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Conduite et éthique

Lutte contre la corruption : quelles avancées attendre de la loi Sapin 2 ?

Créé le

19.01.2017

-

Mis à jour le

17.03.2017

La loi Sapin 2 ambitionne de redorer le blason de la France en matière de lutte contre la corruption. Quels sont les impacts réels de la loi pour les entreprises, et notamment celles du secteur financier ? S’avère-t-elle suffisante pour atteindre les objectifs escomptés ?

La loi 2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption, et à la modernisation de la vie économique a été publiée au Journal Officiel du 10 décembre dernier. Portée par Michel Sapin, déjà à la manœuvre sur le sujet de la lutte contre la corruption en 1993 [1] , « Sapin 2 » vise à répondre aux critiques qui portent sur la faiblesse de l’arsenal français en matière de lutte contre la corruption, qu’elles soient émises par l’OCDE, ou par des associations qui ont vocation à promouvoir la transparence et l’éthique dans la vie publique. Rappelons que Transparency International attribuait à la France, dans son dernier rapport annuel, un score de 70 sur une échelle de 0 à 100, évaluant ainsi les pays au regard de leurs dispositifs anticorruption, du plus corrompu au plus vertueux… ce qui plaçait la France au 23e rang sur 168 pays [2] … Peut mieux faire ! En mars dernier, Michel Sapin exposait à la presse son ambition, à savoir que cette loi devrait enfin « permettre de mettre la France au niveau des meilleurs standards internationaux dans le domaine de la transparence et de la lutte contre la corruption ».

Un retard à combler par rapport aux standards internationaux

Alors que la loi de 1993 avait fortement mis l’accent sur le renforcement de la transparence dans le champ de la politique et des pouvoirs publics, la France accuse un retard certain dès lors qu’il s’agit de montrer qu’elle attend l’exemplarité des acteurs économiques en la matière, et notamment de ses fleurons nationaux. Le retard s’avère encore plus significatif lorsqu’il s’agit de punir les mauvais élèves. Les amendes records dont la presse s’est fait l’écho, visant Total ou Alstom [3] , ont été prononcées aux États-Unis, et non pas en France… Par ailleurs, aucune entreprise française n’a été condamnée en France pour des faits de corruption internationale, même après avoir été incriminée lourdement aux États-Unis.

Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), bien que publié en 1977 dans un environnement très chahuté marqué par l’affaire du Watergate, reste ainsi plus que jamais d’actualité. Sa mise en œuvre demeure aux États-Unis une des priorités conjointes du Department of Justice (DOJ) et de la Securities and Exchange Commission (SEC). Le Royaume-Uni n’est pas en reste : le UK Bribery Act, publié en juillet 2011, est reconnu comme un des textes les plus exigeants en matière de lutte contre la corruption.

Les États-Unis sont connus pour le caractère extraterritorial de leurs lois, dès lors que sont impliqués des entreprises américaines, des citoyens américains, des transactions en dollars… Le UK Bribery Act intègre également une portée extraterritoriale : ainsi, les entreprises françaises y sont soumises dès lors qu’elles exercent une activité au Royaume-Uni (sous forme de filiale ou de succursale), ou qu’elles sont partenaires de sociétés qui y sont pleinement assujetties, et ce quel que soit le lieu de commission de l’infraction. Ceci étant dit, les grands acteurs français de l’économie devraient donc déjà disposer d’un dispositif solide en matière de lutte contre la corruption, et la loi Sapin ne devrait pas donc réinventer la roue… Qu’exige donc la loi de la part des entreprises ?

Les dispositions majeures introduites par la loi Sapin 2

En préambule, signalons que la loi prévoit la création d’une Agence française anticorruption (AFA). L’AFA remplacera l’actuel Service central de prévention de la corruption (SCPC) et devrait se voir allouer des moyens renforcés pour répondre à ses missions, notamment celle de contrôle, en cohérence avec son pouvoir de sanction : 70 personnes devraient ainsi rejoindre les effectifs de l’AFA. Ce chiffre peut sembler dérisoire par rapport à l’étendue de la tâche, mais constitue une envolée par rapport à la situation actuelle : le SCPC compte 12 personnes !

L’AFA aura, entre autres, pour mission de contrôler le respect, par les personnes assujetties, des mesures prévues au titre de l’article 17 de la loi. Cet article vise à ancrer le dispositif de lutte contre la corruption au sein de l’économie, par des mesures concrètes à la charge des entreprises :

  • élaboration d‘un code de conduite, intégré au règlement intérieur et illustrant les types de comportements à proscrire ;
  • mise en place d’un dispositif d’alerte interne à l’attention des salariés ;
  • réalisation d’une cartographie des risques visant à piloter les risques de corruption, en fonction des activités exercées et des zones géographiques ;
  • mise en œuvre de procédures d’évaluation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard des risques potentiels identifiés ;
  • mise en place de procédures de contrôles comptables visant spécifiquement à s’assurer que des cas de corruption ne sont pas masqués par des artifices comptables ;
  • déploiement d’un dispositif de formation à l’attention des personnels concernés,
  • définition d’un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;
  • déploiement d’un dispositif de contrôle interne permettant de s’assurer de la réalité de la mise en œuvre de l’ensemble de ces points.
Ces mesures s’appliquent notamment aux présidents, directeurs généraux et gérants de sociétés employant au moins 500 salariés [4] , et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros.

La loi a donc pour ambition de créer un véritable dispositif préventif, visant à éviter les manquements en matière de lutte contre la corruption, et ce même si aucun cas de corruption avérée n’est à signaler, ce qui va plus loin que les exigences du Bribery Act ou du FCPA. Ces deux textes de loi ont certes été complétés par des principes ou lignes directrices visant à illustrer les mesures attendues des législateurs, mais ces dernières ne présentent pas de caractère impératif. Dans l’esprit, certains points sont proches de Sapin 2, avec toutefois quelques nuances : un des six principes clés du Bribery Act est ainsi la formalisation et la révision régulière d’une cartographie des risques. Le DOJ et la SEC vont également dans ce sens et précisent quelques critères d’appréciation : industries concernées, pays, partenaires potentiels, degré d’implication de gouvernements dans l’opération… Néanmoins, s’agissant du Bribery Act, deux principes sont clairement exposés et absents de la loi en France : l’engagement fort du top management, qui se matérialise par un soutien affiché et une exemplarité, et le principe de proportionnalité, qui embarque les notions de flexibilité et de pragmatisme dans la mise en œuvre. Le DOJ et la SEC mettent également en avant, dans un guide publié en 2012 [5] , la nécessité de promouvoir au sein des organisations une culture qui encourage les comportements éthiques et un engagement fort de se conformer à la loi. Ils insistent largement sur l’engagement nécessaire du management au plus haut niveau (« high-level commitment… to a culture of compliance ») et rappellent qu’il faut être extrêmement vigilant à ne pas favoriser le profit à tout prix au détriment de l’éthique. Le document met également en exergue le caractère bénéfique que peuvent avoir les incentives, avec par exemple la mise en place de critères liés à l’éthique et la compliance pour la détermination des bonus et l’attribution des promotions.

Faut-il s’attendre à de réels impacts ?

Les grandes entreprises, tant dans le secteur industriel que financier, disposent déjà, au moins ose-t-on l’espérer, de cartographie des risques, de programmes de contrôles comptables et de formations – pas forcément établies, à l’origine, dans l’optique de prévenir le risque de corruption, mais davantage le risque opérationnel ou le risque de fraude. Une révision sous cet angle s’avérera peut-être nécessaire, mais le socle devrait être là. S’agissant des procédures d’évaluation des clients, fournisseurs, intermédiaires, les établissements financiers devraient pouvoir mutualiser l’approche avec la classification des risques établie à des fins de lutte contre le blanchiment des capitaux. Rappelons à ce titre que le sujet de la corruption présente une adhérence forte avec ce sujet, notamment au regard des diligences instaurées il y a quelques années à l’égard des personnes politiquement exposées (PPE). À ce propos, les débats liés aux travaux sur la 4e directive autour de la notion de PPE nationale ou résidante sont assez symptomatiques de l’approche de la corruption chez nous et du tabou qu’elle incarne encore [6] . Reste le point du code de conduite : là aussi, les entreprises industrielles auront peut-être davantage de travail que les établissements financiers, normalement dotés depuis plusieurs années de codes de conduite ou de déontologie.

Et à de réels changements ?

L’approche française, comme souvent, s’avère didactique : la loi est promulguée, qui édicte les choses à faire. Cette approche est nécessaire, mais non suffisante. En matière de corruption, comme sur bien d’autres sujets, c’est le comportement, individuel et collectif, qui marque la différence. Les guidelines américains insistent sur cette notion d’éthique. La posture individuelle et la culture collective, relayée à chaque niveau de l’organisation, constituent la clé d’un dispositif gagnant. L’enjeu est de faire évoluer les comportements, tant collectifs qu’individuels, à chaque niveau de l’organisation et de promouvoir les comportements vertueux. Convaincus que l’éthique n’est pas qu’une question de conformité aux lois et règlements, certains groupes bancaires ont annoncé récemment la création de fonctions dédiées à la conduite et à l’éthique. Le futur nous dira si les banques qui ambitionnent de relever ce challenge auront réussi à mettre en œuvre cette approche novatrice, au-delà des freins individuels et collectifs… Plus que jamais l’enjeu, pour les établissements, quel que soit leur secteur, est de démontrer qu’ils agissent selon une démarche cohérente, pragmatique et citoyenne, et non pas uniquement dans l’optique d’éviter une sanction administrative potentielle.

 

1 Loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
2 http://www.transparency.org/cpi2015.
3 Total : 245 millions de dollars ; Technip : 338 ; Alstom : 772. Il s’agit des montants transactionnels négociés entre ces entreprises et les autorités américaines, aucune d’entre elles n’ayant été finalement condamnée.
4 Ou bien appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros.
5 A Resource Guide to the US Foreign Corrupt Practice Act, 12 novembre 2012.
6 Pour rappel, la 3 e directive transposée en France en 2009 excluait les PPE résidant en France  du champ des obligations de vigilance spécifiques ; le débat a été relancé lors des travaux sur la 4 e directive pour aboutir finalement à la conclusion que toutes les PPE, quel que soit leur lieu de résidence, doivent faire l’objet d’un dispositif de vigilance complémentaire.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº806
Notes :
1 Loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
2 http://www.transparency.org/cpi2015.
3 Total : 245 millions de dollars ; Technip : 338 ; Alstom : 772. Il s’agit des montants transactionnels négociés entre ces entreprises et les autorités américaines, aucune d’entre elles n’ayant été finalement condamnée.
4 Ou bien appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros.
5 A Resource Guide to the US Foreign Corrupt Practice Act, 12 novembre 2012.
6 Pour rappel, la 3e directive transposée en France en 2009 excluait les PPE résidant en France  du champ des obligations de vigilance spécifiques ; le débat a été relancé lors des travaux sur la 4e directive pour aboutir finalement à la conclusion que toutes les PPE, quel que soit leur lieu de résidence, doivent faire l’objet d’un dispositif de vigilance complémentaire.