Square
 

Droit des moyens et services de paiement

Opération de paiement remboursée : contre-passation sans autorisation ne vaut

Créé le

14.12.2021

Destiné à être publié uniquement au Bulletin, un tout récent arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com. 24 nov. 2021, n° 20-10.044) tranche la question, passablement inédite en ces termes, de la contre-passation en compte d’une opération et de l’autorisation  – ou non – du détenteur du compte.

Vous avez dit « contre-passation » ?

Le terme n’appartient manifestement pas au vocabulaire du droit des paiements. On ne le trouve pas dans la DSP 2 et il figure exceptionnellement dans le Code monétaire et financier (CMF), à propos d’une hypothèse marginale : « Dans le cas du prélèvement, lorsque le montant crédité à l'échéance sur le compte du bénéficiaire constitue une avance, le contrat-cadre de services de paiement ou la convention de compte de dépôt prévoit les conséquences de la contre-passation de l'opération lorsqu'elle n'est pas imputée au compte du payeur [1] . »

À suivre la doctrine, « la contre-passation désigne la radiation comptable d’une écriture antérieure. C’est l’opération par laquelle on annule une écriture portée en compte par l’inscription d’une écriture en sens inverse [2] . » Le cas d’école serait la contre-passation, par l’établissement de crédit escompteur, des effets de commerce revenus impayés [3] .

Jeu d’écriture en compte, d’une position à la position inverse, la contre-passation du crédit d’une somme versée au titre d’un virement annulé – « serait-ce en raison de l’existence d’une fraude », observe la Cour de cassation dans la décision rapportée – requiert-elle l’autorisation du bénéficiaire éphémère ?

Ce qui s’est passé

Une entreprise commercialisant des cartes de paiement prépayées (cette originalité d’un « paiement dans le paiement » n’a pas d’incidence sur le litige) a ses comptes dans un établissement de crédit. En décembre 2012, son compte bancaire est crédité de la somme de 6 300 euros à la suite d'un virement émis depuis un autre établissement de crédit par un particulier. Le spécialiste des cartes de paiement prépayées le porte au crédit de la carte de son client, sous déduction d’une commission. Toutefois, le client à l’origine du virement le conteste, s’estimant victime d’une fraude. Il obtient alors le remboursement de sa banque, laquelle, à son tour, demande le « retour » des fonds auprès du premier établissement de crédit, prestataire de services de paiement (PSP) du bénéficiaire. Après avoir restitué les fonds, ce dernier procède à la contre-passation de l’opération sur le compte de l’entreprise. Mais l’entreprise de cartes de paiement prépayées conteste cette opération et l’assigne alors en restitution de la somme débitée sans son autorisation.

Pour rejeter la demande de l’entreprise de cartes prépayées tendant à la condamnation de son PSP à lui restituer le montant du virement contre-passé sur son compte, l'arrêt attaqué retient :

– d'abord, que le PSP du bénéficiaire justifie du caractère frauduleux de l'ordre de virement qui, à défaut d'émaner du titulaire du compte émetteur, n'a pu donner un caractère irrévocable au droit de l’entreprise bénéficiaire sur le montant des fonds encaissés et inscrits au crédit de son compte ;

– ensuite, que cette dernière ne démontrant l'existence d'aucun lien d'obligation entre elle et le payeur, le virement était dépourvu de fondement, ce qui autorisait le PSP du bénéficiaire à contre-passer l'opération sur le compte de sa cliente, malgré l'opposition de celle-ci, au titre de la répétition de l'indu.

La cassation est prononcée pour violation des articles 1937 du Code civil relatif aux obligations du dépositaire [4] et L. 133-18 du CMF, seul le second de ces textes étant cependant repris dans la réponse de la Cour : « Sauf stipulations contractuelles contraires, lorsque le montant d'un virement a été remboursé au payeur par son prestataire de services de paiement en application de l'article L. 133-18 du code monétaire et financier, serait-ce en raison de l'existence d'une fraude, le prestataire de services de paiement du bénéficiaire, s'il a déjà inscrit le montant de ce virement au crédit du compte de son client, ne peut contre-passer l'opération sur le compte de celui-ci sans son autorisation, quand bien même il aurait lui-même restitué le montant du virement au prestataire de services de paiement du payeur. »

Rappel : une opération de paiement doit être autorisée

Qu'en est-il du côté du bénéficiaire ? Disposition relative à la responsabilité en cas d’opération de paiement non autorisée, l’article L. 133-18 dispose, en son alinéa 1er : « En cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l'opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l'opération ou après en avoir été informé, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, sauf s'il a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de l'utilisateur du service de paiement et s'il communique ces raisons par écrit à la Banque de France. Le cas échéant, le prestataire de services de paiement du payeur rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu. »

Voilà qui est fort bien. Mais la règle, au profit du payeur, laisse entière la question de la suite. Qu'en est-il, en effet, du sort du bénéficiaire, qui s’est vu crédité (en toute bonne foi, il n’y a pas de raison de soupçonner le contraire) du montant de l’opération concernée, par la suite contre-passé au débit de son compte ? Il y avait un « trou » à ce sujet que l’arrêt du 24 novembre 2021 vient opportunément combler, au risque de bousculer la pratique bancaire, même s’il est prévu que des « stipulations contractuelles contraires » pourraient rétablir un équilibre trop brutalement rompu.

L’attendu (de principe, disait-on jadis) précité de la Cour pourrait presque être repris tel quel en tant qu’alinéa à rajouter à l’article L. 133-18. En substance, la contre-passation d’une opération de paiement est elle-même… une opération de paiement, qui doit dès lors être autorisée par celui qui, un temps bénéficiaire, devient payeur. Et l’on ne voit pas en quoi le droit du dépôt ajouterait – ou retrancherait – à la solution, qui devrait au contraire valoir pour tous les comptes de paiement. Resterait toutefois à régler le sort de l’éventuel refus opposé par le bénéficiaire à la demande de contre-passation. Où l’on sortirait de la réglementation des paiements pour verser dans la répétition de l’indu, ce qui est autre chose.

 

1 CMF, art. L. 133-10, II.
2 Th. Bonneau, Droit bancaire, LGDJ, Domat, 14e éd., 2021, n° 588.
3 Th. Bonneau, précit., n° 590.
4 « Le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu'à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir. »

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº863-864
Notes :
1 CMF, art. L. 133-10, II.
2 Th. Bonneau, Droit bancaire, LGDJ, Domat, 14e éd., 2021, n° 588.
3 Th. Bonneau, précit., n° 590.
4 « Le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu'à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir. »