Comme toute crise, la crise de la dette souveraine en Europe traduit la fin brutale d’une croyance des marchés financiers, d’un paradigme, en l’espèce celui d’une zone euro homogène et solidaire.
Elle provoque donc naturellement une série de réflexions et de questions sur les fondements des idées les mieux établies.
- La dette, pari sur l’avenir et moteur du capitalisme, est-elle vertueuse pour l’entreprise et nocive pour l’État à partir d’un « certain » niveau, celui qui entraînerait mécaniquement le défaut ?
- La recherche de l’équilibre sur un cycle économique est-elle un paramètre basique de toute politique budgétaire ou le reflet d’une idéologie dominante, en réalité très contingente ?
- La crise de la dette souveraine occidentale est-elle aussi le signe d’un affaissement des grandes puissances démocratiques au profit de leurs créanciers, essentiellement régimes autoritaires, émergents ou producteurs de matières premières ?
- La science économique peut-elle composer avec la disparition de l’actif sans risque (typiquement la dette souveraine des pays « sûrs »), dont elle a pourtant fait, avec l’efficience des marchés, un des piliers de la théorie de la finance moderne ?
Une crise politique…
Au-delà de la vie des idées, cette crise bouleverse en profondeur les économies occidentales. Elle est souvent présentée comme une crise financière, au premier chef. Mais elle est en réalité une crise politique :
- crise des États qui dépensent systématiquement et structurellement plus qu’ils ne collectent auprès des ménages et des entreprises ;
- crise de l’Union européenne, qui a préservé l’essentiel – la cohésion de l’Union européenne autour d’un projet politique fondamental –, mais qui n’avait pas mis en place les mécanismes de solidarité rendus nécessaires par l’adoption de l’euro, monnaie unique certes, mais aussi devise étrangère pour des États ayant perdu le privilège de battre monnaie.
- crise de souveraineté politique pour des États opérant désormais sous la surveillance de prêteurs capables de vendre leurs titres sur un marché avant d’attendre le terme de leurs créances, capables également de participer, ou non, aux adjudications d’États souhaitant « rouler » leur dette ancienne ou financer leur nouveau déficit ;
- crise de souveraineté, encore, pour des États ayant accepté la revue et le contrôle de leurs politiques budgétaires par leurs pairs dans le cadre du fiscal compact (traité de Bruxelles sur la stabilité, coopération et gouvernance), après avoir compris que les prêteurs asiatiques ou américains, tout comme les institutions internationales, ne renouvelleraient leur concours qu’après des efforts sans précédent et une redéfinition complète de leurs pratiques par les Européens eux-mêmes.
…et une crise des marchés
Cette crise du politique est aussi une crise des marchés. À leur corps défendant certes, car leur tort principal a été de croire trop longtemps à l’unité et à la solidarité automatique de la zone euro, ce qui a coûté aux prêteurs, collectivement, 100 milliards d’euros. Crise des marchés donc, car les turbulences sur la dette européenne ont été aussi, et principalement, présentées comme le théâtre d’une lutte entre des gouvernements démocratiquement élus et des marchés financiers n’ayant d’autre horizon que d’imposer l’austérité aux peuples.
Le débat s’est ainsi articulé autour de sujets qui nous paraissent de second ordre :
- agences de notation, à la capacité d’influence sans doute surestimée ;
- CDS, instruments certes très discutables du point de vue de leur objet et de la formation des prix, mais dont l’utilisation lors du règlement grec n’a pas suscité la catastrophe prévue par tant de commentateurs ;
- marchés à terme, ventes à découvert et spéculateurs dont l’influence sur les tendances lourdes d’un marché aussi profond que la dette souveraine est négligeable pour les finances publiques, etc.
Retrouver le chemin de la croissance économique
La réalité est que les marchés seront indispensables à la sortie de crise, pour deux raisons principales :
- d’abord parce que les États ne rétabliront leurs finances publiques que si leurs économies retrouvent le chemin de la croissance. Or la croissance doit être financée alors même que l’intermédiation bancaire voit ses capacités en la matière limitées par les normes prudentielles ;
- ensuite parce que le budget de la France bénéficie aujourd’hui de conditions de financement à long terme exceptionnellement favorables (taux de 3 % à 10 ans). Il ne pourrait supporter sans dommage une élévation durable des taux d’intérêt, une hausse de 1 % sur un cycle d’emprunt équivalant à une dépense supplémentaire annuelle de 15 milliards d’euros.
Poursuivre le débat
En tant que président de l’AMAFI, je suis particulièrement heureux d’avoir trouvé en la Revue Banque un partenaire engagé afin de développer avec nous cette discussion, comme cela avait été le cas en juin 2011 lors du précédent hors-sérieintitulé À quoi servent les marchés ?. Le présent hors-série est le résultat de cette collaboration, prolongée le 18 juin prochain par un Forum des auteurs au cours duquel seront débattues les problématiques qui y sont traitées.