Trois récents décrets méritent commentaire : l’un concerne le plafonnement de la monnaie électronique anonyme, l’autre, le plafonnement des cartes prépayées, et le dernier, le plafonnement du paiement de certaines créances,.
Crainte. La monnaie électronique fait peur autant qu’elle résiste à l’analyse juridique. Nous en voulons pour illustration tant le décret n° 2016-1523 du 10 novembre 2016 relatif à la lutte contre le financement du terrorisme que le décret n° 2016-1742 du 12 décembre 2016 relatif au plafonnement des cartes prépayées. Curieusement, dans ce paysage de défiance, un plafond est rehaussé par le décret n° 2016-1985 du 30 décembre 2016 relatif au plafonnement du paiement en espèces des opérations de prêts sur gages corporels et des paiements effectués au moyen de monnaie électronique [1]. Voyons cela.
Le plafonnement de la monnaie électronique anonyme
Avant. Produit à faible risque de blanchiment (il ne faut pas oublier ce point de départ), la monnaie électronique pouvait demeurer anonyme aux conditions suivantes :
Dorénavant. Si l’article R. 561-16 nouveau du CMF reprend la condition d’une acquisition exclusive de biens ou de services ainsi que la valeur monétaire maximale stockée de 250 euros, il bouleverse les autres conditions d’anonymat de la monnaie électronique :
Dont acte. Dont acte (et de droit positif puisque cette disposition du décret est entrée en vigueur le 1er janvier 2017), en effet, dans la mesure où le Gouvernement français reprend quasi fidèlement les prescriptions inscrites à l’article 12 de la 4e directive antiblanchiment, sans faire toutefois jouer l’option qui lui était ouverte de doubler de 250 à 500 euros la limite maximale pour les instruments de monnaie électronique utilisables uniquement sur le territoire national. Dont acte, donc, même si c’est tout un modèle économique (et sans doute une utilité réelle) de la distribution de tickets ou de cartes de monnaie électronique en points de vente qui tombe. Dont acte, enfin, après avoir toutefois observé que le décret en question est du 10 novembre 2016 et qu’il précède ainsi l’ordonnance de transposition de la 4e directive Antiblanchiment (ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme [2]), qui a créé un article L. 561-9-1 dans le CMF, lequel dispose que « s’il n’existe pas de soupçon de blanchiment ou de financement du terrorisme, les personnes qui émettent de la monnaie électronique […] ne sont pas soumises aux obligations de vigilance prévues aux articles L. 561-5 et L. 561-5-1, sous réserve du respect de conditions notamment de seuils définis par décret en Conseil d’État »…
Le plafonnement des cartes prépayées
Il n’y a pas d’avant. Il n’y a pas d’avant car c’est une nouveauté issue de la loi Urvoas n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, qui a créé sous une section nouvelle « Plafonnement », l’article L. 315-9 du CMF : « La valeur monétaire maximale stockée sous forme électronique et utilisable au moyen d'un support physique est fixée par décret. / Le décret mentionné au premier alinéa fixe également le montant maximal de chargement, de remboursement et de retrait à partir de ce même support, en monnaie électronique anonyme et en espèces. Ces plafonds tiennent compte des caractéristiques du produit et des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme qu'il présente [3]. »
Les plafonds. Aussi bien, aux termes d’un article D. 315-2 nouveau du CMF issu du décret n° 2016-1742 du 15 décembre 2016, en vigueur dès le 1er janvier 2017 :
Appréciation. Voilà donc qu’apparaît dans le CMF, non pas une catégorie juridique (les termes ne sont pas utilisés dans le Code même si le décret s’intitule bien « relatif au plafonnement des cartes prépayées »), mais un régime (de défiance) propre, donc, aux « cartes prépayées », puisque c’est de cela dont il s’agit derrière les termes « supports physique ». Des cartes prépayées en général (capacité d’emport, retrait et remboursement) mais aussi des cartes prépayées « anonymes », puisqu’un plafond de 1 000 euros est fixé quant au chargement en espèces ou au moyen de monnaie électronique anonyme. Si bien que coexistent désormais un régime général (et antiblanchiment) de l’anonymat de la monnaie électronique (article R. 561-16 du CMF) avec un régime spécial (mais au titre de l’émission et de la gestion de la monnaie électronique) des cartes prépayées anonymes (article D. 315-2). Gageons qu’il y aura de quoi se prendre les pieds dans le tapis. Sachant que, par ailleurs, se développe une tendance certaine à l’absorption des cartes prépayées dans le régime l’« argent liquide », si l’on en croit cette dernière proposition (en date) de règlement européen antiblanchiment, du 21 décembre 2016, qui entend par argent liquide les espèces, les instruments négociables au porteur, les marchandises servant de réserve et… les cartes prépayées ; qui définit la carte prépayée (c’est peut-être une première) comme « une carte nominative sur laquelle sont déposés une valeur monétaire ou des fonds qui peuvent servir pour des opérations de paiement, pour l’acquisition de biens ou de services ou pour le remboursement d’espèces, et qui n’est pas liée à un compte bancaire » [4].
Le plafonnement du paiement de certaines créances
Prescription. La prescription remonte à l’ordonnance de transposition de la 3edirective Antiblanchiment [5] et veut que ne puisse être effectué en espèces (« ou au moyen de monnaie électronique » fut-il après ajouté) le paiement d'une dette supérieure à un montant fixé par décret, tenant compte du lieu du domicile fiscal du débiteur et de la finalité professionnelle ou non de l'opération (CMF, art. L. 112-6, I, al. 1er). La lutte contre la fraude fiscale et, toujours davantage contre le blanchiment et le financement du terrorisme, justifie cette interdiction.
Application. Un article D. 112-3 fut d’abord créé par un décret n° 2010-662 du 16 juin 2010, qui fixait à 3 000 euros le plafond lorsque le débiteur a son domicile fiscal en France ou agit pour les besoins d’une activité professionnelle, et à 15 000 euros au cas contraire. Après quoi ce premier plafond de 3 000 euros fut abaissé à 1 000 euros par le décret n° 2015-741 du 24 juin 2015, inscrit dans le plan d’action de lutte contre le financement du terrorisme présenté par le ministre Michel Sapin le 18 mars 2015.
Petite révolution. Ô, bien petite, mais petite révolution tout de même, dans la mesure où, depuis le 1er janvier dernier, et dans l’hypothèse d’un domicile fiscal français ou de besoins professionnels, espèces et monnaie électronique sont dissociées, le plafond des paiements en espèces demeurant à 1 000 euros cependant qu’il est rehaussé à 3 000 euros pour les paiements effectués au moyen de monnaie électronique (CMF, art. D. 112-3, I, 1° nouv.) [6]. Nous ne saurions cependant expliquer cette soudaine mansuétude à l’égard de la monnaie électronique, mais peu importe.
Achevé de rédiger le 12 janvier 2017.
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