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Les accords de Bâle III en eaux troubles

Créé le

19.12.2012

-

Mis à jour le

21.12.2012

Rétrospective 2012 > Sommaire

 

Depuis la publication des recommandations de Bâle III en décembre 2010, une date est dans tous les esprits : le 1er janvier 2013. Pourtant, à l’heure où ce numéro part à l’impression, il semble évident que le calendrier initial ne sera pas tenu pour au moins 10 des 27 membres du Comité de Bâle : les États-Unis ont reporté sine die l’entrée en vigueur des mesures ; quant à l’Union européenne (UE) – qui compte 9 membres du Comité –, elle s’achemine elle aussi dans les faits vers un délai dans leur mise en œuvre. En effet, la directive et le règlement qui doivent traduire en droit européen les recommandations bâloises, communément désignés par l’acronyme CRD 4, n’en finissent pas d’être discutés en trilogue, les vues du Conseil et du Parlement peinant à se réconcilier. Le texte a pourtant été mis sur la table il y a un an et demi par la Commission européenne.

Entre-temps, il a singulièrement évolué, introduisant en particulier des marges de manœuvre nationales en matière de fixation du ratio : les régulateurs de chaque État membre pourront, s’ils le souhaitent, réclamer davantage de fonds propres à leurs banques pour couvrir un risque systémique. Cette disposition met à mal l’engagement de la Commission européenne à créer un single rule book, c’est-à-dire une réglementation unique pour toutes les banques de l’UE en matière d’exigences prudentielles. Face à cette incertitude réglementaire et à l’insistance des marchés, les banques européennes ont toutefois pris les devants et notablement relevé leurs fonds propres pour se rendre « Bâle III compatibles » avant l’heure, grâce à l’affectation de leur résultat au capital et à la réduction de leurs activités consommatrices de fonds propres.

Sur le front des ratios de liquidité, deuxième pilier des accords de Bâle III, une brèche semble en revanche ouverte, y compris au sein du Comité. Le calcul du ratio à un mois (LCR) sera selon toute vraisemblance revu en 2013, en particulier les hypothèses de fuite des dépôts des entreprises. Le coussin d’actifs liquides que les banques doivent constituer pourrait, quant à lui, être élargi. S’il est présent dans le texte de la CRD 4, le LCR fait pour l’instant uniquement l’objet d’un reporting des banques à leur superviseur, afin de donner au régulateur des éléments pour en mesurer sa portée réelle.

Une fois le dossier CRD 4 refermé, les banques n’en auront pour autant pas fini avec les évolutions prudentielles : le Comité a commencé à plancher sur une refonte des exigences en capital au titre du trading book. En jeu : la pertinence des modèles internes, accusés par certaines juridictions de minorer le risque des banques qui y ont recours. De quoi s’acheminer lentement vers une CRD 5.

 

Ils l'ont dit...

 

Financement du commerce international : le Comité de Bâle sourd aux arguments

« ​Le renforcement de la réglementation sur les fonds propres risque d’avoir une incidence sur le financement du commerce. Plus particulièrement, il peut avoir un impact sur le financement des échanges dans les pays en développement. Conscient de ce risque, le Comité de Bâle a entamé une concertation avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la Chambre de commerce internationale (CCI, ICC en anglais). Les résultats de cette concertation n’ont que faiblement infléchi la position initiale du Comité. […]

Bâle III réaffirme et renforce les exigences de fonds propres dans le domaine du commerce international, essentiellement :

  • au niveau du facteur de conversion en équivalent risque de crédit (FCEC), dans le cadre de la mesure fondée sur le risque appliquée aux lettres de crédit commercial à court terme ;
  • et au niveau de l’instauration du nouveau ratio de levier indépendant du risque.
Concernant le FCEC, deux critiques sont avancées : ce facteur imposé aux produits financiers utilisés lors d’opérations de commerce international est trop élevé et les réglementations Bâle II et III sont procycliques. Depuis 1988, la règle est de convertir en risque de crédit toutes les positions détenues par les institutions financières. Ainsi, le traitement des lettres de crédit commercial à court terme à dénouement automatique n’a pas évolué. […] Cette décision se fondait essentiellement sur le manque de données bancaires quant à la gestion de ces produits. En effet, jusqu’il y a peu de temps, celles-ci faisaient défaut. […] Cependant, une étude récente de la CCI apporte un nouvel éclairage. […] La durée de vie des produits financiers de commerce international est très courte ; tous produits confondus, la maturité n’était que de 115 jours en moyenne. […]

Ces résultats montrant qu’en aucune manière l’activité de financement du commerce international ne pouvait représenter une source de risque de crédit incontrôlé n’ont pas convaincu le Comité de Bâle. »

Daniel Santoni, enseignant-chercheur, GRANEM, Université d’Angers, Revue Banque n° 754, décembre 2012, pp. 60-63.

 

Les banques de taille moyenne face à Bâle III

« Les simulations que nous avons pu mener montrent, notamment pour les établissements de taille moyenne, des impacts directs et induits sur les quatre points évoqués (solvabilité, levier, liquidité, grands risques) qui en toute logique sont inversement proportionnels à leur taille.

Si la nouvelle déclinaison du ratio de solvabilité constitue un coût systématique en fonds propres, pour autant, nos analyses font ressortir des disparités liées à l’activité de l’établissement : tel établissement de caution sera en faiblesse sur les grands risques, telle entité de crédit-bail ou à bilan de très court terme sera en difficulté sur son ratio de liquidité, ou encore telle banque d’investissement sera littéralement freinée dans son développement par son ratio de levier.

De plus, les établissements d’envergure moyenne, moins surveillés par le marché du fait de la taille, ont tendance à prendre du retard pour simuler ces quatre sujets, en évaluer les réflexions et actions en découlant. Ce manque d’anticipation peut être coûteux en consommation de fonds propres, voire dommageable pour la pérennité de la banque. »

Jean-Michel Stra, Risk and Compliance Practice Leader, Investance, Revue Banque 754, décembre 2012, pp. 88-89.

 

Quatre fois plus de fonds propres pour les risques de marché

« L’évaluation du risque de marché est une des pierres angulaires de la réforme. L’approche existante, qui reposait sur la VaR (Value at Risk) “générale” et la VaR “spécifique”, a été complétée par trois autres composantes qui permettent une prise en compte des événements extrêmes : la VaR “stressée”, l’Incremental Risk Charge (IRC) et la Comprehensive Risk Measure (CRM).

Dans le cadre de son étude analysant les nouvelles exigences en capital liées au risque de marché des banques de financement et d’investissement, Sia Conseil a évalué l’augmentation de la mesure du risque de marché à 300 % en moyenne, avec des observations comprises entre 150 % et 600 % sur le périmètre de l’étude. […]

Le nouveau cadre réglementaire prudentiel prévoit également une restriction des fonds propres éligibles au calcul du ratio et une exigence accrue en fonds propres, c’est-à-dire un ratio plus élevé. La seule augmentation des ratios exigés entraîne une exigence supplémentaire en fonds propres pouvant atteindre jusqu’à 60 %. Ainsi, combinée à l’évaluation plus exigeante du risque de marché, l’augmentation des fonds propres requis par opération unitaire de marché a été évaluée par Sia Conseil entre 300 % et 1 000 %, avec une moyenne située à 450 %. »

Thomas Rocafull, directeur Services financiers, et Cédric Beaucoueste, Consultant senior Services financiers, Sia Conseil, Revue Banque n° 747, avril 2012, pp. 58-59.

 

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À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº755