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Gouvernance bancaire : Volcker, Vickers et Barnier ?

Créé le

21.02.2012

-

Mis à jour le

29.02.2012

La crise financière de 2008 a suscité des tentatives nombreuses pour mieux maîtriser les systèmes financiers. Ainsi, la Volcker Rule américaine interdit aux banques les activités de trading pour compte propre, tandis que le rapport britannique Vickers prône un cantonnement des activités de banque de détail. Pour éviter que ces règles ne s’appliquent de façon insatisfaisante aux banques européennes, la Commission européenne devrait rapidement prendre position entre ces deux approches.

L’année dernière, les autorités américaines ont proposé une réforme – la Volker Rule – visant à interdire, sauf exceptions, les activités de portefeuille de négociation pour compte propre (proprietary trading sur fonds propres) en dehors de la frontière fixée par la règle ; les autorités britanniques ont pour leur part souhaité cantonner l’activité de dépôts des banques commerciales au travers de la règle Vickers. De son côté, sans que l’on en connaisse déjà les orientations, le Commissaire européen Barnier a créé un groupe de travail afin d’édicter, sans doute, une règle européenne.

On le voit, les deux approches proposées actuellement, en attendant la troisième, ne visent pas les mêmes domaines et ne partent pas des mêmes postulats : contraindre les activités de banque d’investissement réalisées sur compte propre pour l’une, éviter la perte des dépôts pour l’autre.

L’objet, en revanche, peut être compris comme similaire : éviter les débordements des banques de marché ou stabiliser les banques de dépôts – les deux visent en fait, directement ou indirectement, à protéger les dépôts et à limiter l'appel éventuel aux contribuables à cette seule activité.

De façon générale, on peut remarquer que ces deux approches relèvent de l’administratif et non pas du prudentiel, une approche pourtant favorisée ces vingt dernières années, qui, elle, vise à contraindre le risque par les prix, notamment par une meilleure évaluation de ce dernier, par des charges en fonds propres adéquates aux risques ou par des outils et des règles de surveillance – probabilité de défaillance et pertes en cas de défaut. Il s’agit donc, pour ces deux règles nouvelles que sont Vickers et Volcker, d’un retour en arrière sur l’évolution de ces vingt dernières années.

Quelles sont les modalités de ces deux règles, leurs impacts possibles, notamment pour les banques d'Europe continentale ? Quelle forme souhaitable pourrait prendre la future règle européenne ?

La règle Vickers

Le 16 juin 2010, le Chancelier de l’Échiquier George Osborne a annoncé la création d’une Commission sur les banques présidée par Sir John Vickers. L'objectif était de proposer une réforme qui assurerait plus la stabilité du système bancaire contre des chocs futurs et qui, surtout, protégerait mieux les déposants et faciliterait une résolution de crise plus aisée et moins coûteuse pour le pays. Le 12 septembre 2011, le Rapport Vickers proposait un cantonnement (ring-fencing) de la partie banque de détail. La Commission Vickers a proposé que ces règles soient mises en œuvre au début de 2019, en liaison avec celles de Bâle III.

La règle : un cantonnement (ring fencing) de la partie banque de détail

L’idée est de placer la banque de détail domestique derrière une barrière, sans pour cela casser les groupes : ce n’est donc pas un nouveau Glass-Steagall, ni de la banque étroite (« narrow banking »), pas plus qu'une mesure visant à placer la partie détail des groupes dans des entités complètement séparées des groupes bancaires.

La règle Vickers détermine quels sont les clients et activités qui doivent être cantonnés, ainsi que les liens possibles entre les entités cantonnées et le reste du groupe. De façon plus précise, il s’agit d’isoler les « services bancaires vitaux » (minimum) à destination des ménages et des PME. Seules ces banques cantonnées auront le droit de fournir ces services dits « mandated services ». Il s’agit de services de caisse ou de découvert, ainsi que des dépôts et crédits à la clientèle et aux petites et moyennes institutions. Sur ces banques, le niveau des garanties serait réduit, de façon à éviter la prise de risque attachée au hasard moral.

Les seules activités permises sont donc la fourniture de services qui ne sont pas interdits, les activités connexes n’étant permises que si elles sont indispensables à la fourniture d’un service autorisé et non en tant qu’activité ou ligne de métier séparée (« stand alone »). Par exemple, pour les opérations de trésorerie, celles permises ne doivent qu’être strictement liées et indispensables à la fourniture des services et opérations permises.

Des amendements restent possibles

Les discussions ne sont pas terminées en Grande-Bretagne et il est possible que des amendements soient proposés, suite aux efforts des banques anglaises et d’autres pays assez peu enthousiastes pour ces nouvelles règles contraignantes et coûteuses, tant en fonds propres qu’en frais d’organisation. On remarquera toutefois que contrairement à la règle Volcker, qui tente d’imposer une extraterritorialité, la règle Vickers ne s’applique qu’aux banques anglaises ou plus précisément aux banques britanniques et aux succursales britanniques de banques hors de l’AELE (donc ni de la Suisse ni des îles anglo-normandes).

Il est à noter que les exigences en capital [1] apparaissent plus élevées que celles requises par Bâle (et donc par l’Europe, au titre de la CAD IV). Or, sur le plan du droit, la CAD IV est en théorie d’harmonisation maximale, c’est-à-dire que les États membres ne doivent pas pouvoir augmenter les exigences.

En l’absence de changement sur le contrôle du risque de crédit et de son provisionnement, on peut s’interroger sur l’efficacité du système complexe et probablement difficile à maintenir que souhaiteraient monter les Britanniques. Comment, par exemple, assurer que la partie hors barrière pourra, en toutes circonstances, fournir les moyens nécessaires à la banque cantonnée, alors que des risques seront transférés et naîtront dans la partie hors barrière qui est non cantonnée ? Cette remarque vaudra également, mais en sens inverse, pour la règle Volcker.

La règle Volcker

La section 619 du Dodd-Frank Act est appelée la Volcker Rule. Cette dernière a depuis lors été codifiée à la Section 13 du Bank Holding Company Act of 1956 (BHCA). Elle vise à protéger le système bancaire américain (et in fine le contribuable) et notamment la partie banque de dépôts, des possibles excès des opérations de portefeuille de négociation réalisées pour compte propre.

La règle Volcker conduit donc à séparer (ring-fencing) les activités de négociation (trading) pour compte propre. Elle interdit également, pour cette partie de la banque, d’investir dans des hedge funds ou des fonds d’action non cotées (private equity). Les opérations pour compte propre devraient donc à l’avenir être cantonnées dans une structure séparée (« stand alone ») à laquelle des règles strictes de conformité et de reporting seront applicables.

Toutes les banques assurées par le FDIC (i.e. les banques exerçant une activité de dépôt – insured depository institutions) ainsi que leur maison-mère sont assujetties à cette règle, ainsi que toutes  les banques étrangères ayant une agence ou une succursale américaine et à tous leurs affiliés dans le monde possédés à plus de 25 %. L’ensemble des grandes banques étrangères qui travaillent aux États-Unis sont – sauf changement et si les discussions en cours reçoivent une issue favorable –touchées par cette règle extraterritoriale. Les seules exceptions concernent les cas où les transactions pour compte propre ont lieu totalement et exclusivement hors des États-Unis ; il en va de même pour les fonds (acquisition, détention ou sponsorship) en dehors des États-Unis.

La mise en œuvre

Il est prévu que la règle Volcker entre en place au 21 juillet 2012. Les établissements auront 2 ans pour se conformer totalement, la date butoir étant fixée au 21 juillet 2014. Les textes prévoient un éventuel prolongement d’1 an, trois fois de suite (ce qui repousserait la date de mise en conformité au 21 juillet 2017), mais l’opinion prévaut que les cas d’extensions seront rares. Toutefois, il est possible que les remarques et critiques ou un changement d’administration amènent des modifications. Ainsi, les banques américaines mettent en avant les difficultés que la règle pourrait entraîner sur le marché des Exchange Traded Funds (EFT) et demandent une exemption en raison de l’importance, pour elles, de cet outil de gestion.

Les impacts

Pour les banques américaines, la mise en place s’avérera certainement coûteuse et complexe. L’impact économique net est, on l’a vu, plus difficile à mesurer aujourd’hui. Mais il est vraisemblable que certains segments d’activité pourraient se réduire, la liquidité notamment en dollars de certains compartiments devrait souffrir, notamment sur les transactions entre les États-Unis et le reste du monde.

Pour les banques européennes importantes, en raison de l’optique d’extraterritorialité prise par les autorités américaines, celles désirant avoir une activité aux États-Unis devront se conformer aux règles, sauf si un accord d’équivalence avec une future règle européenne arrive à être établi – comme l’Europe le fait dans le monde de l’assurance pour la réglementation Solvabilité II. La question de la possibilité pour les banques américaines d’avoir la capacité de continuer à acheter des obligations de fonds souverains européens est à cet égard importante.

Alors que le traitement du « trading book » a pris du retard à Bâle, mais que l’Europe a pris toutefois de l’avance via la CRD III (transcrivant Bâle 2.5), la décision unilatérale des États-Unis va en compliquer la solution.

Une règle communautaire ?

Face au développement inopiné de règles aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il est difficile pour l’Europe de ne rien dire ou de ne rien faire. Le Commissaire Barnier a décidé de créer un groupe de travail sur ce thème. Les premières orientations ne sont pas publiques.

On peut s’interroger sur la nécessité – et de sa possible compatibilité – d’une règle européenne. Elle n’est peut-être pas absolument indispensable. L’Europe, en effet, contrairement aux États-Unis, a appliqué Bâle II et va appliquer Bâle III (la CRD IV). S’il était décidé d’en faire une, il faudrait qu’elle soit simple pour être efficace, sachant que les grandes banques auront à mettre en œuvre une forme de règle Volcker si elles veulent conserver des relations avec les États-Unis.

La règle Vickers n’est pas très attirante pour les superviseurs européens, généralement attachés à la notion de banque universelle.

Vers une troisième voie ?

La règle Volcker est un empilement de règles qui va s’appliquer aussi aux grandes banques européennes ayant des relations avec les États-Unis et, de fait, devenir probablement « obligatoire ». S'il était décidé de faire une règle européenne communautaire, une possibilité d’aboutir en gros aux mêmes buts que ceux visés par la règle Volcker serait de limiter la banque de négociation pour compte propre à 7 à 10 % du total des fonds propres prudentiels avec, au besoin, une modulation en fonction de l’excédent des fonds propres par rapport au ratio cible. L’objet est d’éviter que la perte due à cette activité ne dépasse en toute éventualité 7 à 10 % du Tier 1, pour ne pas mettre en danger une banque et éviter ainsi de créer un possible risque systémique. Il conviendrait également, pour ce faire, de limiter l’usage des produits très risqués : ceux dont la perte peut dépasser la valeur du nominal, ainsi que d’autres produits, dont les plus dangereux sont aussi ceux dont l'évaluation est entachée d'une grande incertitude, notamment parce qu'elle repose sur des paramètres non observables, pour reprendre la terminologie comptable. En cas de panique sur les marchés, ces valorisations, très sensibles aux informations, s'écroulent et la perte qui en résulte est largement supérieure à ce qu'un modèle basé sur une distribution normale des évolutions de prix anticipe.

Si l’on veut malgré tout éviter l’effet de contagion et que la notion de muraille de Chine semble insuffisante, il est possible de limiter les conflits d’intérêts en obligeant la partie cantonnée de la banque en proprietary trading à ne pas négocier avec le reste du groupe, pour interdire un jeu entre les positions pour compte propre et l’intérêt de ses clients. Il serait possible enfin, au besoin, de retirer du portefeuille contraint certaines lignes de métier (teneur de marché, par exemple).

Par ailleurs, sans appliquer la règle Vickers, on pourrait réfléchir à certains principes de protection de la partie banque de dépôts basique – via par exemple les plans de résolution, rendus alors plus aisés. En revanche, contraindre totalement la partie banque de dépôts et laisser la partie hors frontière Vickers libre d’agir sur la Place de Londres a peu de chance de garantir à terme et pour toujours la stabilité de l’ensemble. Ainsi, demander que la partie du groupe hors frontière Vickers soutienne toujours et en toutes circonstances la partie cantonnée semble relever plus d’une espérance que d’une garantie efficace.

Cette règle serait sans doute plus simple à mettre en œuvre et à surveiller que les règles Vickers et Volcker, et donc probablement plus efficace.

Une reconnaissance d’équivalence

Pour le reste, les réglementations prudentielles déjà en place ou à venir sous peu devraient permettre de limiter les risques sur la partie commerciale de la banque. L’arbitrage est entre une réglementation « prudentielle » basée sur les principes et une réglementation « administrative » basée sur des règles extrêmement précises dont l’expérience montre que, finalement, une brèche finit par s’ouvrir par où le danger arrive. La ligne Maginot en est l’exemple.

Bien sûr, le mieux serait qu’une reconnaissance d’équivalence soit établie avec les États-Unis, plutôt que l’application de l’extraterritorialité dans les deux sens. C'est le sens de la démarche de l’ensemble des autorités françaises dans un courrier conjoint récent. L’Europe peut et doit trouver sa propre voie entre ces deux approches.

 

Donnez votre avis : Volcker ou Vickers : qui vous fait le plus peur ?

1 Les banques cantonnées, qui ont des actifs pondérés (ou RWA) supérieurs à 3 % du produit intérieur brut Anglais, devront maintenir un ratio fonds propres/RWA d’au moins 10 %. Celles ayant un ratio RWA/PIB compris entre 1 et 3%, pourront ne détenir un ratio fonds propres/RWA que de 7 à 10%.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº746
Notes :
1 Les banques cantonnées, qui ont des actifs pondérés (ou RWA) supérieurs à 3 % du produit intérieur brut Anglais, devront maintenir un ratio fonds propres/RWA d’au moins 10 %. Celles ayant un ratio RWA/PIB compris entre 1 et 3%, pourront ne détenir un ratio fonds propres/RWA que de 7 à 10%.