d’assurance est capitalisée, plus le montant de la déduction serait important, indépendamment du niveau de risque pris par la société d’assurance ! L’exemple 1 illustre ce point pour une banque détenant une filiale d’assurance à 100 %.

2. Bâle III favoriserait les compagnies d’assurance utilisant l’effet de levier

Le traitement Bâle III favoriserait les compagnies d’assurance qui couvrent une partie de leurs exigences par des instruments de fonds propres non éligibles en Core Tier 1 (voir Exemple 2).

3. La Directive conglomérats permet une gestion flexible des fonds propres

La valeur ajoutée d’un conglomérat réside principalement dans le bénéfice de diversification qu’apportent des activités qui, pour une très large part, ont des cycles opposés. Cette situation différenciée entre les deux activités peut être amplifiée par les modifications des besoins des clientèles de chaque activité : le choix des contrats d’assurance pris par les clients (accroissement des contrats d’assurance vie en unités de compte par exemple) ou le niveau de risque des opérations demandées par les clients de la banque. Une banque ayant une filiale d’assurance peut ainsi se trouver dans une situation où l’exigence de solvabilité de sa filiale diminue alors que, dans le même temps, celle de sa propre activité augmente. Si la compagnie d’assurance se trouve dans une situation de surcapitalisation, cette dernière ne pourrait alors être transférée, dans le cadre des règles de Bâle III, au niveau du ratio bancaire.

4. La Directive conglomérats permet une allocation optimale des fonds propres

Le régime Bâle III ne permettrait pas à la banque une allocation optimale de ses fonds propres puisque tout besoin de capital supplémentaire au niveau de la filiale d’assurance, notamment pour respecter un ratio cible plus élevé sans modification des exigences, se traduirait de facto par un besoin de capital supplémentaire d’un montant équivalent au niveau de la banque. Et le respect de ratios minima plus élevés au niveau de chacune des deux activités ne se traduirait pas nécessairement par des ratios plus confortables au niveau du conglomérat.

5. La Directive conglomérats tient compte du niveau des risques agrégés de la banque et de l’assurance

Pour apprécier la solvabilité d’un groupe exerçant des activités bancaires et d’assurance, une mesure agrégée de l’ensemble des risques est nécessaire. Dans les ratios bancaires, la prise en compte de l’assurance en fonction de son capital (et réciproquement dans les ratios de l’assurance pour la prise en compte des activités bancaires) ne permet pas une mesure pertinente des risques pris par l’ensemble constitué de la banque et de l’assurance, ce que fait par contre le ratio européen des conglomérats.

6. Des buffers de fonds propres dans l’assurance pénaliseraient la banque

Du fait du mécanisme de déduction, la mise en place éventuelle de coussins de fonds propres au niveau des activités d’assurance se répercuterait à due concurrence dans les ratios de la banque qui supporterait donc à la fois les coussins appliqués aux activités bancaires et aux activités d’assurance.

L’excédent de fonds propres ne serait pas accessible à la banque. Si les cycles s’inversent et que le buffer n’est plus nécessaire dans l’assurance mais que, en même temps, les exigences de fonds propres augmentent dans la banque, il ne serait pas aisé de remonter les fonds propres dans la banque. En effet, en pratique, il est exceptionnel qu’une réduction de capital au niveau de l’assurance soit justifiée uniquement par une amélioration du cycle économique, à risques inchangés.

Ce point est d’autant plus important que, sous Solvabilité 2, les fonds propres de l’assurance seront vraisemblablement plus volatils, de même que ceux de la banque, du fait de la suppression des filtres prudentiels. Ainsi, les banques ayant une filiale d’assurance seraient doublement pénalisées car elles devraient respecter, à leur niveau, non seulement les buffers en fonds propres relatifs à leur activité propre mais également celui destiné à couvrir la volatilité des exigences de l’assurance, alors même qu’un buffer existerait déjà au niveau de l’assurance pour remplir cette fonction.

7. Un buffer unique est efficace s’il est positionné à la tête de groupe

Le mécanisme de buffer doit, dans toute la mesure du possible, être positionné au niveau de la tête de groupe et non pas au niveau de chacun des deux secteurs, de sorte que l’on puisse l’affecter soit à l’activité bancaire, soit à l’activité d’assurance, de manière flexible et dans des proportions qui suivent les cycles de chaque activité. Cela n’est pas prévu avec Bâle III.

8. La Directive conglomérats reconnaît une valeur à l’assurance en cas de difficultés des activités bancaires

La déduction intégrale de la valeur de participation de l’assurance semble faire l’hypothèse que cette activité aurait une valeur nulle, dans le cadre du principe de continuité d’exploitation (« going-concern situation »), ce qui ne correspond en rien à la réalité économique pour une compagnie d’assurance de taille substantielle.

9. La Directive conglomérats empêche les possibles distorsions de concurrence entre acteurs

Les modalités de couverture des exigences minimales [2] sont différentes dans l’assurance et dans la banque (voir Tableau 1, établi à partir de notre connaissance actuelle des futures réglementations). Par suite, la déduction du CET1 de la valeur des participations dans l’assurance constituerait une contrainte supplémentaire pour les banques, compte tenu des exigences supérieures de CET1 qu’elles supporteraient avec Bâle III. Des différences existent également entre les définitions de fonds propres réglementaires prévues dans les deux secteurs. Enfin, bien que certaines activités soient exercées indifféremment par les deux secteurs (par exemple, crédit-cautions, private equity), elles ne requièrent pas la même qualité de fonds propres, selon qu’elles sont exercées dans le cadre assurantiel ou bancaire.

10. La surveillance par les risques au niveau du conglomérat, telle qu’elle s’exerce aujourd’hui, est satisfaisante

Compte tenu notamment des écarts dans le mode de couverture des exigences résultant des différences de règles entre les deux secteurs (voir Tableau 1) mais aussi de tous les contrôles spécifiques introduits, la surveillance des risques consolidés exercée au niveau du conglomérat apparaît comme la meilleure supervision.

Capitaliser sur la directive sur les conglomérats

Dans l’UE, la directive de 2002 sur la surveillance complémentaire des conglomérats financiers ne présente en effet aucun des inconvénients ci-dessus. Elle permet l’évaluation de la solvabilité au regard de l’ensemble des risques pris au niveau des activités bancaires et d’assurance consolidées, ce qui n’est pas le cas de Bâle III qui ne prend en compte les activités d’assurance qu’au travers des fonds propres disponibles par catégorie, indépendamment de leurs risques.

Le souci de ne pas affecter des fonds propres à la fois à la couverture de risques bancaires et d’assurance étant appréhendé par le test de solvabilité réalisé au niveau du conglomérat, les participations dans les compagnies d’assurance ddevraient continuer à être traitées dans les ratios bancaires sur leurs bases actuelles et sans préjudice des périodes de transition prévues.

Selon les dernières indications données sur le contenu du projet européen de Directive CRD4 [3] transposant Bâle III, cette dernière reconnaîtrait le besoin de déterminer les ratios de solvabilité bancaires en tenant compte de l’existence en Europe de la Directive conglomérats. Il est essentiel qu’il en soit ainsi pour préserver le modèle réussi et résilient de la bancassurance française.

 

Achevé de rédiger le 17 juin 2011

1 Le texte de Bâle III prévoit un système de franchise permettant une prise en compte partielle de certains éléments : les participations significatives dans les institutions financières et certains impôts différés notamment (lire l’article de Michel Bilger, « Une solvabilité renforcée des banques », Banque & Stratégie, décembre 2010). Dans le cas des banques françaises, le plafond de cette franchise serait vite atteint, ce qui revient à une déduction intégrale, NDLR. 2 Pour le secteur bancaire, les exigences Bâle III présentées dans le tableau 1 sont hors-buffers de capital contra-cyclique et systémique. 3 Fin mai, le Financial Times a fait état d’inflexions possibles dans la CRD4 sur la question de la prise en compte des participations dans les assurances, par rapport aux textes bâlois. Le Commissaire Michel Barnier a immédiatement réagi, assurant que ses services travaillaient pour éviter « tout échappatoire » vis-à-vis des standards. La proposition finale de la Commission doit être rendue publique dans le courant de l’été, puis sera discutée par le Parlement et le Conseil européens, pour un vote attendu à l’automne 2012, NDLR.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº738
Notes :
1 Le texte de Bâle III prévoit un système de franchise permettant une prise en compte partielle de certains éléments : les participations significatives dans les institutions financières et certains impôts différés notamment (lire l’article de Michel Bilger, « Une solvabilité renforcée des banques », Banque & Stratégie, décembre 2010). Dans le cas des banques françaises, le plafond de cette franchise serait vite atteint, ce qui revient à une déduction intégrale, NDLR.
2 Pour le secteur bancaire, les exigences Bâle III présentées dans le tableau 1 sont hors-buffers de capital contra-cyclique et systémique.
3 Fin mai, le Financial Times a fait état d’inflexions possibles dans la CRD4 sur la question de la prise en compte des participations dans les assurances, par rapport aux textes bâlois. Le Commissaire Michel Barnier a immédiatement réagi, assurant que ses services travaillaient pour éviter « tout échappatoire » vis-à-vis des standards. La proposition finale de la Commission doit être rendue publique dans le courant de l’été, puis sera discutée par le Parlement et le Conseil européens, pour un vote attendu à l’automne 2012, NDLR.