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Politique

« L’Europe risque d’attiser le sentiment de défiance à son égard »

Créé le

25.11.2015

-

Mis à jour le

01.12.2015

Le Parlement va chercher à améliorer la proposition de la Commission sur la garantie des dépôts européenne. La BCE devrait en principe soutenir les efforts des députés.

Pourquoi déplorez-vous l’absence du troisième pilier de l’Union bancaire ?

Le fonds européen de garantie des dépôts, qui devait constituer le troisième pilier de l’Union bancaire – avec les piliers supervision et résolution –, n’existe pas encore puisque la Commission vient juste de publier, le 24 novembre, sa proposition.

Aussi, les pays périphériques remarquent que la décision de résoudre ou pas une banque échappe désormais aux États mais que, en revanche, les conséquences de cette décision – c’est-à-dire les coûts entraînés par le choc d’une résolution –, reposeraient sur leurs finances publiques, puisque chaque pays continue de financer seul sa garantie des dépôts. Il y a là une incohérence qu'il faut corriger.

L’Union bancaire est vraiment conçue avec un pilier « garantie des dépôts européenne ». Mais certains pays, notamment l’Allemagne, ont beaucoup de réserves sur ce point.

Pensez-vous que la proposition de la Commission va parvenir à contourner l’opposition allemande ?

J’ai rencontré au mois de novembre de nombreux responsables allemands. Ils lient la construction du troisième pilier à l’harmonisation des conditions de garantie des dépôts et à la prise en compte de la dette souveraine ; en effet, cette garantie adopte des formes très différentes selon les pays. L’harmonisation est en cours, sous l’effet de la directive du 16 avril 2014 sur les systèmes de garantie des dépôts.

Parmi les dirigeants allemands, il existe des nuances, trois méthodes sont évoquées :

  • harmoniser, et parler de la garantie des dépôts en parallèle ;
  • attendre que l’harmonisation soit achevée, puis parler de la garantie des dépôts ;
  • harmoniser et puis… « on verra ! ».
En réponse à mon inquiétude, le cabinet de Jean-Claude Juncker rappelle que l’Allemagne ne voulait pas non plus de la résolution. Et, en effet, le second pilier s’est construit dans la douleur, mais il finit par se faire, même s’il a fallu accepter de nombreuses concessions. Par exemple, la règle de calcul des contributions des différents établissements au Fonds de résolution unique est défavorable aux banques françaises.

Jean-Claude Juncker pense que le même type de scénario se produira pour la garantie des dépôts européenne : elle se fera, peut-être au prix de quelques contorsions. La proposition de la Commission est passée à la notion de réassurance des systèmes nationaux et elle doit encore passer sous les fourches caudines du secteur bancaire allemand. Le Parlement européen pèsera de tout son poids pour améliorer cette proposition et sera sur ce point, je n’en doute pas, soutenu par la BCE. Nous ne pouvons pas prendre le risque de reporter à un horizon trop lointain la construction d’un véritable troisième pilier.

Jean-Claude Juncker manque-t-il d’habileté ?

La méthode Juncker est contestable : il s’attelle à des projets dans l’objectif de démontrer que la Commission fait son travail et en cas d’échec, il pourra rejeter la responsabilité sur les États membres s’ils ne veulent pas mener ces projets à leur terme. Il est moins soucieux d’atteindre l’objectif que de démontrer qu’il a fait sa part du travail. Il ne parvient pas à entraîner l’ensemble des États et ne se préoccupe pas assez de l’achèvement de ce qu’il propose.

Ce sera au Parlement européen de faire aboutir cette proposition sans négliger d’autres chantiers essentiels de l’Union économique et monétaire.

Il faudra entraîner l’Allemagne vers un vrai troisième pilier, tout en avançant sur d’autres chantiers très importants, comme l’harmonisation fiscale. Or Jean-Claude Juncker n’est pas réellement présent sur la question fiscale. Il n’est pas offensif, il réagit simplement à la pression environnante exercée par l’OCDE, les ONG, le Parlement européen, les médias et certains États.

Quel est le risque si un vrai troisième pilier ne voit pas le jour ?

Le risque de bank run demeure dans les pays où la garantie des dépôts n’inspire pas confiance. Il est donc urgent de consolider l’Union bancaire.

En faisant les choses à moitié, l’Europe risque d’attiser le sentiment de défiance à son égard. En effet, si un bank run survient (a priori dans un pays fragile), les citoyens du pays concerné auront du mal à comprendre pourquoi, au nom de l’Union bancaire, leur pays a accepté de se dessaisir de la supervision et de la décision de résolution sans rien recevoir en retour. Le sentiment anti-euro progresserait alors.

Le TLAC bouscule-t-il le MREL [1] de BRRD ?

Dans les enceintes internationales, les représentants de l’Union bancaire ne sont pas des acteurs à la hauteur des enjeux. Le TLAC est taillé sur mesure pour les banques américaines, cela signifie donc que les Européens n’ont pas suffisamment fait entendre leurs voix et n’ont pas assez valorisé ce qui a été fait avec le MREL de BRRD. Ce ne sont pas les Européens qui ont mené la danse lors des négociations sur le TLAC.

L’Europe n’est-elle pas censée nous permettre de peser davantage sur la scène internationale ?

C’est la question de la représentation de la zone euro. Dans le comité de Bâle par exemple, il y a beaucoup d’Européens mais ils pèsent moins que les Américains car la coordination entre Européens n’est pas suffisante.

Que pensez-vous du plafond de 100 000 euros au-delà duquel les dépôts ne sont plus garantis en cas de bail-in ? N’est-il pas injuste pour les particuliers qui vendent un bien immobilier avant d’en acheter un autre ?

Tout d’abord, il faut rappeler que les dépôts bénéficient du rang le plus élevé en cas de procédure d’insolvabilité. Ensuite, la législation européenne prévoit que les États peuvent protéger au-delà de 100 000 euros pendant trois à douze mois « les dépôts résultant de transactions immobilières relatives à des biens privés d’habitation » et, dans le cas de BRRD, une référence explicite est faite à la protection des dépôts couverts en cas de résolution. Les États peuvent adapter leur législation en fonction du bail-in, c’est ce que la France a fait en limitant cette protection à trois mois et 500 000 euros. Au-delà, par exemple en cas de vente d’une résidence principale avant d’en acquérir une autre, les banques elles-mêmes pourraient offrir une solution spécifique pour que le fruit d’une vente immobilière n’entre pas dans un circuit totalement liquide.

1 Le TLAC et le MREL sont des ratios dont l’objectif est de s’assurer que les banques sont capables d’absorber d’éventuelles pertes. L’Europe avait pris les devants avec le MREL (minimum requirement for own funds and eligible liabilities) instauré par la directive Redressement et Résolution (BRRD). Puis le TLAC a été élaboré à l’échelle internationale pour les banques d’envergure systémiques.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº790
Notes :
1 Le TLAC et le MREL sont des ratios dont l’objectif est de s’assurer que les banques sont capables d’absorber d’éventuelles pertes. L’Europe avait pris les devants avec le MREL (minimum requirement for own funds and eligible liabilities) instauré par la directive Redressement et Résolution (BRRD). Puis le TLAC a été élaboré à l’échelle internationale pour les banques d’envergure systémiques.