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Régulation

Mesure du risque : le ratio de levier va chercher à s’imposer

Créé le

06.12.2013

-

Mis à jour le

03.01.2014

Contestée par plusieurs régulateurs, l'appréciation des risques des actifs bancaires par l'indicateur des Risk Weighted Assets (actifs pondérés des risques) pourrait bien être supplantée par le ratio de levier. Cet indicateur, frustre mais adapté au marché américain, déplaît aux banques européennes.

Un débat agité occupe la sphère habituellement feutrée des discussions entre régulateurs prudentiels. Ceux-ci – et il faut utiliser le pluriel, car en dépit de l'accroissement des pouvoirs du FSB, il n'y a pas (encore ?) de régulateur international unique, la BRI qui écrit les règles des accords de Bâle n'est en réalité qu'un lieu de création de compromis, mais non une Autorité avec un grand A – sont en train de revoir leurs outils de suivi de la robustesse des banques et la controverse fait rage entre, d'une part, les modèles internes et leurs RWA (voir Encadré) et le ratio de levier, d'autre part.

Dans la recherche des causes (et des coupables) de la crise, il est apparu assez vite que :

  • le cadre de Bâle II avait beaucoup de défauts, d'où la rapidité avec laquelle Bâle III a vu le jour ;
  • au milieu de nombreuses faiblesses, figurait le choix de laisser les banques définir largement par elles-mêmes, quels étaient leurs risques et donc leurs besoins de fonds propres.
Le choix des modèles internes, apparu lors de la mise en place de Bâle 1,5 sur les risques de marchés, date du milieu des années 1990 et reposait largement pour ce type de risques sur une appréciation assez peu prudente de la Value at Risk (VaR). Mais c'était l'époque où beaucoup de superviseurs avaient adopté une approche bienveillante, au « toucher léger » comme l'on disait à Londres. Les modèles internes ont été par la suite introduits pour suivre les risques de crédits avec l'entrée en vigueur de Bâle II en 2007-2008 et couvrent donc l'ensemble des risques bancaires.

Les RWA sur la sellette

Le constat posé assez tôt par de nombreux observateurs, notamment britanniques [1] , est que « le signal » donné par les pondérations ne marche pas. En effet, pendant la crise, les risques montent ; or les pondérations ont plutôt eu tendance à baisser à première vue. Le mouvement de baisse n'est cependant pas flagrant si l'on regarde les données publiées par les banques françaises au titre du pilier 3.

Mais l'on peut noter que les changements de méthodes et notamment le passage en méthodes internes d'une plus grande partie des portefeuilles (cas de BNP Paribas en 2009 ou de BPCE en 2012) ont une influence directe, certes explicable, sur les évolutions des pondérations apparentes, comme le montre le Tableau 1.

Des détails insuffisants

Les données sur les catégories de risques, prises séparément, mettent aussi en évidence un léger mouvement de baisse des pondérations qui n’est pas complètement intuitif. Ainsi, sur les risques de la catégorie corporate, on constate une légère hausse en 2009 pour Crédit Agricole et SocGen, mais la tendance générale est plutôt orientée à la baisse. Cela peut en partie s’expliquer par la bonne tenue du risque de la catégorie des grandes entreprises [2] , mais les analyses fournies par les banques dans les rapports piliers 3 ne sont pas très développées.

La réforme en cours des RWA

La dispersion des RWA apparents a fait l’objet d’études spécifiques de la part des régulateurs et en 2013, la BRI et l’EBA ont publié trois analyses sur ce sujet. Ces études partent à la fois de données publiées [3] et d’estimations de la charge en capital exigée par un portefeuille hypothétique qu’un échantillon de banques, pour les besoins de ces tests, a traité selon leurs modèles internes (26 portefeuilles de trading pour l’étude de la BRI de janvier 2013, par exemple).

Ces études mettent en évidence que la très forte dispersion apparente des pondérations (de l’ordre de 1 à 4 ou même de 1 à 5) peut s’expliquer en général pour plus de la moitié des écarts constatés par des différences très visibles de méthodes. Cependant comme le montrent les simulations réalisées sur des portefeuilles hypothétiques, l’écart résiduel non expliqué est largement réduit mais il demeure significatif puisqu’il va de 1 à 2 sur les portefeuilles de trading et de 1 à 1,5 sur les portefeuilles du livre bancaire. De ce fait la BRI a entamé un travail de refonte des règles (une revue fondamentale) qui est bien avancée sur les portefeuilles de trading [4] . Les réformes proposées comportent :

  • une limitation du rôle des modèles internes, certains portefeuilles trop complexes ou à pertes trop rares en sont exclus ;
  • une correction de certains résultats des modèles internes avec l’introduction de planchers (c’est-à-dire un niveau de risque minimal pour chaque type d’actif) ;
  • une utilisation réelle des modèles standards comme alternative crédible aux modèles interne. Sur ce dernier point la BRI a fait des propositions pour les rendre plus utilisables c'est-à-dire plus sensibles aux risques, mais avec des traitements prédéfinis. En cas de défaillance des modèles internes (backtesting médiocre) il sera donc possible d’imposer aux banques l’utilisation de modèles standards. Et pour que ceux-ci soient une référence utile, la BRI devrait demander la publication simultanée des pondérations selon les deux méthodes pour les banques qui utilisent les modèles internes.

Le ratio de levier tend à s’imposer

Ce travail de refondation est nécessairement long et dès lors un certain nombre de régulateurs et d’investisseurs plaident pour la mise en place rapide de ratios de levier, plus simples et tout aussi efficaces. C’est très largement la position de la nouvelle autorité prudentielle britannique, la PRA [5] , ou de la FDIC [6] américaine. C’est assez naturel pour des autorités américaines qui ont traditionnellement basé leur suivi sur ces ratios de leviers. Les partisans farouches du ratio de levier souhaitent leur accorder un statut prééminent et non secondaire. En effet ceux-ci figurent bien dans le cadre de Bâle III, et ont vocation après une phase d’acclimatation à passer en outils « du Pilier 1 », c'est-à-dire à avoir un impact sur les besoins de fonds propres de manière générale. Mais pour l’instant, le cadre de Bâle III leur accorde un statut d’outil de réserve (backstop) au cas où les ratios fondés sur les RWA ne seraient pas assez sensibles à l’apparition de risques. Les régulateurs qui ne sont pas favorables au compromis de Bâle III (RWA et ratio de levier) ont donc entamé un processus de « mise en valeur » du ratio de levier, qu’il s’agisse des États-Unis, de la Suisse ou de la Grande-Bretagne (pour les tests de stress). Le suivi détaillé des propositions montre que :

  • celles-ci sont finalement complexes car le ratio de levier doit désormais prendre en compte les risques potentiels des engagements hors bilan ;
  • l’appréciation des effets des dérivés et des repos (financements contre titres) sont très complexes.

Un marché américain très typé

Cette lutte d’influence devrait perdurer sur 2014, et pour en comprendre les enjeux il faut revenir aux accords initiaux de Bâle dans les années 1980. La pondération des risques avait été introduite pour tenir compte des différences de structures entre systèmes financiers et bancaires. L’organisation des banques américaines  est en effet très spécifique du fait de l’existence des agences Fannie Mae et Freddie Mac [7] et d’un large marché de titrisation de crédits « simples » et de masse. Les États-Unis ont fait le choix de laisser le marché occuper ce terrain et de ne conserver dans les banques que les actifs les plus difficiles à valoriser (actifs complexes moins liquides financés avec des dépôts liquides), ce qui signifie passer les risques « bons » au sens statistique au marché et garder les risques plus élevés dans les banques. Cela entraîne une volatilité plus grande des pertes et provisions (jusqu'à 3 % ou 4 % des crédits en bas de cycle et légèrement négatif en haut de cycle) et justifie ainsi un besoin de capital structurellement plus important pour les banques américaines que pour les banques européennes au vu des risques conservés dans les bilans. La mise en place du suivi prudentiel via ce ratio de levier aux États-Unis n’a cependant n’a pas empêché la faillite régulière de dizaines de petits établissements bancaires qui ne comportent qu’un métier (banque de détail) exercé sur un champ limité (quelques dizaines d’agences).

Le ratio de levier est un instrument micro-économique assez frustre – qualifié de Bâle zéro par de nombreux banquiers européens –, mais qui s’adapte bien à des modèles bancaires assez « typés ». Il est donc probablement prudent à ce stade de lui conserver un rôle de pilotage secondaire, non proéminent, associé à celui des modèles internes pour déterminer le capital requis au niveau de chaque banque. Par contre son utilité macroéconomique n'est pas à prouver ; le suivi de l’évolution des crédits grâce au ratio de levier donne bien un signal de bulle et ceci sert dans Bâle III de fondement aux coussins anticycliques [8] , un aspect macroprudentiel oublié par Bâle II.

 

1 Voir par exemple le rapport du président de la FSA, Lord Turner, publié en avril 2009 ou bien les études réalisées par A. Haldane, en charge de la stabilité financière à la Banque d’Angleterre (dont la célèbre étude intitulée « Le chien et le frisbee », août 2011). 2 L’essentiel des risques sur les PME est inclus dans la catégorie « détail ». 3 Les données ont été fournies par 16 banques désignées pour les risques de marchés dans l’étude de la BRI de janvier 2013 et par 89 banques dans l’étude de l’EBA de février 2013. 4 Voir le deuxième document consultatif publié en octobre 2013 : Fundamental Review of Trading Boob : a Revised Market Risk Framework. 5 Voir, par exemple, D. Brough, « Challenges to the IRB Framework », 29 avril 2013, disponible sur http://www.prmia.org. 6 Voir, par exemple, T. Hoenig, « Basel III capital, a Well Intented Illusion », 9 avril 2013, disponible sur http://www.fdic.gov/news/news/speeches/spapr0913.html. 7 Ces deux agences semi-publiques fournissent de facto aux banques américaines une assurance contre les risques qu’elles prennent en matière de crédit immobilier. 8 Voir, par exemple, BCE, Setting Countercyclical Capital Buffers Based on Early Warning Model – Will it Work?, novembre 2013.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº767
Notes :
1 Voir par exemple le rapport du président de la FSA, Lord Turner, publié en avril 2009 ou bien les études réalisées par A. Haldane, en charge de la stabilité financière à la Banque d’Angleterre (dont la célèbre étude intitulée « Le chien et le frisbee », août 2011).
2 L’essentiel des risques sur les PME est inclus dans la catégorie « détail ».
3 Les données ont été fournies par 16 banques désignées pour les risques de marchés dans l’étude de la BRI de janvier 2013 et par 89 banques dans l’étude de l’EBA de février 2013.
4 Voir le deuxième document consultatif publié en octobre 2013 : Fundamental Review of Trading Boob : a Revised Market Risk Framework.
5 Voir, par exemple, D. Brough, « Challenges to the IRB Framework », 29 avril 2013, disponible sur http://www.prmia.org.
6 Voir, par exemple, T. Hoenig, « Basel III capital, a Well Intented Illusion », 9 avril 2013, disponible sur http://www.fdic.gov/news/news/speeches/spapr0913.html.
7 Ces deux agences semi-publiques fournissent de facto aux banques américaines une assurance contre les risques qu’elles prennent en matière de crédit immobilier.
8 Voir, par exemple, BCE, Setting Countercyclical Capital Buffers Based on Early Warning Model – Will it Work?, novembre 2013.
RB