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Relations banque-entreprise

Notation des PME : vertus et limites

Créé le

22.10.2012

-

Mis à jour le

29.11.2012

La notation est une étape obligatoire pour les entreprises voulant obtenir des financements. Pourtant, appliquée aux PME, elle ne présente pas toujours les qualités requises d’un instrument de mesure : validité, fidélité et sensibilité.

La notation est trop souvent vécue par les PME comme une sanction, à laquelle elles sont rarement préparées, et contre laquelle elles ne peuvent guère se défendre. Pour indispensable (voire obligatoire) que soit cette notation, elle présente certaines limites et peut même induire des effets pervers [1] .

La culture dominante : anticiper le défaut

Le concept de notation est essentiellement tourné vers la mesure du risque de défaut des entreprises. Nous ne traiterons pas ici des agences de notation, qui se concentrent sur l’information financière destinée aux marchés financiers, mais plus singulièrement de la notation des PME. Celle-ci a pour objectif l’appréciation du risque que peuvent présenter ces dernières de ne pas pouvoir respecter le service de leur dette. Les conséquences d’une « mauvaise » note sont claires : au mieux, le créancier réduira son exposition au risque ; au pire, il la refusera.

Pourtant les processus traditionnels de notation conduisent à se poser deux questions :

  • les données à la source de la notation sont-elles aussi fiables que couramment admis ?
  • les méthodes de génération des notes sont-elles parfaitement adaptées ?

Le bilan fiscal, matière première réellement incontestable ?

Les comptes annuels de la PME, établis le plus souvent sous la responsabilité professionnelle de l’expert-comptable, ont en premier lieu vocation à être transmis à l’administration fiscale. Nul ne songerait à contester cette image « formelle ». Ils deviennent dès lors le matériau légitime et privilégié des algorithmes d’appréciation du risque.

C’est pourtant négliger ce que chacun sait parfaitement : ces comptes souffrent de biais pouvant déformer très sensiblement l’image économique (et non fiscale) de l’entité analysée. Par exemple, un actif entré dans le bilan « au coût historique » dix ans auparavant a une valeur nulle après amortissements, dès lors non représentative de sa valeur de marché ou d’usage ; de même pour certains actifs immatériels, pas ou mal valorisés. Les ratios et donc la note de l’entreprise en seront minorés. Ce pourrait donc être une bonne idée que de pouvoir « décontracter » l’intangibilité des bilans, en acceptant et en se donnant les moyens de mesurer la situation économique réelle de l’entreprise.

L'analyse discriminante ne biaise-t-elle pas la perception de la réalité ?

La seconde question porte sur les méthodes et algorithmes très majoritairement utilisés pour le calcul des notes. Depuis Altman dans les années 1960 aux États-Unis, la démarche s’appuie sur l’analyse discriminante. Celle-ci consiste à dégager automatiquement les quelques ratios et leurs pondérations qui permettent de discriminer au mieux, dans une population d’entreprises, les « défaillantes » et les « saines ».

Cette approche est à la fois mathématiquement puissante et conceptuellement séduisante. Elle présente cependant plusieurs limites.

1. La sélection automatique des ratios retient les plus significatifs, en nombre limité. Or, il arrive souvent que des ratios essentiels à l’analyse d’une entreprise en particulier soient absents du panier des ratios retenus, ce qui peut déformer significativement la note résultante.

2. La première étape de l’analyse discriminante dégage des corrélations en vue de ne retenir que le ratio le plus significatif parmi ceux qui mesurent un concept proche, pour éviter sa surpondération. Ainsi la rentabilité de l’exploitation ne sera mesurée le plus souvent que sur le résultat courant avant impôt, en excluant l’EBE, le résultat d’exploitation et le résultat net. Or un bon ratio peut en cacher un autre, mauvais celui-là (ou bien sûr vice versa). Ainsi, notre expérience [2] nous montre qu’il arrive assez fréquemment qu’une note se trouve fortement pénalisée, ou indûment rehaussée, par l’élimination de certains ratios statistiquement considérés comme redondants.

3. La discrimination duale des entreprises défaillantes/saines est sans doute trop tranchée : les entreprises saines sont parfois des non défaillantes ou pas encore défaillantes. D’où une focalisation sur les entreprises défaillantes et une sous-exploitation de l’information concernant les saines.

4. la note résultante « mécanique » n’est pas expliquée aux parties prenantes (entreprises, financeurs, conseillers). Il s’agit d’une note algorithmique couperet : « ça passe ou ça casse [3] ». Et il s’en faut parfois de peu pour que le pouce de César ne pointe vers le bas, sans plus d’explications.

5. Enfin, bien que la méthode soit « scientifique », chaque partenaire financier de la PME génère une note différente : plusieurs thermomètres ne renvoient pas la même mesure, ce qui ne peut que susciter l’incompréhension ou la défiance…

Au total, la notation ne présente pas toujours les qualités requises d’un instrument de mesure : validité (représentant bien l’objet observé), fidélité (exempt d’erreurs accidentelles) et sensibilité (les scientifiques parlent de « finesse discriminative »).

Naviguer entre deux risques antagonistes

L’organisme financier se trouve fondamentalement devant un dilemme : se protéger contre un risque de défaut ou perdre un client. D’un côté, on sait assez bien mesurer statistiquement la probabilité du défaut et l’ampleur de la perte qui peut en découler, compte tenu des garanties associées à l’engagement. L’espérance mathématique de perte a pour objectif de réduire l’intuitif informel [4] du chargé d’affaires, ou de mieux l’alimenter pour renforcer la pertinence dans ses estimations. À l’opposé, quel est le coût d’opportunité que représente l’abandon au milieu du gué d’un client perçu comme à risque ? Une réponse possible pourrait être d’estimer la valeur actuelle nette des marges qu’aurait pu dégager dans le futur ce client bien accompagné et « redynamisé », augmenté du coût de la conquête d’un nouveau client pour le remplacer.

Sous un angle plus qualitatif, il faut également noter qu’une instruction « à charge » peut induire chez le chef d’entreprise une réaction d’opacité, de défense, pouvant aller jusqu’à la défiance. A contrario, une instruction « à décharge » peut contribuer à un surplus de transparence…

Au total, on retrouve le cœur de la difficulté des relations banque-entreprise : crainte et défiance du côté de la PME, méfiance et réflexe de protection du côté de la banque. Cette problématique est bien illustrée par le fonctionnement de la médiation du crédit. Les PME dans une situation « tangente » ont pu, dans environ 2 cas sur 3, maintenir ou accroître leurs concours bancaires avec cet appui d’influence institutionnelle (bien que sans légitimité législative ou réglementaire). Comme en témoignent les médiateurs René Ricol et Gérard Rameix, et les médiateurs délégués, notamment William Nahum, les difficultés viennent très souvent d’une « incommunicabilité » entre les interlocuteurs, la faute en revenant souvent à la PME en déficit de communication financière.

Un prochain article exposera une réponse possible à l’ensemble de ces problématiques, dans une évolution des pratiques qui ne remet pas en cause l’existant, mais fournit une dimension nouvelle [5] .

 



1 Ce premier article discute certains inconvénients des notations. Un article ultérieur se focalisera sur une démarche permettant de dépasser les craintes et instaurer la confiance en s’appuyant sur une notation que l’entreprise s’approprie, pour plus de transparence sur sa réelle situation économique. 2 Nous avons développé dans cette perspective l’ « Observatoire du benchmarking géo-sectoriel » qui, s’alimentant notamment des bilans de DIANE (1 300 000 sociétés), permet d’identifier instantanément ces distorsions. 3 Cela fait irrésistiblement penser au Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand : « C’est un peu court, jeune homme ! On pourrait dire […] bien des choses en somme. » 4 François Geoffroy, « L’informel dans la relation banque-entreprise », Revue française de comptabilité, n° 441, mars 2011. 5 Bernard Cohen-Hadad, « PME : pour une vision constructive de la notation », Échanges, mars 2012.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº754
Notes :
1 Ce premier article discute certains inconvénients des notations. Un article ultérieur se focalisera sur une démarche permettant de dépasser les craintes et instaurer la confiance en s’appuyant sur une notation que l’entreprise s’approprie, pour plus de transparence sur sa réelle situation économique.
2 Nous avons développé dans cette perspective l’ « Observatoire du benchmarking géo-sectoriel » qui, s’alimentant notamment des bilans de DIANE (1 300 000 sociétés), permet d’identifier instantanément ces distorsions.
3 Cela fait irrésistiblement penser au Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand : « C’est un peu court, jeune homme ! On pourrait dire […] bien des choses en somme. »
4 François Geoffroy, « L’informel dans la relation banque-entreprise », Revue française de comptabilité, n° 441, mars 2011.
5 Bernard Cohen-Hadad, « PME : pour une vision constructive de la notation », Échanges, mars 2012.