En Allemagne, comment sont perçues les propositions d’Emmanuel Macron pour l’Europe, et en particulier pour la zone euro ?
L’establishment politique allemand est très heureux d’avoir Emmanuel Macron comme partenaire. Le nouveau Président français change la donne. Macron a montré, de bien des façons, sa volonté de parvenir à des compromis acceptables. Ceci constitue un grand pas en avant et Macron remet vraiment sur la table le projet européen qui a été absent si longtemps.
À la Goethe Université où j’enseigne, mais aussi au sein de l'establishment politique, notamment au ministère des Finances, on pense de plus en plus que si nous n’allons pas plus loin avec le projet européen, alors nous allons chuter. Nous ne pouvons pas rester au stade où nous en sommes et attendre. Nous devons accomplir des changements plutôt profonds. L’Europe n’a pas toutes les options : elle peut aller soit vers plus d'intégration c’est-à-dire vers le fédéralisme, soit vers moins d'intégration – mais nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle.
Et pour aller vers plus d’intégration, il est peut-être plus facile de commencer par la zone euro, car les discussions y sont plus intenses et la compréhension réciproque y est plus développée.
En France, de nombreux commentateurs estiment que c'est la prudente Allemagne qui empêche l'Europe d’aller plus loin et plus vite…
Cette analyse n’est pas complètement fausse. Laissez-moi expliquer les différentes approches. Il existe un document baptisé le « non
Et maintenant, ce dont nous avons besoin, c'est d’ingénierie institutionnelle. J’espère que nous savons développer des suggestions pour l’élaboration des politiques, l’objectif étant de rendre compatibles ce qu’Emmanuel Macron ou la Commission veulent faire et les principes mentionnés ci-dessus. Ils sont très clairs, demandant principalement une adéquation entre les processus de décision et la notion de responsabilité.
Pouvez-vous prendre un exemple précis ? Que pensez-vous de la façon dont la Commission cherche à mettre en place un « safe
Avec les SBBS (Sovereign bond-backed securities), la question de cette adéquation se pose. Les SBBS, tels qu’ils sont discutés à présent introduisent très bien le safe asset mais ils échouent à expliquer comment se fait le partage des risques. À ce stade, le principe d’adéquation entre processus de décision et notion de responsabilité n’est pas encore totalement respecté.
L'objectif des SBBS est de mélanger des obligations souveraines émises par différents États membres de la zone euro dans un même portefeuille puis d’émettre d’une part des « safe bonds » c’est-à-dire des obligations senior et d’autre part des obligations junior où est concentré le risque de défaut. Pour certains observateurs, la question intéressante est moins la quantité d’obligations senior émises que l’identité des clients qui achètent la portion junior – parce que c’est là où se trouve le risque. Pour rapprocher le couple Junker-Macron de l’Allemagne, il serait bénéfique de répondre à ces questions.
Vous pensez que les obligations junior n’intéresseront pas les investisseurs ?
C'est une réelle question ! Je me demande si les acheteurs émaneront de la sphère privée ou s’il s’agira de gouvernements.
Pour finaliser l’Union bancaire, un véritable
Nous avons besoin d'un mécanisme de backstop, c'est dans la logique de l'Union bancaire. Mais sa mise en place doit répondre aux principes que j'ai cités ; il faut accomplir un travail dit d’« ingénierie institutionnelle » pour élaborer une adéquation entre responsabilité et prise de décision. Je suis convaincu qu’une telle ingénierie institutionnelle peut être développée.
Le backstop doit être durable au sens de « responsable ». Le MES pourrait financer ce backstop mais bien évidemment cela ne pourra se faire que si le MES se voit attribuer certains pouvoirs de décision discrétionnaires. En d’autres termes : le MES deviendra un backstop seulement s’il obtient des instruments crédibles permettant de déclencher des réformes structurelles dans certains pays.
Que pensez-vous de la façon dont la Commission cherche à favoriser la réalisation du troisième pilier de l’Union bancaire ?
Il faudra appliquer à la Garantie unique des dépôts les mêmes critères que pour la création du backstop. En effet, ce troisième pilier de l’Union bancaire doit être crédible lui-même. La commission a évolué vers un schéma de réassurance ce qui est très positif car la notion de réassurance répond à l'exigence d’ingénierie institutionnelle responsable.
Malheureusement, la seconde et dernière étape – la coassurance – pourrait impliquer un certain transfert de monnaie entre les pays en cas de défaut important. Une fois encore, un tel transfert ne peut exister sans octroyer au MES le pouvoir d’imposer certains changements structurels à l’intérieur du marché bancaire. C'est la seule façon de rendre l'ensemble durable.
Pourquoi ne pas mettre en œuvre dès maintenant la première étape, celle de la réassurance ?
La réassurance serait acceptable dès maintenant mais elle mène automatiquement à la seconde étape ! Or nous ne voulons pas encore trop de transferts de pouvoir d’achat.
Dans sa communication du 11 octobre 2017, la Commission aborde la question des prêts non performants (non performing loans) et propose de développer un second marché où des investisseurs achèteraient ces prêts aux banques.
Mais à quel prix le second marché achèterait-il ces actifs ? Si les banques doivent les vendre au prix de marché, alors cela pourrait provoquer une crise bancaire en Italie. En effet, le prix de marché de ces prêts est inférieur à la valeur qui leur est octroyée dans les bilans bancaires. Le problème qui se pose est de savoir qui va enregistrer cette perte. Ce n’est certainement pas le marché. La BCE estime que c’est aux actionnaires des banques d’assumer cette perte et c’est bien ainsi que les choses devraient se passer dans une économie de marché. La question est de plus en plus urgente puisque, en janvier 2018, IFRS9 entre en vigueur et les prêts seront valorisés selon leur « fair value » donc selon leur valeur de marché.
La coalition qu’Angela Merkel est en train de bâtir avec le FDP et les « Grünen » rendra-t-elle plus difficile le rapprochement des points de vue entre l’Allemagne et la France ?
Le FDP est souvent portraituré comme un parti très réticent à l’égard du projet européen, mais je ne pense pas qu'il soit contre l'Europe. Je pense qu'ils sont en phase avec la notion de responsabilité que j’ai mentionnée, ce qui me fait penser que la position habituelle allemande ne va pas beaucoup changer. Les dernières élections vont moins changer les choses que ce que certains commentateurs semblent croire.