IFRS 9 : la pierre d’achoppement

Sujet tr&egrave;s politique depuis la crise financi&egrave;re et sous haute surveillance du G20, la comptabilisation et l'&eacute;valuation des actifs financiers [1] fait l'objet d'un effort de convergence entre l' IASB [2] et le FASB [3] . Face &agrave; la faiblesse des r&eacute;sultats, certains observateurs n'h&eacute;sitent plus &agrave; affirmer que l' IFRS 9 [4] pourrait &ecirc;tre un pr&eacute;texte suffisant pour ent&eacute;riner un divorce entre le FASB et l'IASB. La convergence ne serait plus une priorit&eacute;. Comment en est-on arriv&eacute; l&agrave; ? Depuis 2008, en collaboration avec le FASB, l'IASB r&eacute;vise la norme IAS 39 (&laquo; instruments financiers : comptabilisation et &eacute;valuation &raquo;) selon un processus en trois phases : la classification et l'&eacute;valuation des actifs et passifs financiers (phase 1) ; la d&eacute;pr&eacute;ciation des actifs financiers (phase 2) ; la comptabilit&eacute; de couvertures (phase 3). Cette collaboration a pour objectif de faire converger les normes IFRS et am&eacute;ricaines. Si d'importants progr&egrave;s ont &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;s en 2012 sur la phase 1 pour aboutir &agrave; une norme proche de celle du FASB, force est de constater des difficult&eacute;s fondamentales quant &agrave; la convergence des approches retenues pour les phases 2 et 3. En particulier, la phase 2 se trouve dans une impasse depuis que le mod&egrave;le de d&eacute;pr&eacute;ciation choisi par l'IASB a &eacute;t&eacute; rejet&eacute; par le FASB. Cette impasse suscite des d&eacute;bats tr&egrave;s controvers&eacute;s et fait na&icirc;tre des interrogations au sein m&ecirc;me de la Commission europ&eacute;enne sur la d&eacute;finition de la convergence : la convergence peut-elle &ecirc;tre atteinte avec deux normes diff&eacute;rentes ? Peut-elle viser les m&ecirc;mes objectifs et pr&eacute;senter des mod&egrave;les similaires tout en &eacute;tant en d&eacute;saccord sur certains d&eacute;tails ? Quel doit &ecirc;tre le r&ocirc;le des &Eacute;tats-Unis dans la gouvernance de l'IASB et dans la d&eacute;finition de normes qu'ils n'appliqueront probablement jamais ? Un v&eacute;ritable enlisement D&eacute;sormais, la classification des actions et des d&eacute;riv&eacute;s (phase 1) est assez semblable selon les normes IFRS et am&eacute;ricaines, m&ecirc;me si certains points restent encore &agrave; harmoniser. En revanche, la classification des obligations a fait l'objet de d&eacute;bats nourris. Pour r&eacute;soudre les points d'achoppement, les discussions se concentrent sur les caract&eacute;ristiques des flux contractuels des actifs financiers, la cat&eacute;gorie &laquo; juste valeur par autres &eacute;l&eacute;ments du r&eacute;sultat global &raquo; (FVOCI) des instruments de dettes et la possibilit&eacute; d'une s&eacute;paration des actifs financiers hybrides. Ces r&eacute;flexions devraient aboutir &agrave; une proposition d'ici fin 2012. En ce qui concerne les flux contractuels, les mod&egrave;les des deux normalisateurs ont le m&ecirc;me objectif (identifier les instruments de dettes &eacute;ligibles aux cat&eacute;gories autres que celle de la FVPL ou &laquo; juste valeur par le compte de r&eacute;sultat &raquo;), mais les formulations diff&eacute;rentes avaient abouti &agrave; une classification distincte. Afin de converger, d'une part, le FASB a adopt&eacute; l'approche de l'IASB ( Solely Payment of Principal and Interest ) selon laquelle un actif financier est &eacute;ligible &agrave; une classification autre que celle de FVPL, lorsque les termes du contrat de l'actif financier donnent lieu uniquement &agrave; des paiements de principal et d'int&eacute;r&ecirc;ts sur le montant d&ucirc; &agrave; des dates sp&eacute;cifiques ; cela d&eacute;signe par exemple toute obligation dont les flux, variables ou fixes, refl&egrave;tent uniquement les variations de la valeur temps de l'argent et du risque de cr&eacute;dit de l'instrument, ce qui correspond au fonctionnement de la plupart des obligations ordinaires. D'autre part, l'IASB a de son c&ocirc;t&eacute; inclus une cat&eacute;gorie d'&eacute;valuation en FVOCI pour les instruments de dette d&eacute;tenus selon le mod&egrave;le &eacute;conomique &laquo; held to collect &raquo;, mais g&eacute;r&eacute;s avec l'objectif de les vendre avant la fin de leur &eacute;ch&eacute;ance (&laquo; held to collect and to sell &raquo;). Cette d&eacute;cision r&eacute;pond &eacute;galement au changement introduit dans le projet de norme sur les contrats d'assurance (IFRS 4), qui consiste &agrave; enregistrer obligatoirement en FVOCI l'effet de la variation du taux d'actualisation sur les passifs d'assurance. L'option FVPL pour les instruments de dette reste bien s&ucirc;r aussi disponible pour r&eacute;duire les &eacute;ventuelles distorsions comptables actifs-passifs. En ce qui concerne les actifs hybrides, les normalisateurs europ&eacute;ens et am&eacute;ricains se sont enfin mis d'accord pour que les actifs financiers dont les flux ne sont pas uniquement des paiements de principal et int&eacute;r&ecirc;ts sur les encours (par exemple une obligation convertible) ne soient pas s&eacute;par&eacute;s et soient &eacute;valu&eacute;s dans leur totalit&eacute; en FVPL. De tr&egrave;s nombreux efforts ont ainsi &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;s des deux c&ocirc;t&eacute;s de l'Atlantique pour r&eacute;duire les divergences sur la phase 1. Toutefois, la convergence n'est pas encore atteinte. Le FASB ne reconna&icirc;t pas la classification optionnelle des actions en FVOCI promue par l'IASB en vue de r&eacute;duire la volatilit&eacute; du compte de r&eacute;sultat. R&eacute;ciproquement, l'approche du co&ucirc;t ajust&eacute; pour les actions &laquo; non n&eacute;gociables [5] &raquo; retenue par le FASB n'a pas &eacute;t&eacute; reprise par l'IASB. &Agrave; ce stade, d'ici la fin 2012, l'IASB ne pr&eacute;voit qu'un r&eacute;examen limit&eacute; de la norme. La date de finalisation de la norme IFRS 9 est encore inconnue, mais l'entr&eacute;e en vigueur de la phase 1 est pr&eacute;vue &agrave; partir du 1 er janvier 2015. Pas de convergence pour la comptabilit&eacute; de couvertures ? La comptabilit&eacute; des couvertures (phase 3) est un ambitieux chantier puisque l'IAS 39 engendre des impacts comptables tr&egrave;s d&eacute;cri&eacute;s par le secteur financier et qui vont &agrave; l'encontre des objectifs [6] de l'IASB. L'IASB et le FASB ne sont pas dans le m&ecirc;me &eacute;tat d'esprit sur cette phase 3. L'IASB souhaite revoir int&eacute;gralement les principes de la comptabilit&eacute; de couverture tandis que le FASB propose simplement que de proc&eacute;der &agrave; quelques modifications sur des probl&eacute;matiques tr&egrave;s sp&eacute;cifiques. Aussi, il est apparu clairement aux normalisateurs europ&eacute;ens et am&eacute;ricains que la convergence serait vaine et qu'il &eacute;tait pr&eacute;f&eacute;rable que les deux instances travaillent s&eacute;par&eacute;ment. Les utilisateurs des normes sont donc convi&eacute;s &agrave; commenter les propositions des normes europ&eacute;ennes et am&eacute;ricaines s&eacute;par&eacute;ment, sans le souci de la convergence. &Agrave; ce stade, les propositions avanc&eacute;es sur la phase 3 par l'IASB ( review draft publi&eacute; en septembre 2012) ne s&eacute;duisent pas le FASB qui, par ailleurs, a d&eacute;cid&eacute; de ne reprendre les discussions sur la comptabilit&eacute; de couvertures que lorsque la phase 1 sera compl&eacute;t&eacute;e, afin d'identifier les interactions entre les diff&eacute;rents mod&egrave;les. Il devrait alors &eacute;valuer les propositions de l'IASB, mais la probabilit&eacute; de convergence est tr&egrave;s faible. D&eacute;sormais, &eacute;tant donn&eacute; que les travaux continuent sur les phases 1 et 2 et que la comptabilit&eacute; de couvertures n'est qu'optionnelle, la convergence de la phase 3 ne fait pas partie des priorit&eacute;s des normalisateurs. L'objectif de l'IASB est de publier le texte d&eacute;finitif sur la phase 3 avant la fin de l'ann&eacute;e. Phase 2 : des divergences importantes Le mod&egrave;le actuel de d&eacute;pr&eacute;ciation des actifs ( Incurred Loss Model ) repose sur une reconnaissance des pertes dans les comptes, d&egrave;s lors qu'il existe des preuves de leur survenance (&eacute;v&eacute;nement d&eacute;clencheur ou estimation fiable des pertes) et non sur un mod&egrave;le des pertes attendues ( Expected Loss Model ) qui permet de lisser les pertes dans le temps. Face aux vives critiques du mod&egrave;le de l'IASB en pleine tourmente financi&egrave;re, le G20 a demand&eacute; un mod&egrave;le commun IASB-FASB bas&eacute; sur un mod&egrave;le des pertes attendues. Dans cette perspective, la proposition de l'IASB, le &laquo; Three bucket model &raquo;, consiste &agrave; classer au moment de leur premi&egrave;re comptabilisation tous les actifs [7] dans une cat&eacute;gorie appel&eacute;e bucket 1. &Agrave; chaque date de reporting , les actifs sont &eacute;valu&eacute;s. S'il n'est pas constat&eacute; de d&eacute;t&eacute;rioration non n&eacute;gligeable de la qualit&eacute; de cr&eacute;dit depuis la premi&egrave;re comptabilisation de l'actif et une possibilit&eacute; raisonnable que tout ou partie des flux contractuels ne soit pas r&eacute;cup&eacute;r&eacute;, alors ils restent dans la cat&eacute;gorie bucket 1 et la provision sera &eacute;gale aux pertes attendues sur un horizon de 12 mois. Dans le cas contraire, ils &eacute;volueront dans la cat&eacute;gorie bucket 2 (&eacute;valuation d'un portefeuille d'actifs) ou bucket 3 (&eacute;valuation d'actifs individuels). Dans ce cas, la provision correspond aux pertes attendues sur toute la dur&eacute;e vie de l'actif. Cette proposition a &eacute;t&eacute; critiqu&eacute;e imm&eacute;diatement compte tenu de sa complexit&eacute; (d&eacute;termination des pertes &agrave; venir dans les 12 mois et d&eacute;finition de la d&eacute;t&eacute;rioration de la qualit&eacute; de cr&eacute;dit pour transf&eacute;rer les actifs dans les buckets 2 et 3). Les utilisateurs des &eacute;tats financiers ont en outre demand&eacute; &agrave; l'IASB de s'assurer que les b&eacute;n&eacute;fices de cette approche sont sup&eacute;rieurs aux co&ucirc;ts de mise en œuvre, et ont parfois m&ecirc;me pr&eacute;conis&eacute; un retour aux pr&eacute;c&eacute;dents mod&egrave;les [8] . Le FASB a quant &agrave; lui &eacute;t&eacute; peu convaincu de la capacit&eacute; de ce mod&egrave;le &agrave; refl&eacute;ter le risque de cr&eacute;dit et a pr&eacute;f&eacute;r&eacute; d&eacute;velopper son propre mod&egrave;le appel&eacute; &laquo; Current Expected Credit Loss model &raquo;. Les concepts de reconnaissance des pertes attendues et des effets de la d&eacute;t&eacute;rioration de la qualit&eacute; de cr&eacute;dit sur la capacit&eacute; &agrave; recouvrir les flux d&eacute;finis avec de l'IASB sont conserv&eacute;s, mais en revanche, une provision pour pertes tout au long de la vie de l'actif devra &ecirc;tre enregistr&eacute;e au moment de l'achat de l'actif. Au regard de ces fortes divergences, la convergence semble compromise et chacun des normalisateurs comptables a d&eacute;cid&eacute; de publier son exposure draft sur son propre mod&egrave;le. Celui de l'IASB est attendu d'ici la fin de l'ann&eacute;e. La SEC maintient le suspens Au-del&agrave; des difficult&eacute;s de convergence sur la comptabilisation et l'&eacute;valuation des actifs financiers, un dernier pav&eacute; dans la mare a &eacute;t&eacute; jet&eacute; par la SEC [9] qui vient de reporter sa d&eacute;cision sur l'adoption des normes IFRS et ne se donne pas de d&eacute;lai pour arr&ecirc;ter sa d&eacute;cision. En juillet 2012, elle a publi&eacute; un rapport sur les probl&eacute;matiques de l'adoption des IFRS aux &Eacute;tats-Unis, pr&eacute;sentant une analyse des co&ucirc;ts et des b&eacute;n&eacute;fices de l'adoption de ces normes. M&ecirc;me si ce rapport n'&eacute;tait pas cens&eacute; pr&eacute;senter l'avis d&eacute;finitif de la SEC, ni de formuler de recommandations sur la pertinence ou non d'adopter les IFRS et sur le calendrier d'adoption le cas &eacute;ch&eacute;ant, beaucoup d'attentes se sont cristallis&eacute;es sur ce rapport qui refl&egrave;te l'&eacute;tat de l'avancement du processus de convergence. Selon ce rapport, l'adoption pure et simple des normes IFRS n'est pas soutenue aux &Eacute;tats-Unis. Les investisseurs ne sont pas favorables non plus &agrave; l'option d'une adoption sur une base volontaire, mais ils seraient favorables &agrave; l'exploration d'autres approches pour int&eacute;grer les IFRS. Certains esp&egrave;rent que la SEC proposera de d&eacute;finir une version am&eacute;ricanis&eacute;e des normes IFRS, qui coexistera avec les normes US GAAP. Les tribulations de la mise en œuvre de l'IFRS 9 t&eacute;moignent de la difficult&eacute; grandissante &agrave; d&eacute;finir des concepts comptables communs entre les normalisateurs europ&eacute;ens et am&eacute;ricains. Elles soul&egrave;vent plus g&eacute;n&eacute;ralement les probl&egrave;mes de gouvernance des r&eacute;gulateurs et le r&ocirc;le des politiques, en particulier du G20. Les controverses sur la norme IAS 39-IFRS 9 qui sont n&eacute;es depuis plus d'une d&eacute;cennie ont malheureusement pour les utilisateurs des normes encore de beaux jours devant elles. (Voir aussi l'interview de Michel Prada, RB n&deg; 753 ) 1 Cf. notamment L. Escaffre, P. Foulquier et P. Touron, &laquo; Juste valeur ou non : un d&eacute;bat mal pos&eacute; &raquo;, Edhec Position Paper , novembre 2008 2 International Accounting Standards Board. 3 Financial Accounting Standards Board. 4 Anciennement IAS 39 5 Les entit&eacute;s d&eacute;tenant des actions non n&eacute;gociables (non marketable equity securities) peuvent opter, lors de la premi&egrave;re comptabilisation, pour une valorisation de ces investissements &agrave; leur co&ucirc;t ajust&eacute; i) des pertes pour d&eacute;pr&eacute;ciation (si des facteurs qualitatifs indiquent que l&rsquo;instrument peut &ecirc;tre d&eacute;pr&eacute;ci&eacute;) et ii) des variations de prix observables de transactions identiques ou similaires du m&ecirc;me &eacute;metteur. 6 P. Foulquier et P. Touron; &laquo; Comptabilit&eacute; de couverture en IFRS : un accroissement de la volatilit&eacute; des comptes artificiel et infond&eacute; &raquo;, Banque &amp; Strat&eacute;gie n&deg; 266, janvier 2009. 7 &Agrave; l&rsquo;exception des actifs achet&eacute;s avec une d&eacute;cote importante qui seront class&eacute;s directement dans les buckets 2 ou 3. 8 Cf. Supplementary Document Financial Instruments: Impairment et Exposure Draft Financial Instruments: Amortised Cost and Impairment . 9 Securities and Exchange Commission.

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IFRS 9 : la pierre d’achoppement

La convergence entre les normes comptables américaines (les US GAAP, élaborées par le FASB) et les IFRS ressemble à un chantier à la dérive. Les difficultés rencontrées sur l'IFRS 9 pourraient servir de prétexte pour entériner un divorce entre le FASB et l'IASB.

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