L'étude de sept CCP européennes révèle des différences dans leur interprétation du règlement EMIR. Pour harmoniser les pratiques, l'idée d'une supervision des CCP réalisée par une instance européenne, à l'instar du Mécanisme de supervision unique des banques, mérite d'être étudiée.
Dans la perspective de la mise en œuvre de l'obligation de compensation prévue par le règlement EMIR, Regulation Partners a réalisé une analyse comparative sur les chambres de compensation (appelées « contreparties centrales » dans le règlement EMIR [1], dénommées ci-après « CCP [2] »).
Rappelons qu'EMIR [3] a introduit une obligation de compensation pour les contrats dérivés de gré à gré ; la compensation permet non pas d'annuler le risque de contrepartie, mais de le transférer à la CCP.
C'est pour cette raison que des exigences de fonds propres sont prévues pour les expositions des établissements de crédit adhérents aux CCP [4]. Ce règlement prévoit notamment d'établir des procédures permettant à la direction générale de ces établissements de disposer régulièrement d'informations sur ces expositions.
Par ailleurs, l'exposition au risque de contrepartie d'un établissement passant par une CCP agréée par l'ESMA [5] permettra de bénéficier d'une pondération forfaitaire favorable de 2 % appliquée aux expositions envers ces CCP, tandis que pour les transactions non compensées ou compensées par une CCP non agréée par l'ESMA, c'est la méthode standard du risque de crédit qui s'applique [6].
Or, même si toutes les CCP agréées par l'ESMA [7] se doivent de respecter les règles édictées par le règlement EMIR, l'étude comparative menée par Regulation Partners en 2014 sur sept CCP européennes montre que l'application par les CCP des règles EMIR est loin d'être homogène.
Cadre de l'étude comparative
Pour effectuer cette étude, Regulation Partners a utilisé les documents publiés sur les sites Internet des CCP, puis a posé des questions complémentaires aux CCP entre les mois de janvier et mai 2014.
L'étude porte sur différents aspects du règlement EMIR, notamment :
Elle examine sept CCP, dont cinq sont désormais agréées par l'ESMA : LCH. Clearnet SA, Eurex Clearing, Euro CCP, CME Clearing Europe, European Commodity Clearing. Les deux autres sont SIX-x-clear Ltd et ICE Clear Europe
Gouvernance
EMIR (article 28)
La CCP établit un comité des risques composé de représentants de ses membres compensateurs, d'administrateurs indépendants et de représentants de ses clients.
Dans les faits
Parmi les sept CCP étudiées, trois indiquent le rôle et la composition du comité des risques :
Deux CCP (ICE Clear Europe et CME Clearing Europe) décrivent le rôle du comité des risques, mais sans mentionner la liste nominative de ses membres. En revanche, les deux autres CCP (EuroCCP et SIX x-clear Ltd) ne communiquent aucune information.
Plan de continuité d'activité
EMIR (article 34)
Les CCP établissent, mettent en œuvre et entretiennent une politique adéquate de continuité des activités et un plan de rétablissement après sinistre visant à préserver leurs fonctions, à assurer la reprise des activités en temps opportun et le respect de leurs obligations. Ce plan prévoit au moins la reprise de toutes les transactions en cours lorsque le dysfonctionnement est survenu, pour permettre aux CCP de continuer à fonctionner de manière sûre et d'achever le règlement à la date programmée
Dans les faits
Toutes les CCP interrogées déclarent avoir mis en place un plan de continuité d'activité. Six CCP sur sept communiquent sur leur site les grandes lignes de ce plan. EuroCCP est la seule à ne publier aucune information sur ce sujet ; elle prévoit néanmoins la possibilité d'obtenir des informations en lui envoyant un mail.
Règles d'admission
EMIR (article 37)
Les CCP établissent, le cas échéant par type de produit compensé, les catégories de membres compensateurs admissibles et les critères d'admission, suivant les conseils du comité des risques.
Ces critères sont non discriminatoires, transparents et objectifs, afin d'assurer un accès équitable et ouvert à la CCP. Ils garantissent que les membres compensateurs ont les ressources financières et une capacité opérationnelle suffisantes pour satisfaire aux obligations résultant de leur participation à une CCP.
Un autre texte s'applique aux règles d'admission : les principes pour les infrastructures de marchés financiers CSPR/OICV [8] – conditions d'accès et de participation (principe 18). Il prévoit qu'une infrastructure de marché financier devrait avoir des critères de participation objectifs, fondés sur une analyse des risques et rendus publics, permettant ainsi un accès équitable et ouvert.
Dans les faits
Six CCP définissent les catégories de membres compensateurs admissibles (general clearing member, direct/individual clearing member) et donnent des informations précises sur les critères d'admission à remplir pour devenir membres compensateurs (fonds propres, contribution au fonds de compensation, licence bancaire…) :
Pour sa part, SIX x-clear Ltd donne des informations sur les statuts requis (licence bancaire...) et définit un rating minimum pour les deux catégories de membres (general clearing member : A+/A1; individual clearing member : A-/A3).
Fonds de défaillance
EMIR (article 42)
Les CCP constituent un fonds de défaillance préfinancé pour couvrir les pertes dépassant les pertes à couvrir par les exigences de marge, qui résultent de la défaillance d'un ou de plusieurs membres compensateurs, y compris l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité. Les CCP fixent le montant minimal auquel le volume du fonds de défaillance ne peut en aucun cas être inférieur. La CCP peut établir plus d'un fonds de défaillance pour les différentes catégories d'instruments qu'elle compense.
Dans les faits
Peu de CCP communiquent un montant minimum pour les fonds de défaillance ; ce montant, lorsqu'il est défini, est variable selon les CCP. Lorsqu'une CCP dispose de plusieurs fonds de défaillance, les montants minimum diffèrent d'un fonds à l'autre. En effet, seules deux CCP ont défini un montant fixe pour leurs fonds de défaillance : LCH.Clearnet SA et SIX-x-Clear.
Exigences de marge
EMIR (article 41)
Les CCP imposent, appellent et collectent des marges auprès de leurs membres compensateurs et, le cas échéant, de CCP avec lesquelles elles ont des accords d'interopérabilité, afin de limiter leurs expositions de crédit. Ces marges sont suffisantes pour couvrir les expositions potentielles dont la CCP estime qu'elles surviendront jusqu'à la liquidation des positions correspondantes.
Dans les faits
Toutes les CCP ont mis en place un système de marge initiale et de marge de variation.
Exigences en matière de garanties
EMIR (article 46) :
Les CCP acceptent des garanties (collatéral) très liquides comportant un risque de crédit et de marché minimal pour couvrir leur exposition initiale et présente vis-à-vis des membres compensateurs.
Les CCP appliquent une décote appropriée à la valeur des actifs, en tenant compte de la perte de valeur potentielle qu'ils subiront dans le laps de temps séparant leur dernière réévaluation et le moment probable de leur liquidation.
Dans les faits (données réactualisées au 8 janvier 2015)
Les garanties acceptées comme collatéral peuvent varier significativement selon les CCP. À titre d'exemple, LCH.Clearnet SA accepte trois types de collatéral :
Pour sa part, Eurex Clearing accepte trois types de collatéral :
Les titres et les matières premières acceptés comme collatéral sont validés quotidiennement. Une décote est calculée pour chaque titre et pour les matières premières.
Ségrégation
EMIR (article 39)
Les CCP offrent de conserver des enregistrements et une comptabilité distincts permettant, à tout moment et sans retard, de distinguer dans leur comptabilité : les actifs et positions détenus pour le compte d'un membre compensateur ; les actifs et positions détenus pour le compte de tout autre membre compensateur ; leurs propres actifs.
Elles offrent de conserver des enregistrements et une comptabilité distincts permettant à tout membre compensateur de distinguer dans ses comptes auprès de la CCP ses propres actifs et positions de ceux détenus pour le compte de ses clients dans le cadre d'une ségrégation collective des clients.
Enfin, les CCP offrent de conserver des enregistrements et une comptabilité distincts qui permettent à chaque membre compensateur de distinguer dans ses comptes auprès de la CCP les actifs et positions détenus pour le compte d'un client de ceux détenus pour le compte des autres clients dans le cadre d'une ségrégation individuelle par client.
Dans les faits
Si les sept CCP étudiées ont toutes prévu des ségrégations collectives et des ségrégations individuelles pour les clients des membres compensateurs, leurs modalités de mise en œuvre varient.
À titre d'exemple, LCH.Clearnet SA prévoit deux types de ségrégation collective des clients :
Inversement, CME Clear Europe effectue la ségrégation du collatéral uniquement sur une base brute.
Conclusion
Si la définition des règles de fonctionnement des CCP pour se conformer à la réglementation EMIR constitue une avancée importante, il reste à mettre en œuvre des pistes d'amélioration dans leur harmonisation. En effet, l'analyse comparative des sept CCP pour les sept thèmes de notre étude fait apparaître que le niveau de communication des informations publiées par les CCP est disparate d'une chambre de compensation à l'autre.
Cette étude fait également ressortir une hétérogénéité dans les méthodologies utilisées par les différentes CCP, en particulier sur le montant des fonds propres, le fonds de défaillance et les collatéraux admis.
Concernant la supervision, les différences sont liées notamment au fait que les CCP n'ont pas l'obligation d'avoir un statut bancaire. Parmi les sept CCP analysées, quatre seulement (LCH.Clearnet SA, Eurex Clearing, ECC et SIX x-clear Ltd) ont le statut d'établissement de crédit, ce qui rend d'autant plus nécessaire, au-delà de la supervision réalisée localement, le rôle de coordination de l'ESMA au travers des collèges de régulateurs.
Notons de plus que LCH.Clearnet SA est la seule CCP à être intégrée dans le mécanisme de supervision unique de la BCE car elle est considérée comme un établissement de crédit important dans la zone euro, contrairement à Eurex Clearing et ECC.
Compte tenu des risques systémiques très importants que pourrait induire une supervision non homogène et de niveau variable selon les régulateurs et au-delà de la coordination de l'ESMA au travers des collèges de régulateurs, la piste d'une supervision européenne unique pour les CCP comme pour les établissements bancaires systémiques mériterait d'être étudiée.
D'autres étapes sont attendues, qui permettront de mieux maîtriser les risques systémiques des CCP. Après les recommandations sur le rétablissement des infrastructures de marché, publiées en octobre 2014 par le Committee on Payments and Market Infrastructures de la Banque des Règlements Internationaux et le Board de l'OICV/IOSCO (voir encadré), les normes spécifiques de résolution des CCP seront particulièrement à analyser.
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